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Remèdes ayurvédiques, un visa pour la mondialisation

Remèdes ayurvédiques

La médecine ayurvédique est aujourd’hui devenue une pratique à portée mondiale. Grâce à une politique volontariste de l’état et des industriels indiens, elle s’est en partie adaptée à la vision occidentale de la santé et aux attentes de leurs nouveaux consommateurs.

Depuis maintenant une quinzaine d’années, l’ayurvéda s’est imposé en Occident comme une médecine alternative populaire. Elle a été reconnue comme une des trois médecines traditionnelles majeures par l’OMS, aux côtés de la naturopathie et de la médecine traditionnelle chinoise. L’Inde a rapidement compris qu’elle pouvait faire de l’ayurvéda un instrument de rayonnement culturel dans le monde, au même titre que le yoga ou la méditation avant elle; trois témoins vivants de son riche patrimoine historique. Le nombre d’écoles et de praticiens ayurvédiques dans le monde ne cesse d’augmenter chaque jour tandis que se développe un nouveau tourisme thérapeutique plébiscité par les déçus de la médecine occidentale moderne. En France également, la pratique se développe et l’on accède plus facilement aux remèdes issus des 3 000 espèces végétales de la Materia medica ayurvédique. Ceci a été rendu possible par une politique volontariste de l’État indien pour soutenir et valoriser ce patrimoine historique et conquérir un marché mondial en pleine expansion. D’abord cantonné au pays qui lui a donné naissance, cet art de soigner multimillénaire complexe a su évoluer.

Pression écologique sur les ressources

Le premier problème à résoudre a rapidement été celui des ressources. Parmi les 960 espèces médicinales indiennes les plus commercialisées aujourd’hui, on considère qu’il y en à 178 pour lesquelles la consommation dépasse de 100 tonnes la ressource, que celles-ci soient issues de culture ou de cueillette sauvage. 80 % des plantes ayurvédiques utilisées sont issues de collectes de plantes sauvages et un certain nombre se trouve en effet menacé d’épuisement ou d’extinction. Aussi, pour minimiser ces dangers et organiser la filière, l’Inde a créé dès 2000 le Conseil national des plantes médicinales, une structure travaillant avec les industriels du secteur sous l’égide du département Ayurvéda, yoga et naturopathie (AYUSH) du ministère de la Santé et en lien avec le département des forêts. Ce conseil coordonne le commerce, l’exportation mais aussi la culture des plantes médicinales. En 2008, il inaugurait ainsi un programme ambitieux, finançant les expérimentations de cultures de plantes sauvages ou encourageant la culture de cinquante espèces de plantes en danger ou considérées comme stratégiques : on y retrouve notamment les nouveaux blockbusters que sont à l’étranger le tulsi (Ocimum sanctum), l’ashwagandha (Withania somnifera), le brahmi (Bacopa monnieri), le neem (Azadirachta indica) ou le jatamansi (Nardostachys jatamansi). Au total, pas moins de 180 000 plantes ont été mises en terre depuis 2008 à l’initiative de l’État.

L’ayurvéda en version sous-titrée

Comment la phytothérapie ayurvédique s’est-elle modifiée en devenant un produit globalisé ? Après tout, dans la tradition indienne, la phytothérapie est inséparable d’autres techniques comme le yoga, l’exercice, la diète, les techniques respiratoires ou les pratiques de méditation. Pour la phytothérapie elle-même, l’accès au marché mondial et la production de masse a également impliqué quelques adaptations ou compromis pour répondre aux attentes d’une nouvelle clientèle...

internationale et aux contraintes légales des États-Unis ou de l’Union européenne.

Les industriels ont notamment reformulé, simplifié et standardisé leurs remèdes pour répondre à nos exigences de traçabilité, d’études de toxicité ou de sécurité d’usage. Ainsi les remèdes ayurvédiques combinent couramment de très nombreuses plantes, pas moins de quinze par exemple pour de simples dragées pour les hémorroïdes. À la prise de tulsi, ou basilic tropical, les Indiens préféreront souvent le Panchatulsi, un mélange de cinq variétés différentes de tulsi aux propriétés complémentaires. L’efficacité des remèdes traditionnels est également très liée à leurs modes de préparation. Ceux-ci peuvent différer selon les déséquilibres de la personne et l’harmonie entre ses trois principes vitaux, ou doshas (vata, pita, kapha). Élaborées sur des millénaires, fondées sur des traductions du sanskrit combinées à des traditions régionales et orales distinctes, ces recettes peuvent également recouvrir une grande diversité de formules et de mode de préparation. Pour un remède en apparence aussi « simple » que le triphala (lire l’encadré page précédente), on a dénombré plusieurs milliers de recettes différentes en termes de concentration, de modalités d’extraction, de solvants...

Si un même remède peut être utilisé pour des affections différentes et contient dix ingrédients ou plus, comment déterminer ses principes actifs par nos méthodes de pharmacologie occidentales ? La standardisation des recettes et des formes galéniques, si elle les a d’une certaine façon appauvris, a aussi permis de répondre à ces questions et aux attentes des consommateurs occidentaux en termes de sécurité d’usage, mais aussi en termes de « principes actifs » (par exemple, une teneur garantie en pipérine et gingérol pour le Trikatu). Cette notion est bien sûr au départ étrangère à la philosophie ayurvédique, qui s’appuie plutôt sur les principes vitaux et les propriétés sensibles des plantes qui leur font écho. Ainsi par exemple les notions d’odeur et de « saveur » des plantes (Rasa) – piquante, sucrée acide, salée, amère, astringente – sont déterminantes pour établir leur utilité dans telle ou telle situation.

Un modèle hybride

Pour cette raison, des critiques puristes ont pu voir dans la phytothérapie ayurvédique mondialisée une version appauvrie ou tronquée de cette philosophie de soin multimillénaire. Elle aurait, en passant les frontières, quelque peu perdu son âme. Pourtant, les choses sont sans doute plus compliquées. En effet, les grandes entreprises de phytomédicaments ayurvédiques ont parfois cherché à trouver un compromis entre les deux traditions en tentant de comprendre et établir le lien entre les molécules elles-mêmes et lesdites saveurs pour produire des remèdes cohérents à la fois pour la tradition ayurvédique et pour la science occidentale.

En outre, si les remèdes indiens ont été simplifiés pour l’exportation, les industriels n’ont pas pour autant renoncé à exploiter et promouvoir les propriétés des mélanges en tant que tels plutôt que les seules molécules ou plantes unitaires. En les faisant parfois tester par l’énorme réseau de médecins et de cliniques prescrivant leurs produits sur le territoire, ils ont pu trouver un autre compromis entre l’attachement de l’ayurvéda à l’individualisation des traitements et l’exigence occidentale de l’objectivation des résultats par le biais d’études cliniques. Autre symbole de ce nouveau modèle mixte : la mise en place d’équivalences entre les symptômes occidentaux et les catégories ayurvédiques. Ainsi, le guggul (Commiphora mukul) est aujourd’hui connu chez nous comme un anticholestérol, anti-inflammatoire des articulations et efficace pour perdre du poids. Ces indications ont été rendues possible grâce au travail de traduction effectué par les chercheurs et industriels indiens. En Inde, sa prescription se justifie pour purifier le sang, diminuer le feu digestif (Agni) mais aussi potentialiser et « porter » d’autres plantes (Yogavahi) auxquelles il est associé.

Cette nouvelle médecine ayurvédique mondialisée n’est ni à proprement parler traditionnelle, ni à proprement parler une nouvelle invention, mais un modèle inventif né du dialogue entre des traditions médicales aux prémices et philosophies très différentes. Les nouveaux produits n’ayant pas supplanté une médecine ayurvédique encore bien vivante, considérons-les plutôt comme une porte d’entrée vers les connaissances de cette science de la vie.

Mise à disposition des savoirs ou brevet ?

Parmi les nombreuses initiatives prises par  le gouvernement indien pour protéger les plantes et remèdes ayurvédiques contre la biopiraterie et les brevets déposés abusivement en Europe et aux États-Unis  (relire sur la question du Neem P&S n°154), une gigantesque banque de données numériques a été créée en 2000. Celle-ci transcrit en cinq langues les savoirs traditionnels sur des milliers de  plantes et substances utilisées dans les pharmacopées locales, ainsi que 230 000 formulations médicamenteuses. Mise à disposition de l’office européen des brevets  depuis 2009, cette liste réaffirme la nature commune et partagée de ces savoirs  traditionnels pour restreindre leur appropriation par les entreprises. 

Trois mélanges à connaître

Voici des exemples de  remèdes traditionnels  indiens couramment  disponibles en France.
Triphala (« 3 fruits »)  Combinaison déshydratée  des petits fruits haritaki (Terminalia chebula),  bahera (Terminalia Belerica), et amla (Emblica officinalis), triphala est un  tonique intestinal riche  en tanins, un anti-inflammatoire et un équilibrant  (ballonnements, constipations, intolérances  alimentaires).
Trikatu (« 3 amers ») Combinaison de poivre  long indien (Piper longum), gingembre (Zingiber officinale) et poivre noir (Piper nigrum), trikatu est  une formule réchauffante  qui augmente le « feu  digestif » (Agni) et élimine les toxines (Ama).
Trikulu (« 3 parfums ») Combinaison de cardamome (Elettaria cardamomum), de bambou  (Cinnamomum arundinaria) et de clou de girofle  (Eugenia caryophyllus),  trikulu est orienté vers  les problèmes cardiovasculaires (cholestérol,  triglycérides). 

Tourisme thérapeutique

Pour qui veut expérimenter la médecine  ayurvédique, de nombreuses possibilités  existent en Inde. Les hôpitaux (près de 2 500) et dispensaires (près de  22 000) les plus traditionnels côtoient  les lieux de retraites et de soins plus  branchés pour des soins associant  souvent diète, massages et pratique du  yoga. Le ministère indien de la Santé  en recommande certains. On retiendra  notamment pour leur sérieux et leur  confort : • l’Ahalia Ayurveda Hospital (dans le  Kérala) www.ahaliaayurvedic.org, • l’Arya Vaidya Sala (dans le Kérala)  http://aryavaidyasala.com, • le Kailash Institute of Naturopathy  (dans l’Uttar Pradesh)   www.kailashnaturopathy.com.
Pour des séjours bien-être, vous pouvez  également trouver de nombreux centres  de soin classés par région :   www.ayurvedaresortindia.com 

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