Flouve odorante, l'herbe qui parfume !
Pour beaucoup, les graminées – ou Poacées, pour les amateurs éclairés – sont des plantes sans intérêt et difficiles à identifier. Pourtant, certaines d'entre elles se reconnaissent sans souci et en valent vraiment la peine. Découvrez ce mois-ci la flouve odorante.Par françois Couplan
C'était pour moi une herbe banale, comme toutes les herbes, pensais-je, jusqu'à ce que mon maître en botanique, vieil instituteur vosgien, m'affirme que la délicieuse odeur de foin coupé que j'avais eu maintes fois l'occasion de respirer en été dans les prés de montagne provenait de cette plante, la flouve odorante. J'étais alors bien jeune (j'avais 16 ans), et discriminer parmi ces graminées qui se ressemblaient toutes ne me paraissait guère une priorité. L'identification des différents membres de cette vaste famille ne m'attirait pas énormément, et j'avoue que même à l'heure actuelle je n'ai pas encore fourni tous les efforts qu'une telle tâche requiert…
Cependant, les mots de mon mentor restèrent gravés dans ma mémoire, d'autant que la découverte d'odeurs agréables était pour moi une motivation puissante. Il me fallait donc découvrir cette fameuse flouve ! En me penchant un peu sérieusement sur sa description, je me rendis compte qu'il s'agissait en fait d'une plante que j'avais fréquemment côtoyée lors de mes balades estivales parmi les alpages avec ma mère. Si cette dernière m'avait appris à reconnaître dans cette famille la houlque laineuse, la phléole des prés et le dactyle pelotonné, je ne me souviens pas qu'elle m'ait explicitement montré la flouve, qui pourtant abondait, j'en suis sûr. Bref, il me fallut dénicher les détails qui me permettraient de déterminer facilement la plante. La Flore de Coste – toujours ma fidèle compagne – m'avait bien donné quelques indications, comme les étamines aux anthères pendant au dehors de la fleur, caractère effectivement très pratique pour reconnaître la flouve à première vue.
Mais après avoir eu l'occasion d'étudier de près la flouve odorante dans son environnement, je découvris un moyen simple et efficace de m'assurer de son identité. Lorsque je la déterre, le chevelu de ses racines dégage une odeur caractéristique que je ne peux comparer qu'à celle, éminemment animale, du purin ! La chose est d'autant plus étonnante que les parties aériennes fraîches ne sentent rien du tout, mais qu'elles dégagent au séchage un délicieux parfum de coumarine, à l'origine de l'épithète « odorante ». Cela me paraît un peu incongru, mais me rend bien service.
La coumarine au parfum de vanille est...
présente dans la flouve sous la forme d'un hétéroside, substance qui doit subir une modification chimique, l'hydrolyse, pour exprimer son arôme. C'est ce qui se produit lors du séchage, comme pour l'aspérule odorante (Galium odoratum) – une rubiacée proche du caféier –, les mélilots (Trigonella spp.) – des fabacées ou légumineuses – ou la mélitte à feuilles de mélisse (Melittis melissophyllum) – une lamiacée cousine des menthes. Ces diverses plantes servent à aromatiser des plats – crèmes et desserts, sauces pour la volaille – ou des boissons – le « vin de mai » pour l'aspérule. Traditionnellement, la flouve parfume le jambon ou les rôtis que l'on fait cuire au four sur un lit de cette graminée. Elle peut être utilisée pour les divers usages cités plus haut. On la récolte pendant toute sa durée de vie et on la met à sécher avant de l'utiliser.
Une cousine de la flouve, également de la famille des Poacées, est couramment utilisée en Pologne pour conférer à la vodka un goût particulier. Il s'agit de l'« herbe des bisons » (Hierochloe odorata), dont on peut voir un brin dans chaque bouteille de Zubrówka. Il faut noter aussi que cette graminée parfumée est nommée sweetgrass en anglais et qu'elle était une herbe sacrée pour les Indiens qui en faisaient grand usage lors de leurs rituels, par exemple en la tressant.
Deux mises en garde s'imposent lorsqu'on veut utiliser des plantes à coumarine. Tout d'abord, leur abus est déconseillé : si elles présentent des vertus sédatives reconnues, de trop fortes doses peuvent entraîner des maux de tête. Et si elles viennent à moisir, des champignons transforment la molécule en dicoumarol, une substance qui agit comme une antivitamine K et induit la perméabilité des capillaires. Son ingestion peut de ce fait entraîner l'apparition d'hémorragies mortelles : cette action est mise à profit pour fabriquer des raticides, la mort des rongeurs survenant suffisamment après la consommation pour que ces derniers n'établissent pas le lien avec le produit. Le dicoumarol est devenu le prototype de divers anticoagulants couramment utilisés en médecine. Certes, il ne viendrait à l'idée de personne de manger du foin moisi, mais pensez à soigneusement faire sécher la flouve avant de l'utiliser.
Cueillette
Parties aériennes : du printemps jusqu'à la fin de l'automne
Herbier
La flouve odorante (Anthoxanthum odoratum) est une graminée vivace de 20 à 80 cm, glabre ou velue, formant des touffes, à souche fibreuse gazonnante dégageant une odeur particulière. La tige est simple, dressée toute droite ou parfois coudée. Elle porte des feuilles larges de 3 à 5 mm, ciliées au sommet de la gaine (la partie cylindrique entourant la tige), avec une ligule (languette) oblongue, souvent déchirée. Les fleurs possèdent deux étamines (caractéristique notable parmi les graminées, qui en ont souvent trois) allongées, habituellement jaune pâle à orangé, pendantes et bien visibles lors de la floraison qui a lieu d'avril à juillet. Les filets très fins et flexibles permettent aux anthères d'être exposées au vent et de libérer le pollen au moindre courant d'air. Les fleurs sont groupées en une panicule en forme d'épi cylindrique-oblong, peu dense, se rétrécissant au sommet, de couleur verte devenant dorée à maturité.
La plante se rencontre dans les prés, les bois et les pâturages dans toute la France, l'Europe et l'Asie tempérée, ainsi qu'en Amérique du Nord où elle a été introduite. Elle colonise les prairies, les lisières, les pelouses et les landes sur sols plutôt acides et pas trop secs. Une autre espèce pousse dans l'Ouest et le Sud-Ouest, une dans les Alpes et une troisième en Corse.
Recette sauvage
Crème infusée à la flouve odorante, façon panna cotta
Ingrédients
25 cl de crème liquide entière • 25 cl de lait entier • 1 poignée de flouve odorante séchée • 50 g de sucre de canne roux • 1 pincée de sel • 1 gramme d'agar-agar en poudre (environ ½ cuillerée à café rase).
1. Verser le lait et la crème dans une casserole, ajouter la flouve odorante et faire chauffer doucement jusqu'au frémissement.
2. Couvrir et laisser infuser 15 minutes hors du feu, puis filtrer pour retirer la flouve.
3. Remettre le liquide infusé dans la casserole, ajouter le sucre et une pincée de sel pour équilibrer les saveurs. Laisser tiédir.
4. Incorporer l'agar-agar, fouetter pour bien le délayer et porter à ébullition pendant 30 secondes (l'agar-agar doit être chauffé à plus de 90 °C pour activer son pouvoir gélifiant).
5. Verser la préparation dans des ramequins ou verrines.
6. Laisser tiédir puis placer au réfrigérateur pendant au moins 3 heures pour que la crème prenne.
7. Servir frais, éventuellement accompagné d'un filet de miel fondu ou d'un zeste de citron râpé.
Plus d'informations sur le site de l'auteur : https://couplan.com/