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Le shojin ryori Végétarisme et bouddhisme zen

bouddhisme

La shojin ryori (« cuisine du temple ») est l’une des traditions gastronomiques des plus réputées au Japon. Une aura mystérieuse l’entoure du fait de son origine ancienne, liée au bouddhisme zen. L’ethnobotaniste François Couplan s’sest rendu dans un petit temple du centre de l’Archipel. Son récit nous ouvre un monde de saveurs subtiles où cuisine rime avec spiritualité.

Le fondement de la doctrine bouddhiste étant de ne pas engendrer de souffrance, le végétarisme a semblé tout naturel aux premiers adeptes de cette religion. Aussi, l’une des caractéristiques de la cuisine du shojin ryori élaborée et servie traditionnellement dans les temples est que tous les produits animaux et marins, y compris les coquillages, en sont exclus. Ce type de tradition culinaire existe en Chine, en Corée, au Vietnam, en Thaïlande, mais c’est surtout au Japon que cette cuisine végétarienne, ou plutôt végétalienne, a été développée et codifiée, au point de devenir une véritable institution, toujours bien vivante.

Le shojin ryori est fondé sur la simplicité et l’harmonie. Ainsi met-il l’accent sur l’équilibre des couleurs et des saveurs. La fraîcheur des produits est primordiale et, comme toujours dans la cuisine japonaise, la saison est mise au premier plan : il serait impensable de manger autre chose que ce que la nature du moment permet de faire pousser. Bien sûr, l’aspect nutritionnel est essentiel et les plats doivent couvrir tous les besoins de l’organisme sans le surcharger. C’est l’une des raisons de la variété remarquable de cette cuisine et de l’emploi des plantes sauvages, véritables concentrés de nutriments. Elle se doit, par essence, d’être profondément respectueuse de l’environnement, raison pour laquelle la préparation des ingrédients ne produit que le minimum de déchets.

Traditionnellement, l’oignon, l’ail, l’échalote ou le poireau sont bannis du shojin ryori. C’est que ces légumes aux essences puissantes sont censés rendre difficile la méditation. Par ailleurs, en consommant la partie souterraine on les tue.

Manger en pleine conscience

Le shojin ryori servi aux visiteurs dans les temples est bien différent de ce que mangent quotidiennement les moines. Ceux-ci doivent habituellement se contenter de trois plats : un bol de soupe, un autre de riz et quelques légumes, dont certains lactofermentés. Le shojin ryori n’a rien à voir avec un régime alimentaire : il est censé mettre en harmonie celui qui consomme l’aliment, avec celui qui l’a préparé, et celui qui l’a produit. Il s’agit de manger en pleine conscience avec dans un simple bol la vision d’une représentation cosmique du monde où toutes choses sont liées et interdépendantes.

En traduction littérale, shojin signifie à peu près « chemin vers un état d’esprit libéré de pensées et d’attachements ». Ryori veut dire « cuisine ». La préparation de ce type de repas est considérée par le moine-cuisinier comme faisant partie intégrante de sa pratique bouddhique quotidienne et de sa dévotion à sa discipline religieuse. Bonnes vibrations garanties pour celui qui en bénéficie !

Des plantes sauvages au menu

Pour déguster le shojin ryori, il faut donc se rendre dans un temple bouddhiste, généralement situé dans la montagne. De grands temples, tels ceux de Koya-san non loin d’Asaka ou d’Enryaku-ji au-dessus de Kyoto, sont connus dans tout l’Archipel, voire au-delà, et proposent quotidiennement ce type de repas. D’autres, plus petits, ne le font que sur demande. Nous avons choisi le temple de Daï Ganji à O-Uda dans une...

étroite vallée de la préfecture de Nara, en plein coeur du Japon historique. Le restaurant est tenu par le moine du temple, qui accueille les hôtes et aide sa femme à préparer la cuisine. Les deux religieux sont amoureux des sansaï, les « légumes de montagne » traditionnels, qu’ils intègrent avec bonheur à leurs plats.

Comme souvent, le temple est construit à flanc de colline et la montée est raide. Au sommet d’un long escalier de pierre s’ouvre une vaste esplanade avec au fond le temple principal et sur la droite plusieurs bâtiments annexes. C’est dans l’un d’eux que nous attend le maître des lieux, un moine jovial vêtu d’un habit de travail traditionnel. Il nous invite à le suivre dans la cuisine où est en train d’officier sa femme : présentations, courbettes et explications.

Sashimi de kudzu

Tout d’abord, la cuisinière nous présente les plantes sauvages qu’elle et son moine de mari sont allés récolter le matin même à l’aube dans les collines environnantes. J’y reconnais un géranium (gennoshoko), une aigremoine (kin mizu hiki), une menthe (haka), une armoise (yomogi), une saxifrage (yuki no shita) et l’odorante Houttuynia cordata (dokudami). Chacune est créditée de vertus médicinales et nous allons donc profiter d’un cocktail antidiarrhéique, digestif, emménagogue et hypotenseur ! Trempées dans une pâte légère, puis rapidement frites à l’huile, ces feuilles vont se transformer en beignets croustillants : la tempura est l’une des façons préférées des Japonais de préparer les plantes sauvages. La spécialité de ce temple est le sashimi de kudzu. Normalement, le terme de sashimi sert à désigner d’épaisses tranches de poisson cru, mais ici, il s’agit d’une pâte de fécule très fine extraite de la racine de kudzu. Cette légumineuse extrême-orientale est d’ailleurs commercialisée en Occident, où l’on y a recours, entre autres, pour le sevrage alcoolique et la désaccoutumance au tabac. Pour ce sashimi végétarien, il faut un kudzu de très bonne qualité. Comme celui du district de Yoshino, réputé dans tout le Japon.

Enfin, il est temps de nous mettre à table. Le moine nous conduit dans une pièce au sol recouvert de tatamis et entourée de shoji, des parois coulissantes en lattes de bois tendues de papier. Le couvert est mis sur une petite table basse devant laquelle nous nous installons sur des coussins plats. Le moine s’accroupit et nous détaille le menu. Il consiste en quinze services, pas moins ! Pour un prix relativement modique, équivalent à 28 euros par personne.

Différents hors-d’oeuvre à base de légumes, de fruits et de légumineuses sont suivis par le tofu et la purée de sésame, diverses plantes sauvages, cuites à la vapeur, conservées au vinaigre ou servies dans le bouillon japonais (dashi). Le sashimi de kudzu et la tempura forment la transition avec les plats de résistance. Cet extraordinaire repas se conclut par plusieurs desserts, suivis d’un thé matcha et de quelques douceurs. C’est comme si le temps s’était arrêté. Je me sens dans un état méditatif parfaitement agréable, l’estomac rempli, mais léger, et le coeur en paix. Et si c’était le shojin ryori qui permettait d’atteindre le nirvana ?

Le bouddhisme zen au Japon

Venu de Chine via la Corée, le bouddhisme fut introduit au Japon à partir du VIe siècle de notre ère. Déjà imprégné de taoïsme chinois, il subit en arrivant dans l’Archipel la profonde influence de l’animisme local, connu aujourd’hui sous le nom de shinto. La pénétration de nombreuses tendances différentes du bouddhisme se poursuivit au cours des siècles qui suivirent et aujourd’hui, on dénombre au Japon treize écoles principales, dont trois pour le bouddhisme zen. D’une façon générale, l’enseignement de ces dernières insiste sur la pratique de la méditation assise sans but et sur la lecture des koans, propositions apparemment absurdes que le disciple doit laisser mûrir dans son intellect afin d’atteindre l’éveil ou « satori ». Plus sans doute que d’autres courants du bouddhisme, le zen invite ses pratiquants à écouter les mots de Siddhartha Gautama concernant le végétarisme, énoncés il y a 2 500 ans : « Les pratiquants de la Voie doivent s’abstenir de viande, car en manger est source de terreur pour les êtres. »

Notre repas à Daï Ganji

Le repas shojin ryori se présente sous forme de nombreux petits plats, servis individuellement dans l’ordre que voici.

• Pour commencer : un morceau de courge ; une gelée à l’agar-agar de tomate, myrtilles et d’un petit agrume aromatique et sucré (kinkan) ; une boulette de riz complet cuit avec des légumineuses azuki (kosu genmaï) ; un condiment à base de pâte de soja fermentée (miso) ; et de la zizanie cuite et coupée en morceaux (mako mo dake).
• Le plat suivant est une salade de tofu agrémentée de « caviar de la ferme », petites graines d’une cousine du chénopode (Bassia scoparia). Puis vient un flan de kudzu à la purée de sésame (goma dofu) accompagné de pousses de fougère-aigle (warabi). Viennent ensuite des feuilles de chrysanthème assaisonnées de vinaigre, avec des pousses d’hémérocalle (kanzo) et des fleurs de carthame (beni bana).
• L’ensemble de plats suivants consiste en un tubercule d’igname (naga imo) relevé d’un fruit conservé au vinaigre (matatabi) et d’abricots japonais lactofermentés (umeboshi), avec quelques pousses de stellaire (hakobe), du rhizome de lotus (renkon) et de la « viande » de soja (hatake no niku) avec des baies de goji. C’est alors le tour du fameux sashimi de kudzu, puis celui de la tempura de feuilles médicinales. Le repas se poursuit par des boulettes de pâte de tofu incluant des plantes et des algues (hirydzu), nappées d’une sauce de kudzu et accompagnées de légumes : radis japonais (daikon), une ombellifère sauvage (mitsuba), carotte (ninjin) et boutons floraux d’un cousin du gingembre (myoga). Et comme boisson, un thé de plantes médicinales (okura yasso cha).
• Puis voici des nouilles colorées et parfumées à l’armoise (yomogimen) avec des champignons (maïtake), suivies d’un riz noir (kuro maï) servi avec des légumes lactofermentés (tsukemono) et relevé de sel au thé vert (ocha jio).
• Concession à la culture occidentale, le repas se conclut par un dessert de grains de raisin (budo), un sorbet de dokudami, des figues cuites dans du thé noir (ichijiku) et une gelée d’azukis et de châtaignes (kuri). L’ensemble est une merveille ! 

Deux endroits phares où déguster le shojin ryori au Japon

Situé dans la préfecture de Wakayama, au sud d’Osaka, la montagne de Koya-san abrite, à 800 m d’altitude, un complexe de 117 temples et monastères bouddhistes. Nombre d’entre eux proposent des chambres d’hôte et la possibilité de découvrir le shojin ryori. Koya-san est classé au patrimoine mondial de l’Unesco.

Enryaku-ji, situé quant à lui sur le mont Hiei, qui surplombe Kyoto, est un monastère construit autour de l’un des temples les plus importants du Japon, édifié au VIIIe siècle de notre ère. C’est là qu’est né le bouddhisme zen. Il est possible de loger dans un vaste hôtel, de déguster le soir la cuisine du temple et de participer le matin aux dévotions des moines. La vue depuis la montagne est spectaculaire, d’un côté sur le bassin de Kyoto, de l’autre sur l’immense lac Biwa, le plus grand du Japon.

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