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Diana Beresford-Kroeger  « Chaque humain devrait planter un arbre par an pendant six ans »

Diana Beresford-Kroeger  « Chaque humain devrait planter   un arbre par an pendant six ans »

Botaniste et biochimiste médicale d'origine anglo-irlandaise, Diana Beresford‑Kroeger s'est intéressée très tôt au réchauffement climatique. Aujourd'hui installée au Canada, c'est en tant que scientifique accomplie et héritière des anciens savoirs celtiques qu'elle lance un message d'espoir : il est encore temps d'agir grâce aux arbres.

Plantes & Santé : Dans votre livre La Voix des arbres, publié cette année en France, vous racontez avoir reçu un enseignement celtique. En quoi cela a-t-il consisté ?

Diana Beresford-Kroeger J'ai perdu mes parents lorsque j'étais enfant. Or tous les étés, on m'envoyait dans ma famille irlandaise à Lisheens, dont les collines étaient semées d'autels, de cercles, de cairns, de pierres sacrées : à l'époque, cette vallée était peut-être le site le mieux conservé et le plus riche de culture celte dans tout le pays. Dans le système de lois ancestrales, une orpheline est supposée devenir l'enfant de tous, alors les anciens, surtout des femmes, ont décidé de me transmettre leurs savoirs. J'ai donc reçu une « tutelle brehonne ». Je me rappelle encore la première leçon : une sorte de promenade pharmaceutique durant laquelle ma grand-tante Nellie m'a présenté les propriétés de plusieurs plantes, à commencer par le pouliot. Bon nombre des enseignements étaient aussi psychologiques, pour m'aider à m'aimer et à avoir confiance en moi en tant que femme. J'ai appris des rituels, comme celui de Beltaine, qui célèbre le principe féminin ainsi que tout ce qui vient à la vie grâce au feu. Au final, ces leçons m'ont montré qu'on pouvait avoir une vision plus globale de la nature, voir l'impact des humains sur elle et vivre en équilibre avec l'environnement.

P&S Entre autres récompenses, vous avez été nommée en 2010 membre de Wings WorldQuest, une organisation internationale qui met en avant les travaux visionnaires de femmes scientifiques et d'exploratrices. Comment votre savoir celtique a-t-il influencé votre travail de botaniste et de biochimiste médicale ?

D. B.-K. À la fin de ma tutelle brehonne, on m'a fait une prédiction : j'aurais la responsabilité de transmettre au monde toutes ces connaissances ancestrales. J'avais 15 ans et non seulement je n'y ai pas cru, mais cela m'a fait peur ! Mes 22 enseignantes m'ont aussi dit de m'éduquer au maximum, ce que j'ai fait sans hésiter : j'ai étudié la botanique, la biochimie et la médecine. Dans les années 1960, mes études terminées, j'ai réalisé que des changements néfastes s'opéraient dans le monde : les gens avaient arrêté de protéger la nature et un grand défi attendait l'humanité, celui du réchauffement climatique. Plus tard, à la vue d'images satellite, j'ai pleinement ressenti que la Terre était notre foyer et que nous devions nous en occuper comme de notre maison. Le moment était venu de transmettre mon immense champ de connaissances, à la fois celtique et scientifique. Or, grâce à mes recherches en médecine sur le sang artificiel aujourd'hui utilisé pour les transplantations, j'avais la conviction que les gens pouvaient, main dans la main, faire de grandes choses ! J'ai quitté le milieu scientifique et universitaire dans lequel j'avais trop souvent dû faire face à des frustrations en tant que femme. Avec mon mari, nous avons acheté le terrain sur lequel nous vivons maintenant depuis quarante ans : j'y réalise mes propres recherches, c'est-à-dire que j'essaye de sauver les arbres menacés et je sélectionne les espèces qui résistent le mieux aux températures extrêmes. Les génomes de ces plantes sont protégés dans mon jardin.

Qu'est-ce qu'un « bioplan » ?

Diana Beresford-Kroeger a introduit la notion de « bioplan », un outil méthodologique dont chacun peut s'emparer afin de « créer et protéger l'environnement le plus sain possible pour lui-même, sa famille, les animaux qui vivent près de lui ». Il peut être très modeste (avoir sur son balcon un pot de menthe qui libère des aérosols bénéfiques aux voies respiratoires) ou plus ambitieux, comme quand les habitants de Winipeg (Canada) se sont unis pour protéger leurs ormes blancs menacés par le scolyte, un insecte pathogène. La scientifique voit ces efforts comme autant d'étincelles ranimant notre conscience.

Pour en savoir plus ou créer votre bioplan personnel : Dianaberesford-kroeger.com

P&S Afin de reconstituer la forêt mondiale, vous plaidez pour un « bioplan », qui vous a valu d'être mise en avant outre-Atlantique dans des médias tels que le New York Times. De quoi s'agit-il ?

D. B.-K. Ce bioplan défend une idée simple : si chaque habitant de la terre plantait un arbre par an pendant les six prochaines années, nous stopperions l'évolution du changement climatique. Nous enregistrons plus de 412 ppm de CO2 dans l'atmosphère. Pour redescendre autour de 300 ppm et faire baisser la température mondiale, il faudrait ajouter environ 48 milliards d'arbres sur la planète, d'où ce chiffre de six, puisque nous sommes un peu moins de 8 milliards d'humains (6 x 8 = 48, ndlr). Les arbres sont de merveilleuses machines moléculaires, qui tirent du carbone de notre atmosphère, le fixent dans leur bois et rejettent de l'oxygène. Il y a 300 millions d'années, les arbres ont fait d'un environnement toxique par sa charge carbonique un milieu propice à la vie humaine. Ils peuvent répéter cet exploit. Ce n'est pas la solution miracle au changement climatique, mais un moyen simple et bon marché de réparer les dégâts déjà causés et de gagner du temps afin de nous permettre de stabiliser le climat assez longtemps et tordre le cou à nos comportements destructeurs.

P&S Vous déplorez que la majorité de l'Irlande ait été déboisée, y compris la vallée où vous avez reçu les enseignements celtiques. Les forêts étant au cœur de cette culture, pourquoi la reforestation n'a-t-elle pas été une priorité ?

D. B.-K. L'Irlande était couverte de forêts jusqu'à ce que l'Angleterre conquière l'île au XIIe siècle. Le système colonial a alors déboisé pour le charbon, les chantiers navals, etc. Les Irlandais n'avaient pas le droit de posséder des arbres, ni même de détenir certaines graines car les Anglais redoutaient qu'ils se cachent dans les forêts ! C'était en effet un peuple forestier. D'ailleurs, dans l'alphabet celte, le plus vieux d'Europe, chaque lettre porte le nom d'un arbre : ailm, le pin, beith, le bouleau, coll, le noisetier, etc. Mais lorsque la domination anglaise a cessé au milieu du XXe siècle, l'île était dévastée et les Irlandais s'étaient finalement habitués à un paysage déboisé. Il fut difficile d'expliquer pourquoi les arbres devaient être replantés. Il se passe la même chose avec le climat : il y a trop de CO2 dans l'atmosphère, cela détruit la planète, mais les gens s'habituent à la situation. Je garde quand même espoir, notamment dans les femmes, car dans mon travail et lors de mes prises de parole ce sont elles qui m'ont le plus écoutée. Elles sont celles qui prennent soin de la famille, mais aussi du monde.

P&S Le Canada, où vous vivez, traverse cette année la pire saison de feux de forêts de son histoire. Comment analysez-vous cette catastrophe ?

D. B.-K. Les feux sont un phénomène naturel : ils ont toujours existé et sont un point de départ pour qu'apparaisse une forêt complètement différente au niveau génétique. Mais depuis ces dernières décennies, ils ne sont plus forcément d'origine naturelle, et nous n'avons pas cent ans à perdre pour voir ce qui va se passer ! En plus des émissions de CO2 qu'ils génèrent, il faut savoir que les feux créent des déserts dans les océans et dans les lacs. En effet, à mesure que les feuilles se décomposent sur le sol de la forêt, elles libèrent de l'acide fulvique, un acide humique capable de se lier avec le fer dans la terre. Ce fer oxygéné ruisselle de la forêt vers les rivières et les océans, un environnement pauvre en fer, et il y stimule la croissance du phytoplancton, créant ainsi l'équivalent d'un buffet marin. À cause des feux, la décomposition des feuilles ne peut plus avoir lieu. « Si tu veux attraper un poisson, plante un arbre », dit un vieux proverbe japonais. Quand on rase une forêt, on ne comprend qu'une petite partie de ce qu'on détruit. Nos vies sont liées aux arbres. Nous devons protéger ces forêts. Nous avons une fenêtre d'opportunité pour agir, mais il faut le faire vite.

Parcours

  • 1944 Naissance en Angleterre
  • Années 1950 et 1960 Enseignement celtique en Irlande, études en botanique et biochimie médicale
  • Années 1970 Recherches à l'université d'Ottawa (Canada) ; applications médicales dans la transplantation d'organes, le cancer, etc.
  • Années 1980 Quitte le milieu universitaire pour développer son jardin et arboretum de recherche près d'Ottawa
  • À partir des années 2000 Publication de plusieurs livres : Arboretum America, Arboretum Borealis, The Global Forest, etc.
  • 2010 Nommée membre de Wings WorldQuest, organisation qui valorise les travaux de femmes scientifiques et d'exploratrices
  • 2016 Sortie du documentaire Call of the Forest : The Forgotten Wisdom of Trees ; création d'une application pour la plantation d'arbres
  • 2016 Saluée comme l'une des 25 grandes exploratrices canadiennes par la Société géographique royale du Canada
  • 2023 Sortie en France des livres La Voix des arbres et Notre Forêt (éd. Tana) (Lire notre chronique p. 68)
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