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Roumanie, mystique et magie du végétal

Roumanie, mystique  et magie du végétal

Une biodiversité extraordinaire et un environnement préservé, c'est ce qui caractérise la Roumanie, pays d'Europe aux terres peu polluées. Il recèle ainsi une kyrielle de plantes médicinales aux usages parfois surprenants, transmis oralement depuis le Moyen Âge !

Autour du solstice d'été, lors de la fête traditionnelle de Sânziene (20- 24 juin), les Roumains récoltent le caille-lait jaune (Galium verum L.), aux fleurs dorées et aux pétales en forme de croix, qu'ils appellent sânzienele. Ils en font des bouquets et en tressent des couronnes, qu'ils placent sur des icônes ou les portes des maisons afin de les protéger des maladies, de leur apporter chance, abondance et longue vie.

En Roumanie, comme ailleurs dans le monde, les plantes sont utilisées pour leurs vertus, médicinales voire magiques. Il est vrai que la flore y est particulièrement exceptionnelle, de par la diversité géographique du pays où coexistent steppes (les seules en Europe !), forêts, plaines alluviales, montagnes, littoral… Des Carpates à la mer Noire en passant par la Transylvanie, on recense dans ce pays bordé par le Danube près de 20 000 espèces végétales, dont 3 700 plantes sauvages. Près de mille d'entre elles sont utilisées par une médecine populaire qui a traversé les siècles et demeure bien vivante aujourd'hui.

Dès l'Antiquité, des livres tels le De materia medica de Dioscoride (60 après J.-C.) ou l'Herbier du Pseudo-Apulée (IVe siècle) décrivent les plantes utilisées par les Daces, ancêtres des Roumains actuels, aux remèdes déjà réputés.

L'homéopathie en Transylvanie

Samuel Hahnemann (1755-1843), le père de l'homéopathie, a séjourné deux ans (1777-1779) à Sibiu, en Transylvanie. Alors étudiant en médecine, il y a travaillé comme secrétaire et bibliothécaire du baron Samuel von Brukenthal, le gouverneur de la région. Ce n'est que plus tard, en 1790, qu'il « invente » l'homéopathie, en expérimentant sur lui- même l'effet de différentes doses de quinine (China). Il connaissait bien ce remède, qui l'avait aidé à soigner le paludisme dont il souffrait à Sibiu !

« De l'eau prise au puits avant le lever du soleil… »

Tout au long du Moyen Âge, leurs connaissances se sont transmises, principalement par voie orale, ou ont été consignées dans des manuscrits précieusement...

conservés au sein des monastères. Et des voyageurs témoignent dans leurs lettres comment ils ont été guéris, qui de son rhume, qui de sa fièvre ! « Les femmes roumaines utilisent efficacement des mauvaises herbes négligées par d'autres pour guérir diverses maladies », précise József Benkő, prêtre calviniste originaire de Transylvanie, dans un traité écrit en 1783 qui détaille les usages de quelque 400 espèces de plantes médicinales locales.

La Société roumaine d'ethnopharmacologie (SRE), fondée en 2001, s'est appuyée sur plus de 450 traités de médecine, livres de botaniques et autres ouvrages… ainsi que sur des enquêtes, menées entre 1969 et 2019 : 6 100 personnes, issues de 1 112 localités, ont ainsi décrit des pratiques parfois surprenantes, tant dans la réalisation des remèdes que dans leurs indications

« Dans la plupart des cas, les infusions, décoctions, lavages, bains… se font avec de l'eau prise au puits avant le lever du soleil et avant que d'autres personnes ne l'utilisent. Cette eau est considérée comme possédant des qualités thérapeutiques particulières, et même magiques », illustre dans un article paru dans la revue Ethnopharmacologia* Angela Marculescu, présidente de la SRE. Certains remèdes préconisent, plus étrangement, de faire bouillir les plantes dans de l'eau-de-vie « avec des matrices de chou ou de bortsch » ! La présidente évoque aussi des pratiques plus « directes », telle « la flagellation avec certaines plantes, le fait de faire coucher le patient sur un lit de plantes ou de le mettre dans un sac rempli de plantes, ou encore de le faire passer à travers des tiges de plantes fendues »… Sans oublier les aspects mystico-magiques, dans ce pays à la riche tradition folklorique où les sorcières gitanes concurrencent encore aujourd'hui les popes orthodoxes !

L'ail pour conjurer les mauvais esprits

En Roumanie, l'ail permet de tenir à distance moroïs (vampires), vârcolac (loups-garous), strigoï (revenants) et sorcières. On en mange et on frotte des gousses sur le pourtour de toutes les ouvertures des maisons (portails, portes, fenêtres, conduits de cheminée…) tout en prononçant une conjuration en roumain. Et pour que les morts restent bien sous terre, on en place aussi dans leur cercueil, ainsi que dans leur bouche, leur nez et leurs oreilles ! L'un des responsables de l'exécution de Nicolae Ceauescu en 1989 avait, dit-on, entièrement tapissé son appartement de gousses d'ail, de peur que le Conductor ne revienne se venger !

Icônes, incantations et récoltes du Vendredi saint

Des recherches historiques en ethnopédiatrie menées à la faculté de médecine de Bucarest évoquent que de nombreuses maladies infantiles ont été attribuées à l'action d'êtres maléfiques de la mythologie. Dans la médecine populaire, leur nom peut désigner également la maladie mais aussi son remède : ainsi, la muma-pădurii, la « mère de la forêt », peut rendre visite aux enfants la nuit et être la cause de leurs terreurs nocturnes (surnommées muma-pădurii). C'est aussi l'un des noms vernaculaires de l'aspérule odorante (Galium odoratum) qui les soigne. Ces mêmes chercheurs rapportent aussi qu'il est encore de coutume, afin de renforcer leur efficacité thérapeutique, d'accrocher les plantes médicinales à des icônes, de les faire sanctifier au cours de cérémonies religieuses dans les églises orthodoxes, ou encore de prononcer, en les cueillant ou en préparant les remèdes, quelques incantations

Dans les villages isolés, certaines prescriptions surprenantes ont pu se développer, parfois très différentes des usages habituels de la pharmacopée roumaine : dans les environs de Geoagiu, en Transylvanie, on boit du thé de turiță mare (Agrimonia eupatoria) pour soigner l'asthme ; on s'encense avec de la fumée d'« herbe à vents » (Seseli varium), récoltée un Vendredi saint, pour soigner la grippe ou le rhume ; on applique des compresses de morceaux d'écorce de charme (Carpinus betulus) prélevés sur l'arbre avec un outil en bois afin de soulager ses rhumatismes douloureux ; on rince aussi les plaies qui ne guérissent pas avec du thé de trèfle rouge (Trifolium pratense).

Les paysans roumains disent que « toutes les mauvaises herbes guérissent, mais que tout le monde ne connaît pas leur secret… ». Les ethnopharmacologues, de leur côté, s'attachent à (re) découvrir des traditions aujourd'hui menacées par l'exode rural et la disparition des « anciens ». Mais aussi à identifier les principes actifs qui justifient les prescriptions les plus étonnantes avec, à la clé, qui sait, de nouveaux remèdes ?

*Ethnopharmacologia n° 66, janvier 2022.

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