Comprendre le vivant avec la musique des plantes
Intelligence, du latin intellegere, action, faculté de comprendre... En ce sens, nul doute que les plantes, comme le montrent de plus en plus de recherches, le sont. La communauté alternative italienne de Damanhur étudie ainsi leur capacité à faire de la musique. Éxagéré ? Réponse de Tigrilla Gardenia, l’une des responsables du travail sur la fascinante et mystérieuse créativité du vivant.
Plantes & Santé Lors des récents « 24 heures de méditation pour la Terre », l’appareil U1 mis au point à Damanhur pour permettre aux plantes de « faire de la musique » a été présenté. Et sa vente auprès des particuliers décolle. Cela vous inspire quoi ?
Tigrilla Gardenia Tout d’abord, c’est signe d’une nouvelle ouverture d’esprit. Il y a quarante ans, une communauté comme la nôtre, qui affirme que les espèces sont interconnectées et que les humains ont tort de se croire supérieurs, n’était pas bien vue par le public cartésien. Ensuite, cela montre que de plus en plus d’individus veulent expérimenter par eux-mêmes, passer par leurs ressentis sans attendre la science qui fait, – et a raison de faire – des recherches. Mais qui se coince elle-même parfois, faute d’un manque de flexibilité des protocoles...
P & S Pouvez-vous nous résumer la manière dont fonctionne cet appareil ?
T. G. On s’est inspiré du détecteur de mensonge utilisé par Cleve Backster dans les années soixante aux États-Unis et de la méthode dite du pont de Wheatstone. L’appareil a été transformé mais le principe reste le même. Branché à de l’électricité, il envoie des micro-décharges électriques dans des plantes ou des arbres. Deux électrodes sont posées : l’une sur le feuillage, l’autre sur les racines. On enregistre alors des différences de résistances. Chacune d’entre elles est ensuite encodée afin que chaque signal envoie un ordre spécifique. Sur un synthétiseur par exemple, une résistance donnera un do, un ré ou un mi. On peut dire que les plantes font de la musique, car elles ne lancent pas des ordres au hasard. D’ailleurs, nos premières recherches avaient encodé d’autres interactions que le déclenchement d’une note de musique...
P & S Des serrures de portes ou un kart miniature vous ont en effet servi dès les années quatre-vingt...
T. G. Autour de croyances spirituelles et philosophiques, Damanhur s’est constituée grâce à des personnes de tous horizons. Nous souhaitions être créatifs et le plus ouvert possible. Une machine semblable à celle utilisée pour la musique a donc été connectée d’abord à un simple système d’ordre d’ouverture de porte. Un seul type de résistance de la plante correspondait à cette action. Des personnes se positionnaient devant une porte et attendaient. Et là, surprise : le signal n’était envoyé que lorsque la plante connaissait déjà les personnes ou leurs animaux, arrivés par hasard dans l’expérience. Mais jamais d’ouverture pour des inconnus ! Ensuite, on a encodé quelques signaux en plaçant cette fois la plante sur un plateau mobile. Il y avait des ordres comme marche avant, marche arrière... Là encore, on a attendu, pour constater que le kart n’a jamais bougé au hasard. Il allait soit vers des personnes avec lesquelles la plante avait déjà été en présence, soit vers d’autres plantes dans la pièce, soit vers la lumière. Que la photosynthèse soit un moteur, on le savait, mais pas à ce point. En outre, comment savait-elle qu’il y avait d’autres plantes ? Et pourquoi privilégier certains humains?
P & S De ces recherches découle l’appareil qui permet de faire de la musique. Que vous a-t-il appris de plus ?
T. G. Les encodages ont été plus nombreux, permettant notamment qu’on ait quatre octaves de notes à partir de signaux plus fins. Or c’est fou à dire mais les plantes ont appris à jouer plus de cinq octaves, et toutes seules ! On a aussi constaté que si toute plante ou arbre peut émettre des signaux variés, cette musique sera plus ou moins sophistiquée ou harmonieuse. Comme pour nous, l’environnement intervient : aux côtés de quelqu’un qui se désintéresse totalement des plantes, elles ne joueront jamais, par exemple. Ou bien elles joueront différemment selon qu’on médite à leur côté ou qu’on a des pensées agitées.
P & S Vous avez aussi confirmé cette capacité de la plante à transmettre une information...
T. G. Effectivement, on a vu qu’une plante nouvellement branchée ira plus vite dans l’apprentissage si on la place à côté d’une plante qui joue depuis longtemps que si on la laisse seule. Par ailleurs, les plantes, comme les humains, peuvent progresser à force d’entraînement. Mieux, si des musiciens jouent à leurs côtés, arbres ou plantes peuvent répéter leurs notes au son près. Phénomène plus sophistiqué encore, elles sont capables de se mettre à improviser en restant dans l’harmonie! Il y a un vaste champ de recherches à faire, car cela pose des questions sur des actes apparemment volontaires dont on ne connaît encore rien. Mais la physique quantique commence à aider. Ainsi, des recherches ont été faites dans une université en Australie sur une communication qui passe via des « nano ondes », qui sont des fréquences non audibles pour l’homme.
P & S Depuis 1992, on sait que les plantes ont un rapport spécial à la musique au point que leur processus de photosynthèse peut être modifié grâce aux sons. Mais ce n’est pas tout...
T. G. On a vu qu’elles se souviennent de personnes déjà rencontrées. Ce qui ressemble à une mémoire... Mais il y a plus. En Toscane, on a branché l’appareil sur un arbre particulier. Et on a envoyé la partition à un musicologue réputé. Ce dernier nous a immédiatement demandé qui avait composé cette partition. Car, a-t-il dit, plus personne ne sait jouer ce type de musique depuis trois cents ans. Or c’est effectivement l’âge de l’arbre! Est-il dépositaire d’un savoir collectif oublié ? On a constaté la même chose avec d’autres arbres qui émettent des arrangements rares, peu connus, très semblables à de la musique ancienne grecque qu’on joue peu de nos jours.
P&S Quels types d’applications espérez-vous ?
T. G. Elles sont innombrables. Souvenez-vous qu’il n’y a pas si longtemps, on disait que les plantes n’étaient pas intelligentes, qu’elles n’avaient pas de cerveau. Aujourd’hui, on sait qu’elles ont un moteur central, non au sommet, mais dans leurs racines. Et qu’il est plus sophistiqué que notre cerveau humain car il redistribue les informations via des processus multiples ainsi que des protocoles vitaux renouvelables. Un peu comme la plasticité neuronale. À ceci près que si on vous coupe la tête, vous mourrez. Pas les plantes, tant qu’on ne touche pas à toutes leurs racines. Les hommes ont cinq sens pour réceptionner l’information. Or si les plantes n’ont pas d’organes sensitifs (yeux, oreilles, nez...), elles ont des fonctions similaires. Et bien plus ! Stefano Mancuso, célèbre chercheur italien, pense qu’elles en auraient une quinzaine les informant en détail de l’humidité, du pH du sol, de la proximité d’électricité... Or le biomimétisme, discipline qui tente de copier les stratégies du vivant pour les appliquer à nos univers (sciences, constructions, technologies) peut avancer à partir des connaissances sur la façon dont les plantes communiquent.
P & S Les utilisateurs de l’appareil U1 font-ils eux aussi des découvertes intéressantes ?
T. G. Dans un hôpital en Italie, on a déjà constaté qu’une plante que l’on laisse émettre des sons accélère les convalescences. Une aromathérapeute aux États-Unis planche sur l’ensemble des effets produits. Certains producteurs d’élixirs, eux, utilisent la musique pour mieux identifier la plante qu’ils vont choisir pour leurs préparations. D’autres proposent à leurs patients de choisir le remède qui leur conviendrait le mieux à partir des sons produits... On aimerait capitaliser tout ce travail, mais nous ne sommes qu’une petite communauté et la science traîne des pieds.
P & S Qu’avez-vous appris en vous mettant au diapason botanique ?
T. G. Ingénieur audio de formation, je ne savais pas à quel point je serai touchée par les plantes. J’étudie même la nuit avec des recherches sur leurs biorythmes et la fatigue que leur causent les néons des villes. J’ai aussi compris que l’essentiel n’est pas la musique des plantes, mais d’aller vers une meilleure connaissance du vivant et de penser cocréation. Cela veut dire respect mutuel, sans caricature. Je marche sur ou je mange du végétal, mais, et c’est l’esprit de Damanhur, je tente surtout d’élargir ma conscience du vivant.
Tigrilla Gardenia est depuis cinq ans coresponsable des programmes de recherches de Devodama, à Damanhur, dans le Piémont italien. Avec ses six cents résidents, cette fédération de petites communautés fête ses quarante ans. Elle a été reconnue en 2005 par l’ONU comme « modèle de développement durable». Damanhur, qui est à l’origine de temples spectaculaires dans la montagne piémontaise, fait partie du réseau GEN (Global Ecovillage Network) qui prône l’application de valeurs alternatives (écologie, cocréation, spiritualité, économie...).
L’intelligence des plantes en dates
1880 Charles Darwin émet l’idée d’une forme d’intelligence des plantes via la puissance de leurs mouvements.
1930 L’ethnologue Malinowski rapporte que des agriculteurs des îles du Pacifique imitent le chant des oiseaux pour améliorer les cultures.
1966 Tests à partir du détecteur de mensonges par Cleve Backster aux États-Unis.
1982 Deux chercheurs français, dont un membre de l’Académie des sciences, Michel Thellier, évoquent une mémoire des plantes.
1992 Le physicien Joël Sternheimer démontre un lien entre ADN et sons pour la croissance des plantes et dépose le brevet dit du « Procédé de régulation épigénétique de la biosynthèse des protéodies » (lire l’encadré page suivante).
2005 Ouverture du premier laboratoire de neurologie végétale en Toscane, Italie.
2014 Premier congrès international sur La conscience des plantes à Londres.
2015 40e anniversaire de Damanhur. L’appareil U1 qui sert de support à la musique des plantes a été vendu à près de 2 000 exemplaires.
Deux pionniers
Cleve Backster, US détective
Dès 1966, un expert de la CIA, Cleve Backster, découvre un peu par hasard grâce à son polygraphe les réactions inouïes des plantes. L’une d’elle réagit avant qu’il ne brûle l’une de ses feuilles comme il en avait l’intention... Une autre est capable de « dénoncer » un coupable présenté au milieu de diverses personnes susceptibles d’avoir abîmé une autre plante quelques instants plus tôt... Contesté, Cleve Backster s’emploie à démontrer la bio communication et les interactions « spontanées », insistera- t-il, entre toutes les cellules vivantes, incluant celles des expérimentateurs. En 1975, son travail est repris dans le best-seller « La Vie secrète des plantes » (« The Secret Life of Plants » de Peter Tompkins et Christopher Bird).
Stefano Mancuso, dottore italien
Stefano Mancuso a fondé en 2005 en Toscane le premier laboratoire de neurobiologie végétale. Levée de boucliers parmi les chercheurs, qui ont immédiatement avancé que les plantes n’ont ni neurones ni synapses et qu’on ne peut parler de cerveau. Pourtant, il Professore estime qu’il y a une intelligence des plantes qu’on ne peut réduire à la biochimie ou à un déterminisme mécanique. Et à partir de multiples expériences depuis dix ans, il affirme, que « les plantes sont capables de calcul, d’apprentissage, de mémoire et même de sensibilité ». L’Agence spatiale européenne (ASE) a, malgré la polémique, accepté de travailler avec lui. Et une université japonaise a ouvert une antenne de son laboratoire.
La protéodie, mélodie quantique et fertilisante
La physique quantique a éclairé l’effet de la musique sur les plantes. En 1992, le physicien Joël Sternheimer a mis au point un singulier procédé dit de régulation épigénétique de la biosynthèse des protéodies. Il a d’abord identifié les ondes émises par chaque acide aminé lors de la synthèse d’une protéine, ce qui donne une succession de fréquences. A priori inaudible, cette mélodie quantique a pu être transformée en véritable mélodie audible. Ce qu’il a baptisé « protéodie ». Et il a démontré que la croissance des plantes changeait selon qu’on leur proposait ou non d’entendre leur protéodie respective diffusée par haut-parleurs dans des serres. Des expériences multiples ont été faites, notamment autour de la résistance de la tomate à la sécheresse. Au Japon, une application du procédé a permis d’améliorer la fermentation des levures pour le tamari et le miso...
Deux expérimentations en France
Deux Français, le botaniste et pépiniériste Jean Thoby, et le metteur en scène et musicien de théâtre Alexandre Ferran expérimentent le U1 de Devodama. Alexandre Ferran a commencé une expérimentation singulière en encodant les signaux d’une plante (un palmier vieux de dix ans) par rapport à des mots, en l’occurrence les prénoms de chaque membre de sa famille. Et les surprises ne se sont pas fait attendre : les prénoms de son épouse ou de son fils sont prononcés soit juste avant leur arrivée (alors qu’on ne les attend pas) ou alors que le petit garçon fait des sottises dans la salle de bains pourtant très éloignée de la plante. L’artiste a tenté de complexifier le système en déplaçant les codes. En très peu de temps, après une petite période qui ressemblait à du stress, « la plante a retrouvé comment prononcer le nom de ma compagne. Il faut dire qu’il l’adore : elle l’a sauvé d’une poubelle il y a quelques années » ! De son côté, Jean Thoby fait des recherches depuis des années et s’invente un nouveau métier, celui de musicien-pépiniériste : un musiniériste !