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Quand la cocaïne était un remède

Affiche vin mariani

Cet alcaloïde aux propriétés stimulantes, extrait des feuilles de coca, n'a pas toujours été considéré comme une drogue. Couramment utilisée au XIXe siècle comme anesthésique local, la cocaïne agrémente également de nombreux élixirs et autres boissons toniques. Retour sur un pan méconnu de l'histoire d'une substance aujourd'hui illégale.

C’est en 1855 que le chimiste allemand Friedrich Gaedcke obtient, par distillation d’un extrait de feuilles de cocaïer, quelques cristaux d’une substance qu’il baptise « erythroxyline ». Les feuilles d’ Erythroxylum coca – nom donné en 1786 par Jean-Baptiste de Lamarck à cet arbrisseau cultivé en Amérique du Sud – sont les plus riches en cocaïne : elles en contiennent entre 0,5 et 2,5 %. À cette époque, la réputation de cette plante utilisée contre la fatigue est déjà bien établie en Europe.

En 1859, le diplomate et explorateur autrichien Karl von Scherzer rapporte à Vienne une grande quantité de feuilles de cocaïer à la demande de Friedrich Wöhler, chimiste à l’université de Göttingen. C’est l’un de ses étudiants, Albert Niemann, qui isolera la cocaïne, l’alcaloïde principal de l’arbuste, en 1862. Un autre collègue, Wilhelm Lossen, déterminera trois ans plus tard sa formule chimique. La démonstration que la cocaïne possède des propriétés psychoactives est faite sur modèle animal en 1879. Quelques années après, le médecin allemand Theodor Aschenbrandt expérimente la substance sur des soldats au cours de manœuvres militaires. Il est alors enthousiasmé par la capacité de la cocaïne à stimuler l’organisme, à contrer la fatigue, la faim et la douleur, et cela, selon lui, de manière moins nocive que l’alcool ou le café froid. La cocaïne fascine.

Dès 1884, Sigmund Freud, médecin à l’hôpital général de Vienne, va mesurer les effets de l’alcaloïde en le testant sur lui-même. Il évoque auprès de certains confrères l’étonnante capacité de la cocaïne à engourdir la langue tout en présageant d’autres propriétés plus ou moins évidentes.

Freud et la cocaïne

Convaincu que la cocaïne était un remède miracle à la fatigue, l’impuissance et la dépression, Sigmund Freud a signé plusieurs textes sur le sujet, dont Über Coca (« Sur la cocaïne »). Il y a eu régulièrement recours, et l’a prescrite en applications nasales à certains patients. Le célèbre psychanalyste a aussi vu dans la cocaïne une panacée...

contre l’alcoolisme et la dépendance à la morphine. C’est ainsi qu’il l’a recommandée à un ami, Ernst von Fleischl-Marxow, morphinomane à la suite de l’amputation d’un doigt. Mais le « traitement » n’a pas eu l’effet escompté et son ami, devenu cocaïnomane, décéda prématurément. Après ce drame, Freud prit ses distances avec la substance.

Un anesthésiant oculaire

L’ophtalmologue Carl Koller et le chirurgien ophtalmologiste Leopold Königstein testent alors cette propriété anesthésiante sur une cornée animale, avant de l’appliquer, avec un succès immédiat, à l’anesthésie locale en chirurgie oculaire. La communauté médicale et scientifique s’enthousiasme pour cette découverte, qui sera relayée dans les pages de journaux comme Le Siècle ou La Croix.

C’est en effet une véritable révolution, à une époque où s’anesthésier consistait à ingérer de l’eau-de-vie ou à inhaler du chloroforme ou de l’éther – l’anesthésie locale était, elle, encore inconnue. La même année, aux États-Unis, William Halsted, chirurgien-chef à la Johns Hopkins School of Medecine de Baltimore, l’utilise dans ses opérations et développe une technique innovante pour l’odontologie (médecine dentaire).

Quant au chirurgien français Paul Reclus, il contribue à vulgariser son utilisation tout en mettant en garde sur son usage. « La cocaïne doit être bien et prudemment administrée, elle cesse d’être dangereuse bien administrée, elle est efficace et permet de mener, jusqu’à la dernière suture, des opérations étendues et délicates sans que le patient éprouve la plus légère douleur », écrit-il dans La cocaïne en chirurgie, paru en 1895.

Du vin Mariani au Coca-Cola

Dans ce contexte, toniques, élixirs et autres vins à base de cocaïne deviennent très en vogue. Dès 1863, le pharmacien Angelo Mariani crée une boisson portant son nom, à base de vin et de feuilles de coca du Pérou ou de Bolivie. La marque accède à la notoriété grâce à une stratégie commerciale astucieuse. Pour vanter les vertus de son breuvage, le Corse s’est en effet associé avec Charles Fauvel, médecin spécialiste du larynx, qui fut l’un des premiers à utiliser la cocaïne pour ses propriétés anesthétiques dans le traitement des maladies du nez et de la gorge.

Les indications du vin Mariani sont multiples, de la grippe à la nervosité en passant par l’anémie, l’insomnie, la mélancolie et diverses affections de l’estomac. On l’utilise aussi pour la prévention et le traitement d’un certain nombre de maladies contagieuses. La publicité pour le breuvage mentionne que ce vin tonique « fortifie et rafraîchit corps et cerveau, restaure santé et vitalité », précise le Dr Kurt Hostettmann dans son livre Les drogues d’origine naturelle (éd. Favre, 2018). La dose recommandée est alors un verre à Bordeaux deux à trois fois par jour !

Dans son officine située sur le boulevard Haussmann, à Paris, Angelo Mariani propose plusieurs dérivés de sa formule tels que des élixirs, des pastilles ou des infusions. En France et de l’autre côté de l’Atlantique, le pharmacien d’origine corse est copié sans vergogne. En 1885, à Atlanta, dans l’État de Géorgie, John Pemberton crée le French Wine Coca, boisson à base de vin, de feuilles de coca et de noix de kola (fruit très riche en caféine, traditionnellement consommé sur le continent africain). À cause de la loi de prohibition contre l’alcool, il remplacera le vin par du soda, donnant naissance au célèbre Coca-Cola.

Mais bientôt, la multiplication de cas de « cocaïnisme » inquiète certains praticiens, comme le pharmacologue allemand Louis Lewin ou le psychiatre autrichien Albrecht Erlenmeyer. Ce dernier décrit même la cocaïne comme le troisième fléau de l’humanité derrière l’alcool et l’opium. En France, la première loi prohibitionniste, qui interdit ­plusieurs drogues dont la cocaïne, est votée par le Sénat le 12 juillet 1916.

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