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Le papyrus Ebers, aux sources de la phytothérapie

papyrus

Quand on évoque les documents fondateurs de la phytothérapie dans notre culture, on cite le papyrus Ebers. Ce manuel de médecine pratique aurait été rédigé il y a 3 500 ans pour permettre à un médecin de diagnostiquer les pathologies et de proposer un traitement adapté. On y découvre une pharmacopée très riche et des pratiques médicales déroutantes.

De nombreux papyrus datant de l’Antiquité égyptienne traitent de médecine. Cette discipline revêtait en effet une grande importance à l’époque dans ce pays. Mais le papyrus Ebers est à ce jour le plus ancien et le plus complet traité médical écrit, original, connu et daté. Selon les égyptologues, il aurait été écrit entre le XVIe et le XVe siècle avant notre ère. Dans les ouvrages d’histoire de la pharmacologie, ce document apparaît ainsi comme le texte fondateur des écrits médicaux. D’autant que l’original de cet ouvrage existe encore bel et bien – il est conservé dans la bibliothèque de l’université de Leipzig –, contrairement au Shennong bencao jing de la médecine chinoise, dont l’original n’a jamais été retrouvé.

Cette compilation savante de données scientifiques était destinée à l’usage des médecins « sounou ». Diagnostic, traitement, étiologie et pronostic y sont déclinés. Les préparations thérapeutiques sont décrites et classées en fonction de critères anatomiques et d’observations des symptômes. Celles-ci couvrent un champ très large et peuvent forcer notre admiration. Par exemple, il est question de maladies gastro-intestinales, de maladies du coeur, de blessures (pour lesquelles on précise les complications et la présence de pus), de parasitose. Les maladies de la tête y sont aussi abordées tout comme celles des yeux (cataracte, infections…), de la peau, la chute des cheveux, les ulcères, les tumeurs, les maladies des reins et de la vessie, les pathologies gynécologiques… Douleur et souffrance du malade sont aussi considérées. Enfin, ces écrits abordent des pratiques chirurgicales comme l’ablation de tumeurs ou la réduction de fractures. L’ensemble de ces descriptions côtoient des indications magico-religieuse : le diagnostic, les soins et les traitements sont en général complétés par des pratiques religieuses liées aux divinités égyptiennes telles qu’Isis, Osiris, Horus, Rê ou Sekhmet, la déesse à tête de lionne…

Pilleurs de tombeaux

Les sources historiques rapportent de façon assez imprécise que le papyrus Ebers aurait été découvert « clandestinement » – on peut supposer qu’il s’agit de pilleurs de tombeaux – entre les jambes d’une momie dans la nécropole de Ramsès II, à Thèbes, cité antique du dieu Amon située près de Louxor. Un second manuscrit médical, le papyrus Smith, traitant de lésions et traumatismes aurait été découvert en même temps ainsi que le papyrus Rhind, un traité mathématique. Les deux papyrus...

médicaux ont été acquis par un Américain, Edwin Smith, en 1862, qui a ensuite revendu le premier papyrus médical en 1873 à un Allemand, Georg Ebers, juriste de formation, mais aussi romancier, égyptologue passionné, enseignant les langues orientales et l’archéologie à l’université de Leipzig. Ce dernier a procédé à une première publication en 1875 sous forme de fac-similé accompagné d’un lexique et lui a donné son nom. Le texte ne fut traduit qu’en 1890.

Ce papyrus, en parfait état, est également le plus imposant connu à ce jour, car il mesure 20 mètres de long sur 30 cm de hauteur ; il est constitué de 108 colonnes correspondant à 877 paragraphes. Selon les spécialistes, il daterait de 1536 avant Jésus-Christ, et aurait été écrit sous le règne d’Aménophis Ier par des médecins de la cour du pharaon. L’anonymat du document suscite des interrogations chez les historiens.

L’observation et la description scrupuleuses des symptômes ainsi que de leurs processus d’évolution impressionnent le lecteur du papyrus, véritable manuel de médecine pratique. L’étiologie des maladies est attribuée à la présence d’entités pathogènes (masculines ou féminines) appelées « setet » ou « oukhedou », qui investissent les corps, provoquent des déséquilibres entraînant inflammation et putréfaction dans les organes, les humeurs ou le sang à un degré de gravité variable. La thérapeutique consiste à prescrire des préparations destinées à extraire ces entités du corps afin que le malade recouvre la santé. Des commentaires sur l’efficacité de la thérapie ou sur les risques d’échec ou les chances de succès du médecin figurent également ; la formule « efficace un million de fois » revient souvent.

Les modes de préparation (cuire jusqu’à épaississement, préparer une masse homogène, moudre finement, laisser passer la nuit à la rosée, filtrer et ingérer, placer dans un pot et battre jusqu’à homogénéisation), les ustensiles (un pot à filtre très ingénieux est ainsi décrit dans la planche 53), les formes galéniques (emplâtres, macérations, poudres, suppositoires), les posologies, la durée du traitement et le mode d’administration sont précisés.

La pharmacopée est constituée essentiellement de plantes, minéraux (argile, sel du delta du Nil) et matières animales (graisse de canard, foie, moelle, mais aussi chiures de mouches ou crânes de silures) : environ 700 substances sont citées. Le miel, la bière douce et le vin sont les principaux supports pour l’élaboration de ces préparations.

« Secret des plantes »

Les végétaux mentionnés, comme le « roseau de Phénicie », apportent des informations sur la flore locale, les usages et les échanges de plantes avec d’autres aires géographiques. Nombre de céréales ont un usage thérapeutique : millet, souchet, farine de froment, blé, orge, épeautre… Le Moyen-Orient est en effet le berceau de la culture des céréales.
La mention « souchet du jardin » et « souchet de la rive » implique qu’une différence est faite entre plantes sauvages et cultivées. En plus des céréales, de nombreuses plantes entrent dans les préparations : graines de ricin, safran, caroube, cumin, dattes, pavot, jusquiame, lys, lotus, bryone, coriandre, acacia, résine de térébenthine, oliban… Sans compter toutes celles qui n’ont pas été identifiées.
Des commentaires dans le texte du papyrus suggèrent que l’usage des plantes est un art requérant un apprentissage : « Tu devras préparer un traitement venant du secret des plantes. » Un art fondé sur les échanges de connaissances entre aires culturelles parfois lointaines : « Autre remède qu’a énoncé un Asiatique de Byblos. » On apprend aussi que le mélilot était interdit de séjour dans le temple d’Isis à Philae. Mystérieux et fourmillant d’informations, le papyrus Ebers pourrait occuper toute une vie !

Entre médecine et archéologie

Le papyrus Ebers est un véritable ouvrage médical. Il vient de faire l’objet d’un livre présentant planche par planche une transcription linéaire du texte original. Extrait :

« Si tu examines un homme qui présente une obstruction de l’entrée de son ib (coeur), tu devras placer ta main sur elle (l’obstruction) et si tu constates que son altération est épaissie, que ce qui s’étend est saillant, les doigts étant sur cela, tu devras dire à ce propos : “C’est un (amas) sekken d’oukhedou qui ne pourra se lier.” Tu devras lui préparer les traitements à base de plantes : rouge (rouille) de (céréale) menedji : 7,5 ro, cuit (dans) de la graisse/huile et dans du miel ; (plante) tiam : 1/16 ; (fruit) peret-cheny : 1/16 ; valériane : 1/8 ; souchet de la rive : 1/16 ; souchet du jardin : 1/16 ; vin, lait. Ce sera ingéré. Faire avaler avec de la bière douce jusqu’à ce qu’il guérisse complètement. » Nouvelle transcription du papyrus médical Ebers, de Bernard Lalanne et Gérard Métra, éd. Safran, 2017.

Pratiques agricoles

De nombreuses préparations citées dans le papyrus Ebers utilisent « la figue entaillée du sycomore ». Ainsi, le papyrus nous renseigne aussi sur les pratiques agricoles : le fruit est scarifié pour en accélérer le mûrissement (par la libération d’éthylène au niveau de la blessure) et augmenter sa teneur en sucre. Une pratique toujours en usage aujourd’hui en Égypte. Il nous renseigne aussi sur la circulation des plantes à cette époque : le figuier sycomore (Ficus sycomorus), de la famille des moracées, est originaire d’Afrique centrale et était cultivé en Égypte au IIIe siècle av. J.-C. Du reste, le prélèvement des plantes faisait partie des objectifs des expéditions militaires des pharaons, à l’instar des empereurs aztèques. 

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