Dossier
Sept organes négligés... et pourtant si utiles (5/8)
Au sein de notre organisme se logent certains organes méconnus, dont on ignore parfois jusqu'à l'existence. Ils jouent pourtant des rôles essentiels, voire indispensables à la vie. Ce dossier a pour but de mettre en lumière ces organes mal compris, voire impopulaires, tels que la rate, l'appendice, la vésicule biliaire ou le thymus, et souligner l'importance de les maintenir en bonne santé.
La rate, réservoir immunitaire
Qualifiée d’" ignoble " par le médecin anglais William Harvey au XVIIe siècle, la rate a longtemps été considérée comme un organe inutile, encombrant, voire comme une source de mélancolie. D’ailleurs, son nom anglais, spleen, en dit long… L’ablation de la rate (la splénectomie) a même été pratiquée sur des coureurs de fond allemands en prévision des Jeux olympiques de 1936 pour leur éviter, justifiait-on, crampes et points de côté. On sait à présent que cet organe, situé sur le côté gauche de l’abdomen, sous les côtes, joue comme le thymus " un rôle important pour créer le système immunitaire " dès la prime enfance, rappelle Jean-Michel Morel, médecin phytothérapeute. Telle une éponge, il se gorge du sang reçu de l’aorte abdominale et assume plusieurs fonctions : filtrer et recycler les globules rouges altérés ainsi que stocker les globules blancs et les libérer pour défendre l’organisme en cas d’infection. Recouverte d’une membrane très fine, la rate peut facilement se déchirer en cas de choc ou d’intervention chirurgicale délicate, causant une hémorragie fatale si on ne l’enlève pas rapidement.
En médecine traditionnelle chinoise, la rate est un organe important, relié à l’énergie du pancréas. " Elle symbolise l’ancrage à la terre, l’alignement, le fait d’être à sa juste place ", résume la naturopathe et acupunctrice Yvanne Le Goff. Un organe associé aux quatre intersaisons...
d’énergétique chinoise (premières quinzaines de février, mai, août et novembre). À ces périodes, elle invite à rééquilibrer la rate, en interaction avec le pancréas et l’estomac, en prenant chaque jour 7 gouttes de bourgeon de noyer pour son action dépurative et stimulante immunitaire, ainsi qu’une ampoule de sélénium. On préparera aussi une décoction de romarin (1 cuillerée à soupe) et de gingembre écrasé (1 cm) à faire bouillir dans 1 litre d’eau froide durant un quart d’heure, puis filtrer. L’idéal est d’en boire une tasse chaude matin et soir en y ajoutant un filet de citron et une cuillerée à café d’huile d’olive durant les intersaisons. Côté alimentation, " on veille à ne pas engluer la rate en évitant les sucres rapides, produits laitiers, pains blancs qui génèrent trop de colles (mucus) ". Enfin, en cas d’ablation de la rate, " on est plus sensible aux infections à pneumocoques et méningocoques, il faut donc traiter aux antibiotiques en prévention durant deux ans et soutenir l’immunité ", avertit Jean-Michel Morel. Pour renforcer justement ses défenses naturelles, il préconise une cure hivernale de quatre mois avec du macérat de bourgeon d’églantier, très anti-inflammatoire et antioxydant.
Vitaliser la rate en médecine chinoise
L’énergétique chinoise fait la part belle à la rate, en lui attribuant un méridien à part entière comprenant 21 points d’acupuncture. Certains sont simples à activer en acupression pour « soulager les émotions en lien avec la rate, telles que l’injustice ou le besoin de trouver sa place », selon l’experte Yvanne Le Goff. Elle recommande en particulier deux zones à masser dans le sens des aiguilles d’une montre :
- tout le pourtour de la malléole interne.
- le point souvent douloureux San Yin Jiao, appelé Rate 6 (6Rt), situé à quatre travers de doigts au-dessus de la malléole interne.
Bon à savoir : On peut nourrir le qi (énergie vitale ) de la rate en massant ces points avec des huiles végétales de tournesol et de noisette et en respirant des parfums capiteux comme le patchouli ou l’ylang-ylang.
Un peu d’histoire // Mélancolie baladeuse
Durant l’Antiquité, certains médecins pensent que la rate limite la capacité de courir et des ablations (ou brûlages au fer rouge) sont parfois pratiquées sur des chevaux ou des hommes pour les faire courir plus vite. D’où l’expression « courir comme un dératé ». Suite à un choc ou à une hyperlaxité ligamentaire, la rate se balade parfois littéralement dans notre abdomen (le plus souvent sans générer de symptômes). On l’appelle alors rate « errante » ou « baladeuse ».
Dans la médecine grecque et médiévale, elle était considérée comme cruciale car responsable de la production de « bile noire », l’une des quatre humeurs à maintenir en équilibre pour rester en bonne santé. La capacité de rire était un signe que cet organe fonctionnait bien et s’il produisait trop de bile noire, on considérait que le patient serait triste ou déprimé. En langue anglaise, la rate se dit d’ailleurs spleen (« mélancolie »).
- « History of splenectomy », International Journal of Surgery, décembre 2013.
- « A history of the liver, spleen, and gallbladder », Université de Stanford, non daté.
- « Wandering Spleen: A Medical Enigma, Its Natural History and Rationalization », World J Surgery, 2013.
- « Tribute to a Triad: History of Splenic Anatomy, Physiology, and Surgery—Part 1 », World Journal of Surgery, mars 1999.