Plantes et Santé Le magazine de la santé par les plantes

Frédérique Soulard : « Les graffitis botaniques donnent vie aux rues »

Frédérique Soulard

Petite-fille d'herboriste, Frédérique Soulard aime les plantes, mais aussi les mots. Alors depuis cinq ans, elle tague sur les trottoirs le nom des herbes sauvages qu'elle rencontre dans sa ville, à Nantes : une sorte de street art botanique qui fait des émules ! Découvrez pourquoi cette conteuse, au cours d'un spectacle de rue intitulé Belles de bitume, invite le public à mettre ainsi en lumière les plantes urbaines.

Plantes & Santé. Comment a commencé votre projet de graffiti botanique ?

Frédérique Soulard. Ce projet, qui a donné naissance au spectacle de rue Belles de bitume, est à la croisée de mes passions : les plantes d'une part, car ma grand-mère était herboriste, et les mots d'autre part puisque je suis avant tout une conteuse. J'ai vécu en Ardèche dans les années 1990. Quand je suis revenue à Nantes, j'ai redécouvert la ville. J'ai commencé par ramasser au coin des rues des graines de mauvaises herbes que j'enfouissais dans mes poches pour les jeter ensuite au petit hasard, quand j'y pensais. Mais je crois que je suis plus une semeuse de mots… J'ai alors eu l'idée d'écrire le nom des plantes. L'idée a mis du temps à germer puisque ce n'est qu'en 2014 que mon projet culturel participatif et écologique a vu le jour avec l'accord de la mairie de Nantes. Lors de mes spectacles, en déambulant, j'amène le public à trouver le nom des plantes, puis à l'écrire sur les trottoirs avec de la peinture naturelle. Dans les quartiers défavorisés, Belles de bitume permet de montrer que des rues à l'aspect abandonné sont en réalité des espaces fleuris ! C'est aussi une façon de se réapproprier la rue qui n'est pas qu'un lieu de passage, mais aussi un lieu où la vie continue, celle des humains ainsi que celle des plantes.

Qu'apprend-on dans le nom d'une plante ?

C'est une vraie magie de mots, des plus savants avec des noms latins, aux plus populaires et qui sont si nombreux ! Chaque région peut attribuer à une espèce végétale une appellation différente, imagée et évocatrice, comme si la plante avait commencé par se nommer elle-même : le cierge de Notre Dame, la bourse à pasteur, la monnaie-du-pape, l'amour-en-cage, l'herbe à robert, la ballote puante… On apprend aussi que nos ancêtres savaient déjà un tas de choses : le pissenlit doit son nom à ses vertus diurétiques. Mais on l'appelle aussi dent-de-lion à cause de la forme de sa feuille, et cette appellation a donné le mot dandelion en anglais : les noms des plantes peuvent aussi venir de la sonorité d'un nom vernaculaire plus ancien ! On est renseigné sur les voyages des plantes : patate (mot inventé par un peuple indigène des Caraïbes, NDLR) et pomme de terre montrent le chemin parcouru par cette espèce comestible venue d'outre-Atlantique. Avec Belles de bitume, qui fait pénétrer le public dans cette magie des mots, j'ai un réel souci de transmission : j'ai envie de transmettre mon émerveillement du vivant, des arbres et des plantes.

En s'inspirant de Belles de bitume, un ­botaniste du muséum de Toulouse a écrit, cette année, le nom des plantes urbaines sur les ­trottoirs. Sa démarche se veut pédagogique, voulant mettre en lumière la biodiversité en ville. Poursuivez-vous également cet objectif ?

Face au défi que représente la protection de la planète, la sensibilisation à la biodiversité ainsi que l'attention à ceux qui nous entourent, nous concerne tous. Or la trace du nom écrit au sol, qui demeure quelques mois, enracine nos pas, c'est-à-dire qu'elle nous rappelle notre lien à la terre. Ces noms racontent des histoires sur les plantes et sur la relation des hommes avec les plantes. L'humain sépare trop souvent la ville et la nature. Mais je ne blâme personne : c'est peut-être plus inconfortable d'être un humain sur terre que d'être un arbre… Je pense néanmoins qu'on devrait davantage dialoguer avec la nature, même en ville. Nous devrions, comme les chamanes, essayer de ressentir le monde végétal. Peut-être couperait-on moins de forêts ! Il m'arrive d'embrasser des arbres en ville pour mieux les connaître, reconnaître leur âme. Parfois aussi j'enferme une plante dans un sac en tissu, je la pose sur ma poitrine et je laisse venir à moi les images qu'elle me suggère afin de ressentir son « esprit » et la relation que j'ai avec elle.

La flore urbaine tient le haut du pavé

Plusieurs initiatives fleurissent en France afin de rendre les plantes plus visibles. Un botaniste du muséum de Toulouse, Boris Presseq, rejoint par un confrère, Pierre-Olivier Cochard de l'association Nature en Occitanie, a défrayé la chronique, car il a d'abord agi de manière incognito. On s'est demandé qui était ce botaniste anonyme qui inscrivait le nom des plantes à la craie sur les trottoirs. Pariétaire officinale, carotte sauvage, figuier, morelle noire : après avoir révélé leur identité, les deux botanistes ont annoncé avoir recensé 86 espèces dans un seul quartier de la ville ! L'association de botanique Tela Botanica a elle aussi suivi l'élan, à Montpellier, autour du jardin des plantes en taguant le lierre grimpant, la renouée des oiseaux ou encore le micocoulier de Provence. A Grenoble, l'association Gentiana a monté le projet artistique « Street art & botanique » : un collectif d'artistes dessine des personnages qui renseignent le public de façon humoristique sur les plantes sauvages. Enfin, la naturopathe Marie Gulli Demarre recense sur Instagram les espèces poussant autour de chez elle, à Châtillon : cet herbier virtuel porte le joli nom de Fleurs sur villes.

Quelle a été l'influence de votre grand-mère qui a été herboriste jusqu'en 1998 ?

J'ai découvert une vraie poésie avec les plantes médicinales. Ce sont les mêmes plantes qui soignent et qui parfument, qui calment et qui colorent. Dans l'herboristerie de ma grand-mère où nous avons travaillé pendant une dizaine d'années avec mes deux sœurs, j'ouvrais avec plaisir les tiroirs les uns après les autres à la demande des clients pour leur montrer des fleurs, des feuilles, des tiges, des racines, des semences dont chacune a sa couleur, sa texture, son odeur : le vert sombre et bleuté de l'aspérule dont la délicate feuille séchée bruisse contre la main en laissant s'échapper une odeur de foin ; la transparence jaune du tilleul ; la vivacité éclatante jaune orangé des fleurs de souci… Une tisane pour le soir au goût facile et dont l'odeur plaira à tous ? C'est la verveine ! Une tisane au goût fleuri mais presque transparente ? C'est le tilleul !

Vous avez écrit au sujet du graffiti botanique qu'il s'agissait d'un acte rebelle, mais aussi ­informatif, pacifique et poétique… un peu à l'image de l'herboristerie ?

Grand-mère, qui avait obtenu son diplôme d'herboriste le 24 juillet 1939, a exercé dans la légalité jusqu'à la fermeture de sa boutique. Mes deux sœurs et moi qui l'aidions n'avions pas conscience des enjeux autour de l'herboristerie. C'était l'époque de Rika Zaraï, puis de Maria Treben… Les ventes montaient en flèche ! Nous étions bon marché et nous étions honnêtes. L'herboristerie était magique, mais nous avions le nez dedans alors nous ne nous en rendions pas compte. Mais il faut dire quand même que grand-mère Soulard, et ses clients étaient de cette génération où l'on devait respect à son médecin. Il vivait au-dessus du peuple, et bien que l'on râlât contre lui, contre son manque d'écoute et son aveuglement, contre la médecine, contre les laboratoires et leurs histoires de « fric », il y avait toujours une considération respectueuse à son égard. Mais c'était sans en parler à leur médecin que les gens venaient nous voir ! Ils venaient chercher à l'herboristerie un peu de proximité, parler de leurs doutes, de leurs inquiétudes, de leurs imperfections… Ils trouvaient leur médecin distant, indifférent à leurs soucis quotidiens. L'herboriste était là où le médecin n'était pas ! Et mes sœurs et moi, qui croyions au pouvoir des simples, nous nous entêtions à leur dire : « Dites à votre médecin que vous soignez maintenant votre cholestérol avec les tisanes et que vous avez arrêté les médicaments ! » Rien à faire, le monde était coupé en deux !

En dehors de vos spectacles Belles de bitume où vous invitez les gens à écrire le nom des plantes, avez-vous une démarche de street artiste lorsque vous êtes seule ?

 Oui, j'écris souvent seule les noms des plantes, même dans des rues peu passantes, juste pour leur rendre hommage ! J'invite d'ailleurs le plus grand nombre à me rejoindre : j'œuvre actuellement à la mise en place d'un collectif de tagueurs de plantes sur les trottoirs. À bon entendeur !

Parcours

1980 - 1988 Vente et autres missions à l'herboristerie Soulard à Nantes.

1988 Formation au théâtre du Passage (art dramatique, danse).

Depuis 1989 Projets culturels et mises en scène.

Depuis 1992 Écriture de contes et de lectures.

Depuis 1998 Ateliers d'écriture et scène slam.

1999 Fermeture de l'herboristerie Soulard.

2002 Spectacle de rue Le Jardin du Motamot.

2004 - 2009 Direction artistique et coordination d'ateliers d'écriture au château des ducs de Bretagne.

2008 Spectacle de rue La Belle.

2011 Création de spectacles Elle était une fois et La Chasse aux cauchemars.

Depuis 2014 Création du spectacle déambulatoire Belles de bitume.

2019 Film sur Belles de bitume par Jérémy Piaud.

Aller plus loin

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