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Les étonnantes légendes des « animaux-plantes »

Les étonnantes légendes des « animaux-plantes »

Les bestiaires médiévaux sont peuplés de créatures fabuleuses, souvent associées à des récits moraux édifiants. Deux légendes firent ainsi état d'animaux poussant comme des fruits sur des plantes : une sorte d'oie sauvage, et un agneau. Ces mythes ont probablement pour origine des observations de végétaux ou animaux réels, enjolivées par les croyances de l'époque… Explications.

La bernache est une sorte d'oie sauvage bien connue en Europe, mais nichant très loin au nord, de sorte que sa reproduction a longtemps fait l'objet de spéculations. Elle a donné lieu à deux légendes apparues dans les textes autour de l'an 1000, qui ont ensuite prospéré. Selon la première version, que l'on trouve notamment chez le théologien italien Pierre Damien (vers 1007-1072), les bernaches naîtraient sur des arbres, comme des fruits qui, une fois mûrs, prendraient leur envol. Dans la seconde version, rapportée entre autres par l'historien gallois Giraud de Barri (vers 1146-1223), ces oiseaux se formeraient sur des morceaux de bois flottant sur la mer, par une sorte de décomposition : d'abord apparaîtraient des « boutons » devenant des « coquillages », qui eux-mêmes se métamorphoseraient en oies. Ces deux versions tendent à se rejoindre vers 1200 et, sous diverses variantes, connaissent un grand succès au cours du XIIIe siècle. Selon certaines, des arbres côtiers produisent des fruits qui, en tombant dans la mer, subissent une transformation et deviennent des oies.

Cabinets de curiosités

L'existence de ces « animaux-plantes » est largement admise au Moyen Âge. Rares sont les auteurs qui, comme Albert le Grand (vers 1200-1280), osent mettre en doute le mythe, et toute une iconographie se développe à partir de ce thème. La légende donne également lieu à maints débats et interprétations scientifiques ou théologiques. Par exemple, alors que la vie quotidienne de la plupart des Européens obéit aux préceptes du christianisme, on s'interroge sur la nature de la chair de la bernache (viande ou poisson ?), car de là dépend la possibilité ou non de la consommer pendant le Carême.

La légende de la bernache perdure ainsi plusieurs siècles. À la Renaissance, elle connaît une nouvelle vigueur, car bien que certains savants manifestent à son égard un certain scepticisme, d'autres, comme l'historien écossais Hector Boece (vers 1465-1536), prétendent avoir observé des bernaches embryonnaires et en exposent même dans leurs cabinets de curiosités. Ce n'est qu'à la fin du XVIIe siècle que le mythe, de plus en plus en décalage avec les avancées de la science, commence à décliner.

La légende de l'agneau...

de Tartarie relève du même imaginaire. Mais au lieu d'oiseaux, ce sont ici des agneaux qui sont supposés naître sur une plante. Elle est attestée pour la première fois dans le récit d'Odoric de Pordenone (vers 1286-1331), un moine franciscain qui voyage en Inde et en Chine entre 1316 et 1330. Dans son texte, celui-ci évoque une plante d'Asie centrale (la « Tartarie » ou « Scythie ») produisant un fruit qui, quand on l'ouvre, contient « une bêtelette de chair vive » qui est « comme un petit agnelet ». Il compare ce cas à celui des bernaches.

Douceur de la laine d'astrakan

Là encore, le mythe va prospérer en Europe et être enjolivé de diverses manières. À la Renaissance, Sigmund von Herberstein (1486-1566), ambassadeur allemand en Russie, mentionne de nouveau la créature sous le nom de « barometz ». Il la situe dans les environs de la mer Caspienne et la décrit comme un agneau à laine très douce, attaché par le nombril à une sorte de courge, broutant les plantes tout autour et mourant une fois qu'il ne reste plus rien. Cette version est reprise par de nombreux auteurs, jusqu'à la fin du XVIIe siècle. C'est à partir des années 1680, lorsque le naturaliste et voyageur allemand Engelbert Kaempfer (1651-1716) échoue à découvrir l'« agneau de Tartarie » lors de son séjour en Asie centrale, que la légende commence à perdre tout crédit auprès des savants européens.

À partir de ce moment, plusieurs auteurs vont tenter de comprendre l'origine de ces drôles de mythes et de démontrer qu'ils ont eu pour base des observations réelles, déformées au cours du temps par la fantaisie des écrivains. Kaempfer lui-même ouvre la voie au sujet de l'agneau de Tartarie, pour lequel il propose une hypothèse. Selon lui, la douceur extrême que l'on prête à la toison de cet animal-plante correspond bien à la fourrure d'astrakan, qui est connue en Europe mais dont on ignore généralement la provenance : or, Kaempfer a pu observer que celle-ci est issue d'agneaux mort-nés, et il juge donc que là peut se trouver l'origine du mythe.

Un coquillage vivant fixé sur des objets flottants

Quelques années plus tard, d'autres auteurs estiment que l'agneau de Scythie est en réalité le rhizome séché d'une fougère qui, arrangé d'une certaine manière, ressemble un peu à un mouton. En 1887, le naturaliste anglais Henry Lee propose une autre explication : selon lui, c'est probablement un arbuste dont les fruits produisent des fibres, comme le cotonnier, qui est à l'origine non seulement de la légende des agneaux naissant sur des plantes, mais aussi de celle des oies poussant sur des arbres. Mais d'autres éléments, réels ou imaginaires, ont aussi participé au mythe.

Une fougère ou un mouton ?

L'hypothèse selon laquelle l'agneau de Tartarie serait né de l'observation du rhizome d'une fougère fut proposée deux fois indépendamment : d'abord en 1698 par le savant anglais Hans Sloane (1660-1753), membre de la Royal Society de Londres, puis en 1726 par le naturaliste de Dantzig Johann Philipp Breyne (1680-1764). Tous deux observèrent le rhizome velu de plusieurs fougères arborescentes qui, une fois arrangé d'une certaine manière, pouvait évoquer un mouton, avec les départs des feuilles figurant les pattes. L'explication, astucieuse, fut longtemps acceptée : Linné nomma ainsi en 1753 Polypodium barometz (aujourd'hui Cibotium barometz) l'une de ces fougères arborescentes suspectées d'être l'agneau de Tartarie. Mais même cette hypothèse est sans doute fantaisiste : les fougères de ce type poussent plutôt en Asie du Sud-Est et en Amérique. L'hypothèse du cotonnier reste donc la plus convaincante.

Dans le cas des bernaches, un organisme marin a joué un rôle important : il s'agit de l'anatife ou « pousse-pied », qui ressemble à un coquillage vivant fixé sur des objets flottants. On trouve à l'intérieur des appendices filiformes qui évoquent une plume d'oiseau. Il est probable que cet organisme a été pris pour une oie embryonnaire apparaissant sur du bois flottant. Puis cette croyance aurait fusionné avec le mythe inspiré par le cotonnier, donnant naissance à plusieurs versions hybrides. Ce n'est qu'au XVIIIe siècle que la véritable nature de l'anatife, un crustacé, sera mise en évidence. Dans le contexte des Lumières, ces mythes deviendront ainsi emblématiques des errements auxquels peuvent conduire la crédulité et le goût du sensationnel.

Le mythe vu par les philosophes des Lumières

À partir de la fin du XVIIe siècle, la plupart des savants cessent de croire aux légendes des bernaches et de l'agneau de Tartarie, et certains s'emploient à déterminer sur quelles observations réelles elles sont fondées, et à s'en moquer. Ainsi, en 1751, le philosophe Denis Diderot consacre un article (Agnus Scythicus) de l'Encyclopédie à l'agneau de Tartarie. Il rejette cette « fable merveilleuse » et juge que cet exemple doit fournir « des réflexions utiles contre la superstition et le préjugé ». Selon lui, plus un fait semble incroyable, plus il doit susciter la méfiance, même s'il est attesté par des auteurs réputés sérieux.

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