Essentiels et invisibles
En 1674, le savant néerlandais Antoni van Leeuwenhoek ouvre une fenêtre sur un monde invisible, celui des « animalcules » – peuplant l’eau et le tartre dentaire. Une découverte, fascinante mais aussi inquiétante, qui modifie profondément notre vision du vivant. Plus de deux siècles plus tard, en 1878, Charles-Emmanuel Sédillot forge le terme « microbes », pour désigner ces agents microscopiques responsables de maladies. Dès lors, une guerre sans relâche sera menée contre ces « envahisseurs », une guerre intensifiée avec les découvertes des antibiotiques et autres produits chimiques destinés à les éradiquer.
Aujourd’hui, nos connaissances ont évolué. Nous savons désormais que tous les microbes (bactéries, virus, champignons) ne sont pas des ennemis. Nombreux sont ceux qui nous sont essentiels, à l’instar des bactéries saprophytes qui contribuent à notre digestion, ou celles qui soutiennent notre système immunitaire. Comme vous le verrez dans le dossier de ce numéro, l’étude des « bonnes bactéries » nous a permis de comprendre comment elles peuvent réduire l’inflammation, améliorer l’efficacité des traitements médicamenteux et même expliquer l’apparition de certaines pathologies. Ces alliés, longtemps ignorés ou mal compris, jouent un rôle fondamental dans notre santé.
Mais par notre volonté de les chasser à tout prix, par notre quête de purification systématique, nous risquons de nous couper de ces ressources précieuses, et in fine de mettre en péril notre santé.
Cet éditorial ne prétend pas plaider pour un retour à l’ignorance ou à la négligence, mais il invite à une réflexion urgente : si l’homme, en inventant les antibiotiques et fongicides, ou en appliquant des méthodes de stérilisation rigoureuses, est parvenu à dominer en quelques décennies le monde des microbes, la question qui se pose aujourd’hui est celle de l’équilibre. Une coexistence où nous pourrions, tout en nous protégeant, apprendre à vivre en harmonie avec ces micro-organismes.
Désormais, la question n’est plus de savoir comment éliminer les microbes, mais comment cohabiter avec eux. Voilà un défi passionnant qui se dessine. Il s’agit d’abord d’un enjeu de santé publique – et on peut regretter que les politiques mises en œuvre, telles les campagnes invitant à limiter l’usage excessif des antibiotiques, ne soient pas plus efficaces. Mais nous devons regarder plus loin encore : de telles mesures resteront sans effet si nous n’engageons pas aussi une réflexion de fond sur notre relation avec ce peuple invisible qui nous entoure…