Jardin de l'abbaye de Valsaintes Harmonie, quand tu es là

Pour y arriver, on laisse derrière soi le village perché de Simiane-la-Rotonde et on emprunte une petite route bordée de thym qui serpente au milieu de collines peuplées de chênes verts. Au cœur de cette Haute Provence sauvage, on débouche sur un promontoire de grès qui a donné son nom au lieu-dit Boulinette. Dès l'entrée, ces bizarreries géologiques de forme ovoïde issues de l'érosion du grès nous transportent dans des temps anciens, quand les hommes vivant en étroite relation avec la Terre-mère voyaient dans ces boulinettes des œufs pondus par un animal mythique… que l'on découvre un peu plus loin. Mais sur la roche affleurante, ce sont d'abord des plantes endémiques comme la petite pimprenelle aux feuilles joliment découpées, le calament et la germandrée petit-chêne, qui semblent avoir été toujours là. Par un sentier sur la gauche, nous faisons un nouveau saut dans le temps. Au pied d'un mur de pierres sèches qui soutient le parvis de l'église du XVIIe siècle, la voie des roses fait référence à la première passion du jardinier des lieux. Jean-Yves Meignen, lors de l'acquisition du site avec des amis il y a 27 ans, en planta plusieurs centaines d'espèces.

Une belle relation avec l'homme

Cependant le maître des lieux n'a pas l'âme d'un collectionneur… mais plutôt celle d'un jardinier qui observe, s'inspire de la nature. Aussi, avec les roses il rend d'abord hommage aux espèces sauvages de rosiers églantiers. « Elles n'ont que cinq pétales, mais ce sont les vraies roses ! » précise Jean-Yves Meignen, qui loue également leur capacité à enfoncer leurs racines très profondément (jusqu'à 10 mètres). Des hybrides ont été sélectionnées pour leur histoire, comme le rosier Peace and Love, qui a hérité de son ancêtre botanique Rosa persica sa résistance aux maladies et une corolle étonnante au centre plus foncé. Elle nécessita trente ans de travail à son hybrideur. Genre complexe, Rosa est au cœur d'une belle relation avec l'homme, rappelle le jardinier. Mais « depuis le XIXe siècle, avec le développement de variétés à la floraison très longue et aux fleurs toujours plus énormes, on a créé des monstres ! », souligne Jean-Yves Meignen. Comprenez qu'elles sont souvent stériles ou perdent leurs caractéristiques en se ressemant…

Voyageuses spontanées

Au fil de la visite, on découvre justement de nombreuses spontanées qui voyagent au sein du jardin selon les années. Les coquelicots, bourraches ou trèfles émaillent les terrasses de leurs couleurs franches. De l'orge s'est glissée entre les monardes. Un tapis de saponaires a adopté un coin ombragé. « La biodiversité, c'est aussi laisser la place à des espèces sauvages, estime le jardinier. Rien de tel pour équilibrer la vie du jardin ». En suivant les murs construits par les moines présents dès le XIIe siècle, notre chemin est presque barré par un chêne blanc qui semble littéralement sorti du rocher. Ce tricentenaire remarquable s'est développé non loin de l'endroit où est tapi le rocher-dragon à qui l'on prête la ponte des œufs-boulinettes. Comme la nature est étonnante, semble nous dire ce jardin ! En levant les yeux, les lianes du rosier Rosa banksiae nous le confirment. Il part à l'assaut d'un sapin bleu… Et le recouvre de ses fleurs blanches.

Une ambiance plus calme règne dans la partie dédiée au jardin sec. L'idée d'un endroit capable de s'en sortir sans arrosage s'est imposée au fur et à mesure des défrichements et aménagements. Il met aujourd'hui en valeur un lieu certes moins exubérant, mais d'une grande richesse. Le jardin sec, c'est un jardin odorant – on y trouve les aromatiques endémiques telles la sarriette, le thym, les nepetas, les germandrées ainsi qu'un jardin de massifs qui tapissent le sol de phlomis, scabieuse de crête, santolines et cistes aux verts changeants… « La morphologie des plantes est une bonne indication pour savoir si elles vont résister à la sécheresse. Leurs feuilles par exemple sont toutes petites et le romarin et la sarriette les plient en deux le long de la nervure centrale quand il fait trop chaud », explique le jardinier. Le feuillage collant du ciste ladanifère est un autre de ces stratagèmes de protection. La couleur du feuillage qui tend vers le gris, comme celui des teucrium, également. Il capte ainsi un peu moins le soleil qu'un vert éclatant.

Moins poétique, mais tout aussi instructif, le jardin potager est géré en permaculture depuis 2016. Il montre la nécessité de sans cesse s'adapter à une terre pauvre et à un environnement climatique de plus en plus changeant. Des légumes grimpants vont protéger du sirocco, le compost nourrir la terre, des variétés primeur produire tôt dans la saison… Il faut ne pas être avare de ses efforts et aussi, comme le rappelle Jean-Yves Meignen, « laisser faire le temps »…