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L'école de Salerne, entre Orient et Occident

Miniature provenant du Canon de la médecine d’Avicenne
Miniature provenant du Canon de la médecine d’Avicenne représentant Robert le Magnifique, duc de Normandie (XIe siècle), en quête d’un remède à la Schola Medica Salernitana. ©DR

L'école de Salerne est considérée comme la première école de médecine de l'Occident médiéval. La légende raconte qu'elle aurait été fondée par un juif, un arabe, un latin et un grec et que chacun y aurait enseigné dans sa langue. Si cette fable œcuménique semble peu probable, elle reflète bien l'effervescence intellectuelle qu'abrita la ville italienne au début du Moyen Âge.

Située au sud de Naples, Salerne fut, entre les IXe et XIIe siècles, un point névralgique et un carrefour d'échanges de savoirs de différentes cultures. La cité bénéficie de fortes influences provenant d'une part de l'empire byzantin hellénophone, présent alors dans les Pouilles et en Calabre, et d'autre part du monde arabe avec l'émirat de Sicile, actif de 831 à 1091.

De plus, non loin de Salerne, sur le mont Cassin, est érigé le premier monastère bénédictin, créé dès le VIe siècle par saint Benoît de Nursie. L'abbaye dispose d'une riche bibliothèque qui conserve de nombreux écrits sauvés des invasions barbares, dont des fragments de textes grecs ou latins sur l'art médical et l'usage des plantes médicinales. La règle bénédictine encourage l'activité de copie de manuscrits, et la bibliothèque s'enrichit au fil des siècles de nombreux ouvrages. Le monastère, foyer culturel majeur, draine tout une communauté de savants religieux et laïcs qui échangent, retranscrivent et traduisent des textes anciens.

Livre des simples médecines, de Matthieu Platearius, manuscrit de la fin du XVe siècle.Un art perdu de la médecine

Pour comprendre ce qui émerge à Salerne au Moyen Âge, il faut se rappeler que, contrairement à Byzance et à l'Empire arabe, l'Occident médiéval a perdu la dimension théorique du savoir médical à la chute de l'Empire romain. Seules sont parvenues des anciens grecs, tels Hippocrate et Galien, des connaissances éparses via certains fragments de manuscrits.

Au contraire, les Byzantins n'ont pas perdu cet héritage et ont continué de pratiquer la médecine traditionnelle liée aux humeurs du corps, une médecine cosmologique basée sur les quatre éléments. De son côté, le monde arabe s'est intéressé très tôt, dès le VIIIe siècle, à la médecine comme science. Et après avoir traduit les textes grecs antiques provenant de Byzance et de l'Afrique du Nord nouvellement conquise, les médecins affinent leurs connaissances par leurs pratiques et leurs recherches.

Salerne est également héritière d'une tradition curative antique. Il existait non loin...

, dans la région de Pouzzoles, une station thermale active depuis l'Antiquité. Salerne est une ville de soins réputée où l'on vient de toute l'Europe pour se faire soigner. Les archives de l'évêché de Verdun témoignent, en 984, du voyage jusqu'à Salerne de l'évêque Adalbéron, venu traiter ses lithiases rénales.

C'est la réputation de ses médecins qui en fait dès le IXe siècle un pôle attractif favorisant l'arrivée de nombreux disciples désireux d'être formés. Il n'existe pas d'école à proprement parler, mais un groupe de médecins dont la renommée dépasse les frontières, et qui transmettent leur savoir à leurs élèves. Celui-ci est fondé sur un usage précis et séculaire d'une pharmacopée végétale, minérale et animale. L'ouvrage collectif Le Régime de Salerne reflète bien leur façon de soigner : par exemple, il conseille l'usage de plantes médicinales au fil des saisons : l'élixir de sauge et d'aneth en juillet, la lotion d'absinthe en juin, la cannelle en décembre…

La volonté de théoriser

Au XIe siècle s'initie une vraie réflexion sur la médecine. On ne veut plus seulement soigner, on souhaite comprendre les causes profondes de la maladie. Dans ce foyer culturel qu'est Salerne, naît le désir de fournir un cadre théorique à l'usage de la pharmacopée, jusque-là utilisée de façon plutôt empirique. Les médecins compilent les fragments des écrits médicaux des médecins grecs et byzantins et l'on tente de décrypter ces mosaïques théoriques de l'art de guérir. De plus, ce travail s'enrichit des échanges entre les savants religieux du mont Cassin et les praticiens laïcs de Salerne.

L'église interdisant toute recherche anatomique sur l'homme, des dissections sur les animaux sont pratiquées afin de mieux comprendre le corps humain. Théoriciens, médecins, savants se retrouvent à Salerne, et dans ce bouillon scientifique et culturel les femmes ne sont pas en reste, participant pleinement à ces échanges. De cette période nous sont parvenus les noms de médecins et théoriciens, tels Platearius l'ancien, Trotula, femme médecin, Cophon ou encore Garioponthe.

L'âge d'or

En 1077, Constantin l'Africain (1020-1087), voyageur, savant et polyglotte, arrive à Salerne, sans doute à l'invitation de Desiderius, abbé du monastère du mont Cassin. Devenu moine, il traduit, de l'arabe au latin, des textes majeurs qui auront des conséquences considérables sur la connaissance de la médecine comme discipline dans l'Occident médiéval. Ses traductions et ouvrages permettent de renouer avec l'héritage de l'art médical antique et de découvrir également l'immense apport du monde arabe.

Au XIIe siècle, les médecins salernitains confrontent leurs connaissances basées sur des siècles de pratique et d'expérimentation des plantes médicinales avec la doctrine médicale. Ainsi se met en place un programme d'enseignement basé sur les commentaires des traductions de Constantin l'Africain, que l'on nomme Articella. On vient de toute l'Europe pour se former à Salerne et les maîtres jouissent d'une grande renommée, donnant à l'école, la première du genre, un rayonnement dans tout l'Occident. C'est à cette époque que Matthieu Platearius, vraisemblablement fils de la grande Trotula, publie le Circa instans que l'on connaîtra plus tard dans toute l'Europe sous le titre Livre des simples médecines.

En 1231, l'empereur Frédéric II, qui gouverne désormais la ville, structure le cursus et réglemente l'école en créant un diplôme de médecine. À cette époque, Salerne, qui a fait figure de pionnière, n'est plus le seul pôle d'enseignement. D'autres écoles ont vu le jour et commencent à rayonner, telles celles de Montpellier, Bologne, Padoue, puis celle de Paris, créée par Gilles de Corbeil… lui-même formé à Salerne.

 

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