Giardino di San Giuliano L'exotisme en héritage
En Sicile, dans la province de Syracuse, se trouve un jardin remarquable qui figure dans le circuit des grands jardins italiens. Somptueuses plantes grasses, cactus, palmiers se confrontent aux héritages passés de l'île et de ce vaste domaine dédié en particulier à d'étonnantes variétés d'oranges, de citrons et de pamplemousses.
Le domaine, situé à une quarantaine de kilomètres de Catane, appartient aux Paternò Castello di San Giuliano depuis plus de huit siècles. Aujourd'hui, Fiona Corsini di San Giuliano prend soin de ces 60 hectares organisés autour d'une massaria du XVe siècle aux enduits ocres. Les masseries, fermes communes dans l'Italie méridionale, abritent dans une enceinte fermée des dépendances agricoles, une habitation et parfois, comme ici, une chapelle.
La façade principale, aux fenêtres encadrées de pierre de taille, s'ouvre sur un jardin tropical qui apporte une grande originalité au lieu. Ces plantations, initiées par Giuseppe di San Giuliano dans les années 1970, sont venues combler le manque de nature exotique que le marquis avait côtoyée lors d'un séjour de sept années au Brésil. Parmi cette multitude de plantes, on note de nombreuses espèces d'aloès, de yuccas ou de cactus, dont certaines très rares, comme l'encéphalartos (Encephalartos sp.), offert par le président du Mozambique.
Jardin arabo-musulman
La cour intérieure fricote aussi avec l'ailleurs et abrite un impressionnant ficus (Ficus macrophylla), planté en 1959. Les ficus, pourtant originaires d'Australie, sont très présents sur l'île. Ces essences sont dotées de racines aériennes, comme des lianes, qui s'enracinent en retombant et constituent une multitude de troncs, à l'image des colonnes des temples grecs de Sicile. Non loin de là, un platane d'Orient nous rappelle que nous sommes bien sur des terres anciennement helléniques. Adoré des Grecs, associé à Zeus ou Dionysos, ce platane possède des feuilles bien plus découpées et aiguës que celles des platanes qui bordent les routes de Provence.
À quelques dizaines de mètres, derrière les bambous et palmiers, se cache le jardin arabe, une merveille créée par Oliva di Collobiano, paysagiste et membre de la famille. Il se divise en quatre parties typiques des jardins arabo-musulmans. L'entrée est occupée par un ancien abreuvoir rural puis un parterre de mosaïques, rappelant le décor des tapis persans, nous guide dans les différentes parties. Comme au temps des Arabes, les chemins sont bordés de rigoles qui permettent d'alimenter le jardin en eau et de rafraîchir le lieu pendant les chaleurs estivales. Au centre, une vasque ronde gargouille du précieux liquide. Un des chemins du jardin est couvert d'une treille de vigne Fragola nera, portant des grappes de raisins au doux parfum de fraise. Cet espace abrite un petit jardin d'agrumes à vocation conservatoire. Les agrumes sont d'ailleurs une signature de la Sicile, certains sont arrivés dans les bagages des Arabes qui y résidèrent du IXe au XIe siècles.
D'un point de vue botanique, les agrumes, (du latin acrumen, « aigre »), appartiennent à la famille des rutacées. Les études les plus récentes laissent penser que l'ensemble des agrumes cultivés proviennent de trois espèces : le pamplemousse (Citrus maxima), le cédrat (Citrus medica) et la mandarine (Citrus reticulata). Par pragmatisme, d'autres botanistes donnent le nom de genre à une quarantaine d'espèces et ne considèrent comme hybrides que les croisements réalisés à l'époque moderne. La plupart sont des clones, greffés sur des porte-greffes plus résistants. Ici, on utilise celui de l'oranger amer.
Prouesse végétale
Dans le jardin arabe, le cédrat, dont les fruits bosselés furent rapportés des Indes par Alexandre le Grand, trône en bonne place. On trouve aussi le citron piretto, que les Siciliens dégustent entièrement en salade, assaisonné seulement d'huile d'olive, de sel et de poivre. Le plus charmeur est le plus rondouillard, Citrus maxima. Quelle prouesse végétale de soutenir à bout de branches des sphères d'un poids pareil ! Elles décorent le pamplemoussier d'un jaune pâle d'une élégance rare.
Le bigaradier (Citrus aurantium), tout aussi bosselé que le cédrat, nous fait profiter de ses effluves. L'oranger amer porte en effet les fleurs dont on extrait une essence précieuse, nommée néroli, d'après la princesse Nérola qui en était folle. On rencontre également le kumquat ovale (Fortunella margarita), originaire de Chine, arrivé bien plus tardivement dans nos contrées, introduit au XIXe siècle par Robert Fortune, botaniste voyageur et négociant en thé qui le découvrit sous un climat froid. C'est en effet celui qui résiste le mieux au gel. Le citron bergamote (Citrus bergamia), la mandarine (Citrus reticulata), la clémentine (Citrus x clementina) et bien d'autres peuplent aussi ce jardin.
Au-delà du muret, s'offre un paysage à couper le souffle : les milliers d'agrumes de l'exploitation agricole de San Giuliano s'étendent avec l'Etna en toile de fond. Le volcan, qui culmine à 3 369 mètres, crachote très régulièrement, nous rappelant qu'il ne dort pas.
Il fait bon flâner dans ces terres et découvrir la générosité de ces arbres, couverts de kilos d'oranges. Quinze variétés différentes produisent environ 10 tonnes de fruits par an. Les plus attendues sont les tarocco, aux parfums doux et sucrés, et les moro, des oranges sanguines à la peau noire. La coloration de ces dernières est due aux variations de température entre le jour et la nuit, qui entraînent la montée des flavonoïdes et une coloration rouge grenat du fruit. En hiver, le blanc de la neige au sommet du volcan s'accorde merveilleusement bien aux boules orangées suspendues dans les arbres. Un paysage idyllique d'une beauté certainement proche du jardin des Hespérides.
La mandragore, Mandragora officinarum
La mandragore à l'état sauvage est très présente dans ce jardin. Utilisée comme antalgique et hypnotique pendant l'Antiquité, cette solanacée extrêmement toxique garde une réputation de plante magique jusqu'à la période médiévale : on craignait que la plante ne se venge lors de l'arrachage. Une technique de cueillette consistait donc à l'accrocher à la queue d'un chien pour pouvoir l'extirper sans crainte.
Infos pratiques
Comment y aller
L'aéroport le plus proche est celui de Catane (2h 40 de Paris). Le domaine se trouve à une quarantaine de kilomètres plus au sud, en allant vers Syracuse.
Adresse
Giardino San Giuliano, Villasmundo, Sicile. Giardinodisangiuliano.it
email : sangiulianoss@gmail.com
Tél. ou WhatsApp : +39 349 430 3343.
Visites sur réservation (période idéale : d'octobre à mai).
Se loger
Hôtel Gutkowski à Syracuse : chambres à partir de 90 € la nuit. Guthotel.it
À noter
À environ 50 km (1 heure de voiture), la réserve naturelle de Pantalica allie paysages de gorges et patrimoine archéologique, avec une nécropole troglodytique.