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Le chaga, des peuples premiers à la récupération par l’Occident

chaga

Consommé pour ses propriétés fortifiantes et antioxydantes, le chaga est intimement lié à la vie quotidienne et aux pharmacopées traditionnelles des peuples sibériens. Découvrez l’histoire longue et parfois tragique de ce champignon pas comme les autres.

Vous êtes dans le transsibérien. Par la fenêtre du compartiment, vous voyez défiler l’immensité de la taïga. À perte de vue, des bouleaux, minces et droits, qui strient verticalement le paysage jusqu’à l’horizon. Le bouleau est l’arbre russe par excellence, omniprésent dans sa littérature, son iconographie, ses légendes et son histoire. C’est aussi l’arbre le plus commun de cet ensemble forestier transcontinental qui va de la Scandinavie au Québec par-dessus le détroit de Behring : la taïga.

Vous voyez les bouleaux, mais pas le chaga. Ce vilain champignon noirâtre ne pousse pourtant que sur cet arbre-là, dans les climats les plus froids. Comme son hôte, dont il est un parasite, il fait partie de cette forêt, et il participe des cultures russes et sibériennes. Dans cette Russie qui enjambe l’Oural pour aller jusqu’au Pacifique, il n’y a pas que la forêt, il y a aussi des peuples. Aujourd’hui ce sont les Slaves. Ces colons ont gagné la partie contre les peuples autochtones devenus minoritaires sur leur propre sol, quand ils ne sont pas purement et simplement assimilés. Ainsi, les bouleaux et les Russes vous sautent aux yeux, tandis que le chaga et les peuples premiers se rencontrent moins facilement.

Tonifiant et antiseptique

C’est pourtant aux peuples premiers de Sibérie que nous devons de connaître le chaga et ses effets médicinaux : aux Khantys, Mansis, Nenets, Evenks… Mais aussi, au-delà du détroit de Behring, aux Cris, Chipewyans, Ojibwés et autres peuples amérindiens. Tous sont familiers du bouleau et du chaga, et, depuis des millénaires, leurs chamans et medicine men ont intégré ce champignon à leurs pharmacopées.

Le nom même de chaga, que nous empruntons au russe, provient en fait des langues du nord de l’Oural, à l’ouest de la Sibérie. Ces contrées autour du fleuve Ob, furent colonisées dès le xvie siècle. C’est au peuple khanty que l’on doit le nom « chaga »...

. Ils en vendaient aux Russes dès le Moyen Âge. Au XIIe siècle, le Grand prince Vladimir II Monomaque en consommait pour soigner son cancer de la lèvre. Au XVIe, des textes savants détaillent déjà ses effets bénéfiques pour les ulcères, gastrites et cancers. Les Khantys, eux, le buvaient en infusion depuis toujours comme un tonifiant permettant d’affronter fatigue, faim, froid, et toute maladie ou blessure survenant dans ce climat rigoureux. Ils s’en servaient également comme d’un antiseptique pour les organes génitaux féminins après les menstruations, et surtout après les accouchements. Des siècles plus tard, l’écrivain dissident Alexandre Soljenitsyne a décrit aussi positivement les vertus anticancéreuses du chaga dans Le Pavillon des cancéreux. Le succès mondial de ce roman a contribué à populariser le chaga.

Une ressource locale peu coûteuse

Il y a donc une continuité historique dans l’usage médicinal du chaga, depuis les Khantys (et autres peuples sibériens) jusqu’aux Russes et au reste du monde. Des siècles avant les Slaves, les Chinois connaissaient le chaga par les peuples de la Sibérie orientale. Les Japonais aussi, par les Aïnous du nord de leur archipel. Mais ces savoirs n’ont atteint l’Occident que tardivement. En Amérique, les colons européens s’intéressaient plus aux terres des Amérindiens qu’à leurs pharmacopées. C’est pour cela qu’au Canada aussi le chaga s’appelle… chaga, au lieu de porter un nom amérindien local.

Le recensement de 2010 comptabilise 31 000 Khantys, dont 22 000 vivent sur leurs territoires ancestraux. Christianisés de longue date, mais ayant préservé leur chamanisme, ils furent sédentarisés de force sous Staline. Dans les années 1930, au nom de la collectivisation, les leaders traditionnels sont exécutés, les chamans exterminés, et leurs pratiques religieuses et médicinales interdites. Enfin, les enfants sont enlevés à leurs familles et placés dans des internats soviétiques. Cet ultime abus provoque une révolte qui est à son tour réprimée dans le sang. Les générations suivantes se sont soumises, maintenant leur culture clandestinement. Depuis la libéralisation des années 1980, les pratiques traditionnelles ont pu redevenir publiques.

Chez les Khantys, le chaga n’a jamais eu une valeur religieuse particulière. Ce champignon est un antioxydant et un fortifiant efficace, mais il n’a aucun effet psychotrope permettant d’accéder à des visions. Son usage était et reste avant tout pragmatique, adapté aux duretés du climat. C’est ce qui explique pourquoi la médecine soviétique (fort peu versée dans la spiritualité) a adopté volontiers le chaga. Voilà une ressource naturelle locale, peu coûteuse et facilement exploitable, et surtout validable selon les critères de la science occidentale. Ce qui permettait de passer sous silence une médecine traditionnelle qualifiée d’« arriérée » fondée sur des millénaires de pratique.

Aujourd’hui, vous trouvez le chaga en magasins ou sur Internet. Il y a même du chaga français, récolté en Auvergne (lire Plantes & Santé no 184). Ce qui est tant mieux : après tout, on peut faire bon usage d’une plante sans être initié au chamanisme de ses premiers utilisateurs. Mais il faut se rappeler que le chaga est un butin. Comme le peuple khanty, le chaga a été conquis, pris, annexé, converti. Il faut juste s’en souvenir en le consommant et en appréciant ses propriétés médicinales.

Chamans et medicine men

De la Laponie au Canada et à travers l’Orient russe, des Samis scandinaves aux Iroquois des Grands Lacs, le chamanisme suit la taïga. Le mot « chaman » provient même de cette région du monde. Les chamans des Khantys ou les medicine men des Cris sont des intermédiaires entre le monde des vivants et celui des esprits. Mais ils sont aussi des soignants recourant aux plantes d’un biotope qu’ils connaissent à la perfection. Leur savoir médical est transmis directement de maître à disciple, génération après génération. À la fois religion et rapport au milieu naturel, le chamanisme est porteur d’une vision holistique qui ne retranche pas l’humain de son environnement.

Le chaga chez Soljenitsyne

Le roman Le Pavillon des cancéreux d’Alexandre Soljenitsyne, paru en 1968, raconte l’histoire du service de cancérologie d’un hôpital soviétique. Il s’interroge sur la mort et le sens de la vie, sur la liberté et le rapport à la nature dans une société aliénée. Extrait : « Il ne pouvait pas imaginer de plus grande joie que de s’en aller dans les bois durant des mois entiers, pour couper ce chaga, le réduire en miettes, le faire bouillir sur un feu de camp, le boire et sentir un bien être animal. » 

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