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Comment le tabac a conquis le monde

Comment le tabac a conquis le monde

Héritage dévoyé des Indiens d'Amérique, pour lesquels il reste une plante sacrée, le tabac est aujourd'hui cultivé en masse dans le monde entier, principalement pour les besoins de l'industrie de la cigarette. Retour sur une trajectoire qui lui attribua un temps un rôle d'antimigraineux…

Tous les historiens sont d'accord : le tabac vient d'Amérique, et c'est Christophe Colomb qui, le premier, reçut de ses habitants « quelques feuilles sèches qui doivent être chose très appréciée parmi eux, parce que déjà ils m'en apportèrent en présent à San Salvador ». Dans son journal de bord, Colomb observe comme l'usage de cette plante sèche est répandu chez tous les « indigènes » qu'il rencontre dans les Caraïbes : ils la fument en roulant les feuilles en tube ou les hachent menu pour les faire brûler dans des pipes. Certains inhalent la fumée par les narines au moyen d'un bâton creux en forme de Y appelé tobago, d'autres la chiquent en la mélangeant à de la chaux ou du citron vert… Colomb se prête à l'expérience, ainsi que ses hommes. Il est partagé, voyant comment certains d'entre eux ne peuvent plus se passer de fumer ! En 1493, de retour au pays, l'un de ses lieutenants, Rodrigo de Jerez, sera condamné à sept ans de prison par l'Inquisition pour avoir montré en public cette pratique, jugée diabolique. Qui d'autre que le diable pourrait ainsi exhaler de la fumée par le nez et la bouche ?

Une plante sacrée

Les écrits de Colomb et de ses contemporains ne permettent pas de savoir si les « Indiens » étaient alors aussi dépendants au tabac que le devinrent les Européens. Mais il semble que dans l'Amérique précolombienne, cette plante sacrée ait été exclusivement réservée à un usage rituel, au cours de cérémonies. Elle l'est d'ailleurs encore en Amazonie : les chamans consomment le tabac en décoction pour acquérir des visions (l'esprit du jaguar) ou en soufflent la fumée lors des rituels de guérison.

L'« herbe du diable » bientôt en odeur de sainteté

Paradoxalement cette « herbe du diable » entre tout aussi rapidement… en odeur de sainteté ! En 1500, l'explorateur portugais Pedro Álvares Cabral découvre le Brésil et apprend au contact des Indiens Tupis les nombreuses applications médicales de cette plante, qu'ils nomment « pétun » et dont ils tirent du jus, utilisent les feuilles en cataplasme, ou qu'ils mâchent ou fument dans des pipes… Le tabac, dès lors considéré comme une...

panacée, y gagne le surnom d' « herbe sainte », et même d'« herbe à Dieu » tant en Espagne qu'au Portugal ou en Italie, où elle parvient jusqu'aux jardins du Vatican. Dans les milieux aristocratiques et ecclésiastiques, on n'hésite plus à le « pétuner » (fumer) sous forme de cigare ou dans des pipes. Il lui faudra quelques décennies de plus pour traverser la chaîne des Pyrénées…

En 1561, Jean Nicot, ambassadeur de France à Lisbonne, fait envoyer un plein baril de tabac râpé à la reine Catherine de Médicis afin de soigner ses migraines. Le tabac est pourtant déjà arrivé en France : André Thevet le cultive depuis peu dans les jardins de son couvent, aux alentours d'Angoulême. Ce moine aventurier et géographe charentais en a rapporté quelques graines du Brésil, y ayant accompagné l'expédition de Villegagnon comme aumônier en 1555. Il en a décrit les usages dans le récit qu'il fit de ce voyage et lui a même trouvé un nom, l'« herbe angoumoisine » (en hommage à sa province natale)…

C'est pourtant l'« herbe à l'ambassadeur » qui va faire un tabac ! Après avoir prisé, c'est-à-dire mis un peu de tabac en poudre dans son nez et éternué plusieurs fois, la reine sent ses migraines s'atténuer. La plante gagne aussitôt d'autres surnoms : « herbe à la reine » (herba regina), « catherinaire » et pour finir « nicotiane », en hommage à son importateur... Son usage se répand dès lors dans toutes les cours d'Europe, où hommes et femmes prisent… et tombent sous son emprise. Dans les salons, les conversations sont désormais ponctuées d'éternuements, nouveaux signes de distinction. Un accessoire y devient à la mode : la tabatière, souvent richement ornée de pierres précieuses et d'orfèvreries. Le tabac est râpé en poudre fine pour être prisé, il est aussi distillé, sucé, bu en décoction, introduit dans des sirops, des baumes et des pommades

Tabac et médecine : des usages surprenants !

À Londres, lors de la grande épidémie de peste de 1665, les médecins anglais obligeaient les adultes ainsi que les enfants (!) à fumer, faussement convaincus que la fumée de tabac les protégerait de la contamination ! En 1699, Guy-Crescent Fagon, médecin de Louis XIV, déconseillait vivement l'usage du tabac, évoquant pour la première fois l'idée qu'une consommation prolongée abrégeait la vie… alors qu'il était lui-même grand priseur ! Au XVIIIe siècle, certains médecins des Lumières étaient convaincus qu'en soufflant de la fumée de tabac – à travers un tube – dans l'anus des noyés, ils parviendraient… à les ressusciter d'entre les morts !

L'art de fumer, lui, est alors surtout développé dans les pays latins, en Hollande et en Angleterre : les feuilles sont hachées et fumées dans des pipes ou gardées entières et roulées en cigare. Et partout, le prétexte médical initial est vite supplanté par le plaisir lié à sa consommation… et la dépendance qu'il entraîne !

Une manne financière pour les États

Les gouvernements voient cette nouvelle mode d'un mauvais œil : Jacques Ier d'Angleterre publie un violent pamphlet contre le tabac, qu'il décrit déjà en 1604 comme « une habitude (…) nocive pour le cerveau, dangereuse pour les poumons »… à Constantinople, en Perse ou encore à Moscou, on coupe les lèvres, le nez voire la tête des fumeurs, priseurs ou chiqueurs ! Quant à l'église, elle condamne avec véhémence l'usage du tabac, au point de menacer les chrétiens tabagiques d'excommunication. En France, Louis XIV fait la chasse aux priseurs et priseuses dans les boudoirs de Versailles… mais ne rechignera pas à en tirer profit ! Avant son règne, Richelieu avait déjà créé un droit de douane sur le tabac importé (1629) et instauré un monopole de sa vente par les pharmaciens (1635). Son ministre des finances, Colbert, décrète un monopole d'état sur sa culture et son négoce en 1684. Le tabac est principalement produit par les esclaves des colonies françaises et son commerce est géré par la Compagnie des Indes occidentales. Tout au long de ce XVIIe siècle, la culture du tabac s'est déjà développée dans le Sud-Ouest de la France, en Franche-Comté, en Alsace, en Charente et son usage commence à se répandre parmi le peuple.

Mais ce n'est qu'au retour d'Espagne des soldats de l'armée napoléonienne que se développera l'usage du « cigaret » (qui deviendra « cigarette »), d'abord fabriqué manuellement en roulant, dans une feuille de maïs ou de papier journal, un peu de tabac déchiqueté initialement destiné à la pipe. La carrière occidentale de la cigarette était lancée, faisant depuis lors exploser la consommation du tabac dans le monde…

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