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Dr Franck Gigon : « Légaliser le chanvre serait une véritable avancée thérapeutique »

Dr Franck Gigon : « Légaliser le chanvre serait une véritable avancée thérapeutique »

Passionné par l'impact du végétal sur notre santé, le Dr Franck Gigon se penche sur les vertus du chanvre thérapeutique dans Stupéfiant !, son dernier livre. Alors que l'ANSM devrait se prononcer sur son expérimentation, les recherches sur les vertus de la plante se multiplient. Le point sur la question.

Plantes & Santé. Vous êtes médecin généraliste spécialisé en phytothérapie et en micronutrition. Pourquoi avoir consacré un livre au chanvre ?

Franck Gigon. Je pense à titre personnel que le chanvre devrait être réhabilité. L’homme l’a utilisée pour se nourrir, se vêtir, se loger, voyager ou pratiquer son culte religieux depuis des centaines d’années. Pendant tout ce temps, il a sans s’en rendre compte profité de ses vertus médicinales, notamment aux plans de la digestion et de la gestion de la douleur. Mais, dans les années 1930, alors que les Américains étaient les plus importants producteurs de chanvre au monde, les firmes de coton et de fibre nylon ont diabolisé cette plante. On l’a accusée d’exciter les populations et d’être « la drogue des violeurs de femmes blanches ». Le chanvre est passé dans la catégorie des stupéfiants, d’abord aux États-Unis puis, progressivement, partout dans le monde. En France, elle a été retirée de la pharmacopée française en 1953. Dans la tête de beaucoup de gens, notamment parmi les professionnels de santé, l’image du chanvre en tant que drogue a pris le dessus sur celle de la plante médicinale.

Quelles sont, selon vous, les accusations les plus injustifiées ?

On reproche toujours au chanvre la présence de THC une molécule naturelle psychotrope pouvant donner la sensation de planer, mais capable aussi d’altérer les cerveaux sensibles des plus jeunes encore en voie de maturation, jusqu’à parfois induire chez eux des cas de schizophrénie. Cette situation peut se rencontrer malheureusement avec tous les psychotropes, et les jeunes, souvent dans la transgression, boivent de l’alcool, fument du tabac, usent de médicaments psychotropes y sont aussi exposés. Les études montrent que c’est plus le terrain psychologique et génétique du consommateur qui importent vis à vis du cannabis plus que les cannabis lui-même. Il faudrait à ce sujet plutôt une vraie grande politique de prévention pour protéger nos jeunes des psychotropes quels qu’ils soient, au moins jusqu’à leur majorité. Cela serait beaucoup plus pertinent que la prohibition et la criminalisation qui s’avèrent au final inefficaces et contre-productifs depuis toutes ces années...car il n’y jamais eu autant de consommateurs de cannabis.

Par ailleurs, les effets indésirables graves se révèle à l’analyse assez peu fréquents, les personnes réagissant en général bien au THC pris à faibles et moyennes doses. Le vrai problème, c’est que des filières illégales ont créé des chanvres hybrides récréatifs pouvant contenir jusqu’à 25 % de THC, très réactifs et dangereux chez certains sujets. Dès lors, les pharmacologues ont pris légitimement peur. L’addiction et la dangerosité du cannabis sont aussi souvent dénoncés malgré des classements beaucoup plus faibles de l’alcool et du tabac dans ces registres : par exemple, 2 à 9 % des consommateurs de cannabis seraient des consommateurs chroniques contre 15 % des buveurs d’alcool et 32 % des fumeurs de tabac. Et encore, il s’agit bien souvent de polyaddicts, donc on ne peut pas imputer leur addiction uniquement au chanvre.

Aujourd’hui, les recherches lancées dans les pays ayant autorisé le chanvre thérapeutique se penchent plus spécifiquement sur le CBD. Cette molécule tient-elle ses promesses ?

Indéniablement. Depuis plus de cinq ans, 1 500 études ont été menées sur ce cannabinoïde à l’étranger, montrant que cette substance est extrêmement intéressante d’un point de vue médical. Même sans la présence de THC, les études montrent que le CBD permet de lutter contre les douleurs chroniques et les troubles de l’appétit. C’est un anti-inflammatoire, anti-rejet de greffe et anti-allergique ; il a des effets antidépresseurs et agit sur les troubles du sommeil. C’est aussi un anti-cancer à tous les stades, il améliore l’efficacité et la tolérance des radio et chimiothérapie et peut soulager les crises d’épilepsie, les symptômes d’Alzheimer et les effets de Parkinson. Le tout, sans effet secondaire, contrairement aux autres traitements existants. Il pourrait également être utilisé par les psychiatres pour ses effets psychotiques.

Cependant, le CBD qui n’est pas une molécule psychotrope, se situe dans une zone juridique floue, ni complètement interdite, ni complètement autorisée ce qui fait que sa vente en France peut être bloquée par les préfets* selon leur appréciation administrative. En effet, le CBD (cannabidiol) ne fait pas l’objet chez nous d’une distinction biochimique par rapport au THC et peut être assimilé de fait à un stupéfiant ! Du coup, les personnes souffrantes vont en pays frontaliers comme la Suisse par exemple pour se procurer du CBD. Et les résultats sont là ! Je pense que la France devrait au moins autoriser très rapidement les études sur ce cannabidoïde, dont un grand nombre de publications attestent de son efficacité et de sa bonne tolérance… Quand on sait maintenant que de graves états épileptiques de l’enfant rebelles, des inflammations et des douleurs chroniques, sont fortement soulagés par le CBD et même le THC, on se demande pourquoi le développement de la recherche clinique sur ces molécules végétales est encore freinée...

Donc, pour vous, les résultats des études scientifiques prouvant les effets bénéfiques du chanvre sont aujourd’hui suffisants pour en autoriser la prescription à titre thérapeutique ?

Le chanvre étant interdit, il a longtemps été impossible de faire des études scientifiques pour montrer qu’il n’était pas si dangereux qu’on voulait nous le faire croire. Mais nous avons largement de quoi prouver ses vertus thérapeutiques ! C’est juste incroyable que l’on n’aille pas dans ce sens. En interdisant les études sur le chanvre contenant plus de 0,2 % de THC en France, on se prive d’une matière médicale extrêmement intéressante. Au final, la France prend un énorme retard en matière de recherche médicale. C’est le pays de l’Union européenne qui criminalise le plus le chanvre, avec le Royaume-Uni. À tel point qu’on restreint même l’accès aux médicaments à base de chanvre ayant fait leurs preuves à l’étranger, comme l’Epidiolex (intéressant pour l’épilepsie des enfants) ou le Marinol. En effet, il est très difficile pour les patients de se les voir prescrire. On leur impose d’avoir épuisé au préalable tous les recours thérapeutiques. Alors, là encore, les malades français se tournent vers les autres pays, quittes à être dans l’illégalité. La crispation idéologique autour du chanvre est obsolète. Elle est maintenue à cause des inquiétudes liées aux effets du THC, mais même ceux-ci peuvent être contrôlés. Il suffirait de faire un produit d’État, avec une teneur en cannabinoïdes contrôlée.

Justement, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) réfléchit à la forme que devraient prendre les prescriptions de chanvre thérapeutique. Aujourd’hui, il est principalement pris sous sa forme naturelle. Est-ce la bonne solution ?

Actuellement, de nombreuses personnes malades et en souffrance pour lesquelles les médicaments ont montré leurs limites sont tentées de faire pousser du chanvre dans leur jardin. Mais beaucoup font l’erreur de le fumer, s’exposant aux risques liés à la haute combustion et perdant une bonne partie des molécules intéressantes de la plante. D’après les retours de nombreux malades, il semblerait que ce soit sous forme de teinture mère ou d’huile et en vapotage que le chanvre fonctionne le mieux. Aussi, utiliser le totum de la plante plutôt que des molécules isolées serait préférable, puisque les effets secondaires seraient bien moindres. En effet, le CBD vient par exemple moduler les effets planants du THC. Cela est scientifiquement et expérimentalement prouvé. Des études ultérieures permettront donc de connaître le rapport optimal entre CBD et THC en fonction des pathologies concernées.

Si c’était autorisé, prescririez-vous du chanvre thérapeutique à vos patients ?

J’attends que ce soit légalisé avec impatience ! Selon moi, il s’agirait d’une véritable avancée en matière de bien-être et de santé pour les patients surtout avec les bénéfices potentiels du cannabidiol. Mais si la mentalité des Français a évolué sur le sujet [88 % d’entre eux sont favorables à sa légalisation dans un but thérapeutique, selon une étude de l’Observatoire français des drogues et de la toxicomanie d’avril 2019, ndlr], certains pharmacologues et médecins sont toujours sur la réserve par rapport au risque vis à vis des adolescents. Raison de plus pour que le THC soit absolument contrôlé sur sa concentration, sa qualité et ses destinataires. Seule, une légalisation réglementée et encadrée permettrait cela en protégeant du même coup au mieux nos enfants. Visiblement aussi, nos politiques français ne sont pas encore tous prêts à se positionner pour des raisons électoralistes. Cependant, j’ai bon espoir que cela change, car une vague mondiale de libéralisation thérapeutique et récréative du chanvre est en train des s’opérer depuis quelques années... États-Unis et Canada en tête ! Quand les décideurs français réaliseront les énormes rentrées fiscales potentielles, le démantèlement d’une économie souterraine illégale, le redéploiement des services de police et de justice vers d’autres activités prioritaires et le bénéfice en termes de bien-être et de santé et d’écologie... Alors, nous pourront enfin (re) profiter avec liberté et sécurité de cette pépite verte qu’est le chanvre !

* Une nouvelle législation européenne, entrée en vigueur au 1er janvier 2019, a octroyé le statut de novel food (innovation alimentaire) au CBD. Ce qui implique que la sûreté des produits en contenant ait été vérifiée avant leur commercialisation, et qu’ils aient obtenu une autorisation de mise sur le marché au niveau européen.

Notre corps aussi produit des cannabinoïdes

En 1992, une équipe médicale israélienne a découvert que notre corps produit des endocannabinoïdes qui activent des récepteurs spécifiques. D’après les scientifiques, ce système biologique serait l’un des plus importants pour la santé humaine, car il prend part notamment à la gestion des réponses au stress, en permettant l’équilibre entre notre milieu interne et les variations de l’environnent externe. Ce système a aussi un rôle sur le contrôle des émotions et la plasticité neuronale. On comprend que le milieu médical s’y intéresse de près, d’autant que les molécules naturelles du chanvre sont proches des endocannabinoïdes que l’on produit et peuvent se lier à nos récepteurs, augmentant nos capacités d’adaption.

Parcours du Dr Franck Gigon

1997 Doctorat d’État de médecine (Paris XII) avec qualification et spécialisation en médecine générale.

1999 Diplôme universitaire de phyto-aromathérapie (Paris XIII), chargé de cours pendant douze ans.

2005 Arrêter de fumer grâce aux plantes, éd. Rustica.

2005 et 2008 Publication de deux études sur l’intérêt des plantes médicinales dans l’arrêt du tabac.

2006 Diplôme inter-universitaire de mésothérapie (Paris V).

2007 Diplôme inter-universitaire en alimentation, santé et micronutrition (Dijon).

2012Se soigner par les plantes pour les nuls, co-écrit avec Christopher Hobbs, éd. First.

2017Les meilleures plantes qui soignent, co-écrit avec Alessandra Buronzo, éd. Leduc.s.

2019Stupéfiant ! Le chanvre va-t-il sauver le monde ?, éd. de l’Opportum.

Aujourd’hui Membre du comité de rédaction de la revue Phytothérapie (groupe Lavoisier) et membre de la Fédération française contre les maladies vectorielles à tiques (FFMVT).

Aller plus loin

Stupéfiant ! Le chanvre va-t-il sauver le monde ? par le Dr Franck Gigon, éd. de l’Opportum.

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Plantes & Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé.
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