Des arbres guérisseurs et porte-bonheur
Depuis des temps immémoriaux, des traditions locales prêtent à certains arbres des pouvoirs de guérison physique ou spirituelle. Ces croyances restent aujourd’hui vivaces, notamment en Normandie et dans le Nord : arbres à loques, chêne de la Vierge et arbres aux épousailles continuent de témoigner d’un lien intime et puissant entre l’homme et le monde végétal.
Les Arbres remarquables de France doivent leur « statut » particulier à un ensemble de raisons qui permettent de les distinguer de leurs congénères. Ils peuvent être repérés du fait de leurs dimensions ou de leur âge exceptionnel, à cause de leurs formes insolites ou de leur lien avec l’histoire de France et les légendes qui s’y rapportent. Ils ont acquis dans les villages de France une place qui inspire le respect, renforcés en cela par l’attribution d’un label « Arbre remarquable de France » attribué par l’association ARBRES que je préside. Celle-ci a pour vocation d’inventorier et de sauvegarder ces sujets d’exception, comme faisant partie du patrimoine naturel et culturel de notre pays. Certains d’entre eux en sont venus à occuper une place singulière dans la conscience collective. En effet, quelques arbres vénérables ont acquis peu à peu la réputation de porter bonheur, voire de guérir certaines maladies.
Prenons le cas des ifs de la Haye-de-Routot (27), plantés il y a plus de 1 300 ans sur un lieu de culte païen, destiné à honorer les morts. Ce n’est sans doute pas un hasard si une église fut édifiée à proximité des arbres ! Les deux ifs vénérables devinrent au fil du temps des symboles religieux, abritant dans leurs troncs creux des symboles chrétiens. En contournant l’église, on découvre des chiffons accrochés au mur du chevet. Cette tradition, assez récente, s’appuie sur le rite du « Précieux sang », venu de Fécamp. Accrocher un vêtement, un...
chiffon, ou même… un sous-vêtement tout près des vieux arbres et du lieu de culte résoudrait les problèmes de fertilité !
D’autres vieux ifs, bien cachés dans les cimetières normands, hébergent dans leur tronc creux la statue d’un saint protecteur comme celle de saint Pierre, près de l’église de Boisney (27). À Saint-Ursin (50), la statue du saint éponyme fut transférée à l’intérieur de l’église. Mais la fonction de celle-ci… resta dans le creux de l’if millénaire. Le saint en question protégeait contre les maladies, et le vieil arbre hérita de cette vertu. Le débat reste ouvert : l’arbre guéritil des maladies ou bien a-t-il un effet préventif ? Quoi qu’il en soit, si vous passez par Saint- Ursin, n’hésitez pas à entrer dans l’if vénérable !
Certains chênes bretons jouent parfois un rôle comparable. Près de Landerneau, c’est l’écorce d’un vieux chêne qui portait bonheur. Pour un rendez-vous de recrutement ou un concours étudiant, il suffisait de prendre un bout d’écorce dans la poche, et le succès était assuré. On pourrait croire que de telles pratiques étaient désastreuses pour l’arbre, mais la réalité prouve que… c’est le contraire ! Sans cette tradition, l’arbre aurait depuis longtemps été coupé, victime du remembrement dévastateur. Il fut donc longtemps protégé par cette pratique porte-bonheur, avant qu’une tempête ne vienne à bout de son tronc vieillissant. Sans doute l’arbre lui-même aurait-il dû penser à sa propre protection ! Remontons vers les Hauts-de-France. À Sénarpont, non loin du Tréport, un ensemble d’arbustes près de la route principale attire forcément l’attention. La tradition des « arbres à loques » se poursuit aujourd’hui ! En accrochant un vêtement sur les branches, on tente de conjurer le sort, pour guérir une terrible maladie, ou mieux la prévenir. Les « loques » étaient autrefois accrochées à des ormes, qui furent victimes de la graphiose. Les arbustes voisins accueillirent alors les vêtements, puis furent victimes à leur tour de la tempête de 1999. Depuis, la commune a replanté des « arbres à loques » pour assurer la pérennité de cette tradition. Dans la forêt normande de Brotonne, le chêne-cuve forme une cuvette entre les quatre troncs d’une volumineuse cépée. L’eau qui stagne dans ce creux naturel aurait, elle aussi, des vertus curatives.
En Loire-Atlantique, vous serez sans doute surpris par un « arbre à clous », sur la commune de Bonnoeuvre. Il prolonge une tradition très ancienne : le tronc du vieux chêne est percé de centaines de clous, qui protègent les familles de ceux qui les ont plantés contre les maladies.
Pour finir sur une note très optimiste, n’oublions pas les arbres porte-bonheur, comme le tilleul de Lucheux (80), surnommé « arbre aux épousailles », très favorable aux jeunes mariés, ou bien les arbustes qui entourent la chapelle Saint Thomas, sur la commune d’Aizier (76). Les amoureux qui viennent s’y promener font un noeud avec les branches les plus souples des noisetiers ou des charmes pour assurer la longévité de leur couple.
Chêne votif
Le chêne à la Vierge de la forêt de La Guerche est vraiment surprenant, avec son tronc couvert d’ex-voto. On raconte qu’une jeune fille fut ici assassinée par les troupes révolutionnaires au pied d’un chêne (elle avait refusé de livrer l’identité d’un prêtre réfractaire). L’arbre est devenu symbolique, objet de pèlerinages. Les ex-voto et les niches qu’il porte sont en très bon état, preuve que le culte est toujours vivace. Au fil du temps, la signification de cette tradition a évolué, se tournant vers la santé.