Symbiose au jardin, de précieux déchets verts
Brindilles, tontes de gazon, feuilles et arbres morts, souvent perçus comme de vulgaires déchets du jardin, représentent en réalité une aubaine pour toute la faune environnante.
Qu'un arbre mort gise au fond du verger, il est aussitôt coupé pour ne pas gâcher le paysage. Que des tontes d'herbe s'amassent sur un coin de la pelouse, qu'un voile de feuilles mortes vienne couronner le pied des arbres, il faut nettoyer sans tarder ces déchets qui salissent notre jardin si bien entretenu. De telles réactions sont tout à fait courantes dans l'univers des parcs et jardins, malgré le développement rapide de l'agriculture biologique ou « naturelle ». Hélas, ce besoin compulsif de supprimer la moindre brindille qui ne nous semble pas à sa place, prive de nombreux animaux de nourriture ou de logis. Bien souvent pourtant, les jardiniers sont au fond des amoureux de la nature qui aiment contempler dans leurs massifs le ballet des insectes ou les petits passereaux faisant leur nid, et espèrent chaque printemps les y revoir nombreux. Pourquoi nous échinons-nous donc à reproduire toujours les mêmes erreurs ? Peut-être parce que nous avons vu nos aînés agir de la sorte, ou que nous redoutons le jugement de nos voisins. Quoi qu'il en soit, nul besoin de culpabiliser, car une raison bien plus profonde pourrait être à l'origine de ces réflexes…
Arbres morts, îlots de biodiversité
Parmi les indésirables et très encombrants déchets, figurent les arbres morts, d'allure peu utilitaire. Pourtant, ces derniers abritent de nombreux animaux emblématiques comme les chouettes et autres rapaces nocturnes, les petits mammifères ou encore les larves de gros coléoptères tels que le lucane cerf-volant, le grand capricorne ou la splendide rosalie des Alpes !
Des feuilles mortes pour les insectes
De nombreux habitants trouvent refuge sous les tapis de feuilles mortes en hiver, notamment les insectes décomposeurs, tels...
les cloportes ou certains coléoptères, mais aussi de nombreuses chenilles de papillons. Celles de la famille des Psychidae les utilisent même pour se confectionner un fourreau protecteur !
Des plantes séchées pour les abeilles sauvages
Au potager, nous avons tendance à retirer nos plantations dès lors qu'elles ont rendu l'âme. Si ces plantes ne nous sont plus utiles, elles peuvent cependant l'être pour les abeilles solitaires comme les osmies, qui aiment faire leur nid dans les tiges creuses de certains végétaux (angélique, fenouil, carotte sauvage, etc.).
Une peur ancestrale de la nature
D'après certains ethnologues et défenseurs de l'environnement, l'homme serait habité par une grande crainte à l'égard de cette nature inconnue, source de dangers. Celle-ci serait un héritage de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs qui, il y a dix mille ans (et probablement même avant) avaient affaire à de nombreuses bêtes féroces, sans disposer de réels moyens de protection.
Notre instinct, enraciné dans cette peur ancestrale, nous pousserait ainsi à vouloir maîtriser à tout prix une nature indomptable ou, pire encore, à la détruire. C'est ce que soutient l'ancien chercheur et conservateur au MNHN (Muséum national d'histoire naturelle) François Terrasson dans son ouvrage, La Peur de la nature. De même que l'écologue Jean-Claude Génot, qui nous révèle, dans La nature malade de la gestion, l'ambiguïté de notre relation avec cette dernière et notre besoin de contrôle permanent, qui se manifeste également au jardin. Ainsi, nous ne pouvons espérer un meilleur avenir pour la planète qu'en désactivant les leviers de cette peur, plutôt irrationnelle dans l'environnement européen, où plus un seul animal sauvage n'est à craindre (pas même les serpents, souvent objets de phobies). Il convient aussi d'accepter autant que possible de laisser libre cours à l'expression de cette nature. Cela n'a rien d'évident, mais nous pouvons tous, à notre rythme, tenter de l'expérimenter dans nos jardins. Il nous revient de passer au-delà de ces peurs pour en faire des milieux accueillants pour la biodiversité.
Laissez en place les feuilles mortes et les restes de tonte
Pourquoi ne pas commencer simplement, en laissant les feuilles mortes s'installer à l'automne au pied de votre haie ou d'un arbre choisi ? Celles-ci procureront un abri à de nombreux insectes dans le courant de l'hiver, tandis que leur décomposition nourrira votre sol, surtout au pied des massifs fleuris. De même que celle des tontes d'herbe, qui peuvent être laissées de temps à autre, surtout si vous optez pour le « mulching » qui permet d'obtenir un broyage très fin. Si vous ne pouvez pas vous empêcher de ramasser l'herbe coupée, réutilisez-la au compost, ou laissez-lui le temps de sécher pour l'employer comme paillis léger au potager. Des branches tombées au sol ou un arbre mort (surtout s'il est creux) sont également une mine d'or pour de nombreux animaux qui s'en nourrissent ou y trouvent logis. Tant qu'ils ne représentent pas un danger ou une gêne, laissez-les en place. Quant aux végétaux du potager, même séchés sur pied, ils feront le bonheur de nombreux insectes, surtout si ces derniers ont une tige creuse capable de les loger, eux ou leur progéniture !
En France, la surface des jardins particuliers est estimée à 1 million d'hectares, quatre fois l'étendue de nos réserves naturelles. Ces gestes simples pourront y prouver leur efficacité pour préserver la biodiversité. Tandis que l'arrivée de nouveaux insectes et animaux permettra de se familiariser davantage avec cette nature, et de poser sur elle un regard plus apaisé.
L'avènement des « jardins sauvages »
Si ces idées vous semblent saugrenues, que vous n'imaginez pas pouvoir laisser un tel « fouillis » s'installer dans votre jardin, constatez plutôt la réussite des jardiniers aventureux qui s'y sont essayés ! Le Jardin des petites ruches, installé en Bourgogne, est un véritable paradis d'abondance et de biodiversité, de même que le domaine de la Fée d'Arlane, en Provence, ou les « jardins punk » du paysagiste Éric Lenoir. Leurs propriétaires y donnent des stages et ateliers pour vous initier à des cultures plus inventives.