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Agriculture : hold-up sur les semences

Céréale - Maïs

Le marché des semences va-t-il être complètement mis sous tutelle? Nouvelles réglementations plus contraignantes, contrôle accru par les grands semenciers, taxes à payer… Les producteurs d’avoine, de pomme de terre, mais aussi de féverole ou de tomate ont de moins en moins de latitude pour choisir et même sélectionner leurs semences de ferme. Mais le front du refus prend de l’ampleur.

[Mis à jour le 10/07/2018 : Cet article publié en 2014 dénonce l'interdiction pour les agriculteurs de vendre leurs semences, mais les députés européens ont décidé en 2018 qu'ils seraient autorisés à le faire à partir de 2021]

Près des tunnels abritant les plantations en ligne de salades, les poules s’activent autour de quelques graines. Dans cette exploitation maraîchère, Jocelyne Fort et Jean-François Mallet, agriculteurs biologiques à Jonquières-Saint-Vincent, dans le Gard, ont replanté les graines de blé tendre issues d’une précédente récolte pour nourrir leurs poules. Une pratique qui n’a rien d’original. Comme eux, environ 200 000 agriculteurs utilisent pour leur propre usage quelque 1 600 espèces de ce que l’on appelle les semences de ferme. Mais cette pratique ancestrale pourrait bien être amenée à disparaître. Deux nouvelles lois sur les semences viennent renforcer un système qui ne cesse de se diriger vers l’encadrement du vivant et la mainmise des grandes entreprises semencières sur toutes les cultures. Petit à petit, l’étau se resserre.

Des taxes systématiques sur les semences

La loi votée le 8 décembre 2011 et qui entre en application en 2014 réglemente justement ces fameuses semences de ferme. Ainsi, pour 21 espèces de plantes les agriculteurs vont devoir payer des redevances dès lors qu’ils réutilisent leurs semences après la récolte. La « contribution volontaire obligatoire », CVO, voici le nom évocateur de cette nouvelle taxe dont le minimum est fixé à 50 % des redevances dues au semencier « propriétaire » de la variété. Parmi ces 21 espèces, sont ainsi concernées l’avoine, l’orge, le riz, l’alpiste des Canaries, le seigle, le triticale, le blé, le blé dur, l’épeautre, la pomme de terre, le colza, la navette, le lin oléagineux, le pois chiche, le lupin jaune, la luzerne, le pois fourrager, le trèfle d’Alexandrie, le trèfle de Perse, la féverole, la vesce commune. Concrètement le paysan est taxé s’il veut semer une partie des graines issues de sa propre récolte.

Ces nouvelles contraintes semblent conforter surtout la volonté du Groupement national interprofessionnel des semences (GNIS), un organisme au statut hybride qui, au fil des années, s’est octroyé un rôle central dans ce secteur. Devançant même la loi, le Groupement national avait obtenu dès 2001 un accord interprofessionnel sur le blé tendre fixant le coût de sa réutilisation à 0,70 € par tonne collectée. Un accord qui, sans tenir compte de la nouvelle loi, a été étendu en juin 2013 à toutes les céréales à paille (blé dur, orge, avoine, seigle, triticale, riz et épeautre). Et maintenant, l’organisme voudrait imposer la même chose pour les pois et les pommes de terre. Tandis que, pour le maïs, il a été tout bonnement interdit de faire sa sélection de graines.

Avec une production de 12 tonnes de blé tendre par an, Jean-François Mallet et Jocelyne Fort échappent à la loi de décembre 2011. Car les petits agriculteurs, produisant moins de 92 tonnes de céréales par an, n’ont pas à payer la CVO. En revanche ils ne sont pas exonérés de s’inscrire au GNIS. Pour ces Gardois, l’autre moyen d’éviter le paiement de redevances consisterait à choisir des variétés du domaine public, c’est-à-dire celles pour lesquelles il n’y a plus de droit de propriété. Malheureusement, rien n’est moins simple, là non plus. Car ces semences disparaissent assez vite du Catalogue officiel qui liste toutes les espèces autorisées pour l’agriculture. « Tous les ans, des variétés sont enlevées. Environ une trentaine cette année », calcule Jocelyne Fort. Alors que le GNIS estime à 600 les variétés nouvelles qui y entrent chaque année. L’agricultrice qui avait choisi la Marmande, une variété de tomate libre de droits, constate un autre problème. « Les semenciers ne sont pas absents de ce domaine. Il leur arrive de modifier une variété tombée dans le domaine public en créant un hybride F1. Et ils le vendent bien plus cher. Par exemple une tomate F1 coûte 84,25 € les 250 graines nues tandis que la variété libre de droit est à 5,45 € les 250 graines. Plus de dix fois plus cher », observe Jean-François Mallet.

Un système gangrené par les grands semenciers

Et voici qu’en plus de ces complications, vient s’ajouter une loi sur la contrefaçon, qui doit passer devant l’Assemblée nationale en 2014. De la même façon que les grandes marques ne peuvent être copiées, les semences signées Vilmorin, Limagrain, Monsanto, Graines Voltz… bénéficieraient elles aussi d’une protection. Les socialistes n’y étaient pourtant guère favorables. Pour finalement reporter la décision d’exempter les semences à la loi d’orientation agricole qui doit être présentée en début d’année. Mais rien n’est moins sûr. Car une fois la première loi votée, elle servira de socle pour que le GNIS puisse proposer de nouvelles restrictions. Dans ce grand jeu, certains seront mieux lotis que d’autres et les menaces s’amplifient pour les plus petits. Cette loi permettrait notamment aux douanes de saisir les cultures sur simple soupçon de fraude. De plus, il reviendrait aux agriculteurs de prouver qu’ils ont bien acheté les semences. « Mais les agriculteurs qui échangent des semences entre eux ne pourront pas donner ces papiers. Beaucoup font des échanges avec leurs voisins afin de protéger leur sélection de semences », explique Patrick de Kochko, du Réseau Semences paysannes.

C’est là qu’apparaît une spécificité française, avec le rôle très particulier du GNIS. Représentant officiel des professionnels de la semence, le GNIS reçoit des subventions de l’État, mais surtout il intervient dans l’inscription des variétés sur le Catalogue officiel. Le service de la Répression des fraudes lui a même délégué le pouvoir de contrôler l’achat des semences chez les agriculteurs. Ainsi, cette organisation dispose d’énormes pouvoirs pour imposer les semences de ses propres membres. Bien évidemment, celle-ci récuse le fait qu’il y a conflit d’intérêt. L’Europe s’en est émue. La même Union européenne a voté en 2012 un texte visant à simplifier le brevetage d’une espèce (brevet unitaire européen) ce qui est pour le moment interdit en France où a été mis en place le « certificat d’obtention végétale », imaginé, disent les semenciers, pour protéger la création de nouvelles variétés ou hybrides.

Difficile d’y voir clair, y compris pour les premiers intéressés, les agriculteurs. La plupart ne savent même pas ce qui leur est autorisé. Ainsi au printemps dernier, des maraîchers ariégeois ont été contrôlés par la Répression des fraudes et verbalisés à hauteur de 450 €. Ils vendaient des plants de tomates non inscrites au Catalogue officiel et ne possédaient pas la carte du GNIS. Même problème pour les semenciers. Si les petites entreprises, de moins de 10 personnes et d’un chiffre d’affaires inférieur à 2 millions d’euros, sont pour l’instant exemptées de payer la cotisation au GNIS, ils doivent tout de même s’y inscrire. Selon Catherine Dagorne, la directrice du GNIS, « Cela représente plus de 64 entreprises de semences qui échappent au système. » Sous-entendu, même si cela a été toléré pendant de nombreuses années, cela n’est plus acceptable.

Du coup, bon nombre de professionnels, hors la loi, sont entrés en résistance. D’abord les petits semenciers. Ils travaillent avec des semences hors catalogue mais de plus ils échangent entre eux leurs semences, échappant à l’enregistrement obligatoire auprès du GNIS. Régulièrement contrôlés, il leur faut faire preuve de beaucoup d’imagination pour continuer leur activité.

L’association Croqueurs de carottes, à l’origine d’une campagne et d’une pétition, promeut l’échange et la vente de semences paysannes. Cette organisation regroupe six entreprises de production de semences dont Jardin’envie, le Biau Germe, la Ferme Sainte-Marthe Production, Germinance, Graines del Païs et Semailles. La difficulté de ces professionnels est de diffuser leurs produits. Certains ne vendent qu’aux particuliers, d’autres qu’aux agriculteurs. Mais pour éviter les problèmes, ils conservent une taille et une production assez faibles. Fait étonnant : même de gros semenciers tels Tézier ou Baumaux proposent maintenant des semences paysannes dans leur catalogue.

Planter la biodiversité

En quoi se distinguent ces récalcitrants ? En premier lieu, ils ne sont pas d’accord avec les critères imposés pour entrer au Catalogue officiel. « Ce dernier privilégie la stabilité et l’homogénéité des graines. Cela signifie que l’on favorise donc les clones, identiques d’une année sur l’autre. C’est le contraire des semences paysannes, sélectionnées aux champs et qui ont besoin de se modifier notamment en fonction des aléas naturels. Les critères actuels sont liés au rendement. Mais on regarde la quantité et le poids alors qu’en terme qualitatif, le goût est très différent et la quantité de nutriments moins intéressante », détaille Éric Marchand, semencier de Jardin’envie, une initiative pour le retour aux semences paysannes.

Le semencier souligne l’autre contradiction du système actuel : le GNIS se vante de permettre le suivi et la qualité des variétés, or il est impossible de savoir comment a été créée une nouvelle variété. Est-elle issue d’une semence hybride, d’une variété ancienne ? Bien malin qui pourra décrypter l’apparence d’une tomate bien ronde. « On peut voir dans les étals des tomates nommées cœur de bœuf mais ce sont des hybrides F1, elles sont plus grosses et beaucoup plus robustes. La véritable cœur de bœuf possède une peau très fine, elle ne se conserve pas longtemps, explique Jean-François Mallet, notre agriculteur gardois. C’est sûr, nous ne produisons que 50 tonnes à l’hectare alors qu’avec les hybrides, c’est plutôt 500 tonnes. Mais question santé, cela n’a rien à voir. »

Ces agriculteurs sont partisans de la diversité biologique et revendiquent des semences hétérogènes. Ils mettent en avant leur capacité d’adaptation au changement climatique, leur abondance nutritive, le fait aussi qu’elles participent à la richesse de la biodiversité. Une vision qui s’oppose bien évidemment aux structures en place. De nombreuses campagnes soutiennent ce combat de tous les jours, que ce soit en France avec Semons la Biodiversité lancé par 22 associations et syndicats ou, au niveau européen, contre le brevetage du vivant, avec No Patents on Seeds (Pas de brevet sur les semences, ndlr).

Petit à petit, le mouvement grossit : le combat des agriculteurs pour conserver leur autonomie et leur liberté de choix pourra-t-il prévaloir sur la course actuelle au rendement ? En attendant, les poules de Jocelyne Fort profitent encore du blé de la ferme.

Ce que nous pouvons tous faire 

  • Dans notre jardin

Acheter des semences paysannes à des artisans semenciers (Croqueurs de carotte) ou des associations spécifiques (Kokopelli, etc.), des jardins de femmes semencières

  • Pour acheter des légumes

Préférer les circuits courts et discuter avec l’agriculteur des semences qu’il choisit. Demander si les légumes sont issus de semences paysannes ou à défaut de semences non hybrides du catalogue.

  • Pour changer les choses

Il est possible de rencontrer les élus locaux, les chambres d’agriculture, afin de demander l’abrogation de la loi du 8 décembre 2011. Ne pas hésiter à se faire aider par des initiatives telles que Semons la biodiversité.
Il faut aussi savoir que les agriculteurs bio peuvent participer à des programmes de conservation de semences. L’institut Vavilov de Saint-Pétersbourg organise par exemple des campagnes de reproduction des semences de variétés anciennes qu’il conserve. Dans ce cas-là les agriculteurs possèdent des dérogations et peuvent vendre leur récolte.

Ce qui va changer

Avant : un agriculteur pouvait faire replanter pour son propre usage des graines prélevées sur sa récolte.

Maintenant : avec la loi de décembre 2011, 21 espèces ont été listées. Pour celles-ci un agriculteur ne peut replanter les graines provenant d’une première récolte que s’il est inscrit au GNIS et s’il paye une contribution.

Les exceptions : les agriculteurs qui produisent moins de 92 tonnes de céréales par an, qui utilisent des variétés du domaine public ou dans le cadre de la recherche, échappent à cette loi.


Dates : La petite histoire du marché des semences

Le Catalogue officiel existe depuis la Seconde Guerre mondiale. « Il a été créé en 1941 pour garantir l’approvisionnement en pomme de terre de l’armée allemande », note Éric Marchand, semencier. Mais par la suite, dès 1960, il a permis de recenser toutes les nouvelles variétés. Et lorsqu’il est devenu obligatoire, en 1981, d’utiliser les variétés du Catalogue officiel, seules les nouvelles variétés ont pu être cultivées, excluant directement toutes les anciennes. Ce système est ainsi devenu un excellent moyen de contrôle pour les grandes entreprises semencières.

En savoir plus :

La Coordination nationale pour la défense des semences fermières: www.semences-fermieres.org
Réseau Semences paysannes : www.semencespaysannes.org
Campagne No Patents on Seeds : www.alt.no-patents-on-seeds.org
Campagne Semons la biodiversité : www.semonslabiodiversite.com

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Plantes & Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé.
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