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L'armoise contre le paludisme

Armoise contre le paludisme

Deux ans après avoir été traité, à titre de prévention, avec le traitement antipaludéen Lariam, le chanteur Stromae en subit toujours les effets secondaires. Ce médicament, à base de méfloquine, est en effet connu pour ses effets indésirables : troubles neuropsychiques, anxiété, dépression, confusion mentale ou encore hallucinations.  Pourtant, depuis longtemps, l’armoise annuelle (Artemisia annua) est connue pour ses propriétés antipaludéennes. En 2015, le prix Nobel  de médecine a été attribué à la chinoise Youyou Tu pour ses recherches sur le rôle antipaludique de l’artémisine, une molécule de l’armoise annuelle.  D’autres médecins, comme le Dr Onimus, chirurgien orthopédiste engagé dans des missions humanitaires en République Centrafricaine, utilisent directement la plante (feuilles et tigelles) en tisane ou en gélules. Confronté à des crises de paludisme, notamment chez des enfants qu'il opérait, il a utilisé la plante avec succès, quitte à s’émanciper des recommandations de l’OMS. Rencontre.

Plantes & Santé Comment avez-vous accueilli la nouvelle de ce prix Nobel ?

Dr Michel Onimus Youyou Tu a le mérite d’avoir attiré l’attention sur l’artémisine. Mais quarante ans après ses recherches, avec le recul lié à la pratique clinique et aux données épidémiologiques disponibles, il n’est pas certain que cette molécule soit la plus pertinente, en tout cas prise isolément, dans la lutte contre le paludisme. Quant à nous, nous avons privilégié l’usage de la plante entière, pour des raisons à la fois d’efficacité et de coût.

P & S Vous connaissiez depuis longtemps les vertus de l’armoise annuelle (Artemisia annua) ?

Dr M. O. Non. Par un concours de circonstances, j’ai découvert une association, Artemisia contre le paludisme, qui la cultivait près de chez moi, en Franche-Comté et promouvait son utilisation dans les pays du Sud. Or depuis 1983, nous partons plusieurs fois par an en mission en République centrafricaine avec l’ONG Les Amis comtois des missions centrafricaines (ACMC) pour opérer des enfants en situation de handicap. Nous sommes régulièrement confrontés à des poussées de fièvre postopératoire, le plus souvent dues à des accès palustres, à l’effet du choc opératoire sur des systèmes immunitaires fragilisés par une malaria chronique. Une écrasante majorité de la population locale a en effet dans le sang le parasite Plasmodium falciparum. Nous avons longtemps traité ces poussées de fièvre par des sels de quinine, mais après avoir étudié l’effet inhibiteur évident de l’armoise sur le cycle parasitaire, y avoir recours nous a semblé beaucoup plus logique.

P & S Comment cela s’est-il déroulé et quels ont été les résultats ?

Dr M. O. Nous avons mené une étude préliminaire sur 25 cas et publié les résultats, qui se sont avérés très encourageants. À la suite du traitement, parfaitement toléré, la parasitémie moyenne (nombre de Plasmodium par millilitre de sang) a diminué de plus de 60 % et il n’y a eu aucune fièvre postopératoire. Nous continuons donc à traiter préventivement de cette manière tous les enfants opérés.

P & S Pourquoi avoir choisi d’utiliser des gélules ?

Dr M. O. Les gélules de poudre (feuilles et tigelles) sont plus faciles à administrer aux enfants. Ce qu’on reproche – l’OMS notamment – à la tisane, c’est la perte d’une partie des principes actifs de la plante qui ne sont pas solubles dans l’eau. Avec la plante séchée, on n’a pas ce problème. Mais des effets préventifs et curatifs ont également été prouvés pour la tisane. D’ailleurs, quand nous sommes en Centrafrique, mon épouse et moi-même en buvons tous les soirs, comme le préconise la médecine traditionnelle chinoise depuis des siècles.

P & S Vous utilisez l’armoise annuelle sur des temps courts : peut-on imaginer une utilisation sur plus long terme, en préventif ou en curatif ?

Dr M. O. On ne cherche pas à supprimer la présence de parasites dans le sang, mais à la faire diminuer pour éviter les complications postopératoires. Étant donné la prévalence du paludisme localement, c’est illusoire de penser qu’on va l’éradiquer grâce à
l’armoise annuelle, pas plus qu’avec les médicaments allopathiques. Mais comme cela a été prouvé dans des études faites au Kenya et en Ouganda, utilisée à long terme, la plante est un bon outil de prévention chez l’enfant. Nous avons également reçu plusieurs témoignages de personnes soignées avec succès de leur crise de paludisme par la tisane ou des gélules, montrant qu’elle fonctionne aussi en curatif.

P & S Comment expliquer dès lors que l’OMS déconseille l’utilisation de la plante entière et insiste sur l’utilisation de son principe actif, l’artémisine ?

Dr M. O. Concernant la plante entière, ils avancent, à raison, qu’« on ne sait pas ce qu’on donne » : il y a du vrai, dans le sens où en utilisant le totum d’une plante, on ne maîtrise pas avec précision la concentration en principes actifs, qui dépend du lieu de culture, du moment de la récolte, des techniques de séchage, de la galénique… Mais même en tenant compte de cela, on se rend compte que, bon an mal an, la plante entière fonctionne. Et surtout, avec l’équivalent d’une dose d’artémisine de l’ordre de 0,5 mg par jour, soit des doses plusieurs centaines de fois moins fortes que ce que recommande l’OMS pour l’artémisine contenue dans l’ACT, la thérapie qu’elle préconise. Ce qui est désormais démontré dans plusieurs recherches, c’est qu’une multiplicité de principes actifs fonctionnant en synergie, principalement des flavonoïdes, concourt à l’effet antiparasitaire. Ce qu’on sait également, c’est qu’une autre variété d’armoise, Artemisia afra, est aussi efficace contre le Plasmodium falciparum, alors qu’elle ne contient pas d’artémisine. C’est donc que l’efficacité de l'armoise annuelle ne tient pas, ou en tout cas pas seulement, à l’artémisine.

P & S Dans ce cas, comment expliquer que l’industrie pharmaceutique ne se soit emparée que d’une des molécules actives de l’Artemisia ?

Dr M. O. La médecine officielle ne veut entendre parler que de molécules, seules ou combinées. Pas de plantes entières, et encore moins de tisanes. La conséquence de cette fixation sur les molécules isolées est qu’on a rapidement vu apparaître des phénomènes de résistance aux monothérapies par artémisine et que l’OMS a, dès 2002, recommandé de l’associer systématiquement à d’autres molécules de synthèse. Pourtant, dans un contexte local où ces ACT sont dix fois plus chères que la quinine et donc peu accessibles aux familles les plus pauvres, parfois en pénurie, voire pas disponibles du tout, il faut bien s’adapter au contexte. Et une des réponses, facile à utiliser et à faible coût, c’est la plante entière. Nous agissons ainsi depuis 2010 et ça marche très bien. D’ailleurs, le ministre de la Santé centrafricain a approuvé notre initiative.

P & S Il y a des chances selon vous pour que cette pratique s’enracine localement ?

Dr M. O. Les gens acceptent volontiers d’en prendre, même s’il faut parfois lutter contre une tradition qui veut qu’on traite un enfant qui présente un accès palustre par une injection de quinine, avec le côté magique associé à la piqûre. En Afrique, des cultivateurs ont commencé la culture sur place, une fois qu’on leur a laissé des graines. Il faut vraiment promouvoir cette culture car c’est un outil très utile, en particulier dans les zones à faible accès aux soins.

Armoise annuelle et paludisme : 40 ans d’hésitation

1972 Isolement et extraction de l’artemisine de l’armoise annuelle (Artemisia annua) par l’équipe de Youyou Tu.

2001 L’OMS déclare l’artémisinine « le plus grand espoir mondial contre le paludisme ».

2002 L’OMS recommande l’introduction des polythérapies ACT (dérivés d’artemisine combinés à d’autres molécules) dans les pays touchés par la résistance aux antipaludiques classiques.

2006 L’OMS recommande de ne plus utiliser l’artémisine en monothérapie.

2000-2013 Baisse de 47 % de la mortalité liée au paludisme dans le monde sur la période.

2015 Prix Nobel attribué à Youyou Tu pour ses recherches sur l’artémisine.

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Plantes & Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé.
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