Dossier
Les microbes, ces alliés santé invisibles (2/4)
Les microbes ont hérité d'une mauvaise réputation au fil des siècles. Pourtant, leur présence au sein de notre corps, de la nourriture que nous mangeons et de l'environnement est source de bienfaits considérables pour notre santé. Observons à la loupe les rôles insoupçonnés de ces êtres invisibles, et découvrons comment en faire des partenaires de vie, plutôt que des ennemis à combattre.
Le monde fantastique des microbiotes
Notre corps héberge des milliards de micro-organismes qui nous veulent du bien. Ils s’organisent en différents microbiotes, dont celui des intestins, de la bouche et de la peau sont les plus développés. Depuis une vingtaine d’années, les recherches ont pris un sérieux coup d’accélérateur. Certes, les scientifiques connaissaient l’existence de ces microbes qui pullulent en nous, en parfaite symbiose avec leurs hôtes. Mais faute de techniques pour les analyser, ce monde intérieur restait une terra incognita. Avec l’apparition de puissants outils de biologie moléculaire permettant un séquençage haut débit du génome bactérien, on sait désormais que celui-ci est 150 fois plus vaste que le génome humain (3 millions de gènes bactériens contre « seulement » 22 000 gènes humains), avec la présence, rien que dans notre gros intestin, de 40 000 milliards de bactéries. Et c’est sans compter les micro-organismes qui colonisent d’autres parties du corps, découverts plus récemment : bouche, peau, poumons, vagin… Bref, les microbes tapissent chaque zone de l’organisme en contact plus ou moins direct avec l’extérieur et nous sommes des êtres hybrides, mi-cellulaires, mi-microbiens ! Quant à nos différents microbiotes, leur rôle pour notre santé est tel qu’ils sont désormais considérés comme des organes à part entière…
Staphylococcus epidermidis et jolie peau
La bactérie Staphylococcus epidermidis, communément trouvée sur la peau, a révélé depuis peu son rôle dans le renforcement de la barrière hydrolipidique. Elle produit une enzyme, la sphingomyélinase, qui stimule la fabrication de céramides, contribuant ainsi à réduire la déperdition en eau de la surface cutanée. Cette étude sur modèles animaux, publiée en février 2022 dans Cell Host & Microbe, ouvre la voie à des traitements probiotiques en cas de maladie de peau.
Faites bouger vos bactéries à la bonne intensité
Un exercice physique modéré et régulier comme la marche rapide, le yoga, la natation ou le vélo, pratiqué à raison de 2 h 30 à 5 heures par semaine, est bénéfique à la diversité microbienne, selon une méta-analyse parue en 2024 dans la revue Nutrients. À l’inverse, un exercice trop intense ou prolongé (ultra-trail, marathon…) peut engendrer un stress oxydatif, altérer la perméabilité intestinale et perturber le microbiote.
Ce vaste monde intérieur est composé de bactéries, de virus, de champignons et de parasites. Les bactéries sont de loin les plus abondantes et les plus étudiées, c’est pourquoi le raccourci entre microbiotes et bactéries est souvent emprunté. « On regroupe ces micro-organismes en grandes familles appelées phylums, parmi lesquelles trois sont majeures : Firmicutes, Bacteroides et Actinobacteria », pose le Dr Julien Scanzi, gastro-entérologue et auteur de l’ouvrage Incroyable Microbiote . Il poursuit : « Au sein de ces familles, on trouve des genres bactériens très connus comme les lactobacilles ou les bifidobactéries, utilisés depuis le Néolithique pour fabriquer les aliments lactofermentés (yaourts, fromages…). Et d’autres moins connus comme Bacteroides, Ruminococcus ou Prevotella. Sans parler des espèces au nom intrigant comme Akkermansia muciniphila, Faecalibacterium prausnitzii, Hafnia alvei, Roseburia intestinalis… »...
; Autre découverte : le microbiote intestinal de chacun est unique, sorte d’« empreinte digitale » qui nous définit.
Les études sont claires : nous nous portons d’autant mieux que notre microbiote est riche et diversifié : en moyenne 300 à 1 000 espèces bactériennes différentes, contre moins de 300 en cas de microbiote appauvri. Et cette richesse se développe dès la naissance puis au cours des mille premiers jours de la vie de l’enfant : une naissance par voie basse et l’allaitement maternel favorisent la transmission mère-enfant d’un microbiote très diversifié, alors que les accouchements par césarienne et le recours au lait industriel sont moins favorables. De même, les traitements antibiotiques, surtout dans les premiers mois de la vie, s’avèrent délétères car ils détruisent autant les mauvais germes que les « bonnes » bactéries. Par la suite, ce monde intérieur va réagir à notre environnement et à notre mode de vie, comme tout organe. Un excès d’hygiène et de médicaments (notamment antibiotiques), une alimentation pauvre en fibres et riche en aliments transformés, une exposition aux polluants ou au stress, le vieillissement… ces facteurs prédisposent à un microbiote déséquilibré et appauvri, dans lequel les mauvaises bactéries peuvent prendre le dessus au détriment des bonnes. Cette rupture d’équilibre, qualifiée de dysbiose, favorise les maladies chroniques. À l’inverse, des microbiotes riches et diversifiés (état d’eubiose) préservent notre santé. En effet, nos bactéries « amies » nous rendent de précieux services. Au niveau intestinal, elles synthétisent la plupart des vitamines du groupe B (B3, B6, B8, B9 et B12) ainsi que la vitamine K, essentielle à la coagulation sanguine. Elles participent à la digestion des fibres grâce à une action de fermentation des glucides complexes retrouvés dans les fruits, légumes, légumineuses, fruits secs, graines et céréales. Il en résulte la formation d’acides gras à chaîne courte comme l’acétate, le butyrate ou le propionate, qui nourrissent les cellules du côlon et sont à l’origine de gaz intestinaux peu odorants. Leur rôle sur la santé en général est de mieux en mieux identifié : ils ont une activité anti-inflammatoire, immunorégulatrice, anticancéreuse, antiobésité, antidiabète, hépatoprotectrice, neuroprotectrice et protectrice cardiovasculaire. Il semblerait que ces acides gras à chaîne courte soient également produits par le microbiote de la peau et du vagin.
3 conseils pour entretenir son microbiote buccal
En état d’équilibre, la faune microbienne présente dans notre bouche joue un rôle essentiel dans notre santé bucco-dentaire et globale, en nous protégeant des agents pathogènes, en produisant des substances antimicrobiennes, en prédigérant les sucres et les amidons et en préservant le pH buccal.
- Évitez les produits sucrés acidifiants qui favorisent la prolifération de Streptococcus mutans, responsable de caries et de gingivites.
- Brossez-vous les dents deux fois par jour avec un dentifrice aux plantes (Weleda, Boiron…) ou contenant des prébiotiques (Gallinée…). Terminez par le passage d’un fil dentaire ou d’une brossette interdentaire. En cas de petites plaies ou d’aphtes, plutôt que de recourir aux bains de bouche antiseptiques, préférez rincer votre cavité buccale avec une préparation à la teinture-mère de calendula (diluez 20 à 30 gouttes dans un verre d’eau tiède).
- Stimulez la mastication et la salivation en croquant dans des fruits et des légumes crus ou peu cuits. Les enzymes digestives sont dopées, ce qui préserve l’eubiose (l’équilibre du microbiote local).
Bon à savoir : Le tabac est responsable de dysbiose buccale.
Dysbiose : l’aromathérapie à la rescousse
Les huiles essentielles riches en phénol exercent une action rééquilibrante sur le microbiote, en décimant les souches pathogènes ayant anormalement proliféré : thym à thymol, cannelle de Ceylan, clou de girofle ou encore origan compact pénètrent dans la matrice des jeunes bactéries pour les détruire. À prendre sous forme de capsules orales, sans excéder 3 semaines de prise.
Autre intérêt majeur, l’effet « barrière » : en pullulant dans les intestins, dans la bouche, le vagin ou sur la peau, nos bactéries amies occupent la place et empêchent les nocives de se développer. Elles produisent des peptides antimicrobiens tels que les défensines et les bactériocines, des antibiotiques naturels qui tuent les pathogènes. Mais là encore, gare aux dysbioses et ruptures d’équilibre : nos microbiotes sont alors débordés et les mauvais germes peuvent en profiter pour proliférer : Staphylococcus aureus (staphylocoque doré), Cutibacterium acnes, Streptococcus mutans, Escherichia coli, Clostridium difficile, Candida albicans… En bouche, cela peut générer des caries et des maladies parodontales, sur la peau des pathologies inflammatoires telles que l’atopie ou l’acné, dans nos intestins une affection digestive, une colopathie et des diarrhées, au niveau vaginal une vaginose ou une candidose, une cystite au niveau de la vessie… Et il est désormais clair qu’un microbiote en influence un autre : une dysbiose buccale pourrait accentuer un syndrome de l’intestin irritable, une dysbiose intestinale être responsable de perturbations vaginales et de mycoses. Des recherches récentes ont par ailleurs montré que certaines substances sécrétées par les bactéries intestinales rejoignent le courant sanguin et influencent les glandes sébacées.…
Aussi surprenant que cela puisse paraître, l’intestin dialogue avec le cerveau. Et ce lien de communication passe notamment par le microbiote, capable de synthétiser des métabolites très variés, dont des neurotransmetteurs comme la sérotonine, régulatrice de l’humeur. Les travaux sur cet axe intestin-cerveau ont déjà montré que certaines formes de dépression et d’autisme pourraient trouver leur origine dans une inflammation et une dysbiose. Cette dernière pourrait en effet jouer sur l’étanchéité de la barrière hématoencéphalique, qui protège le cerveau en limitant le passage de substances néfastes. D’autres travaux portent sur les maladies neurodégénératives telles que la maladie de Parkinson, la maladie d’Alzheimer ou encore la sclérose en plaques, pour lesquelles il est fréquent d’observer une dysbiose… « On pourrait apporter des bactéries manquantes ou déficientes. Par exemple Faecalibacterium prausnitzii est dominante chez un individu en bonne santé, mais faiblement présente en cas de maladies chroniques inflammatoires de l’intestin (Mici) », note le Dr Anne-Marie Cassard, chercheur à l’Inserm et coauteure de Les bactéries, des amies qui vous veulent du bien. Chez les femmes enchaînant les cystites ou les mycoses vaginales, il est désormais courant de conseiller des probiotiques par voie vaginale contenant des souches spécifiques de lactobacilles, en complément des antibiotiques ou antimycosiques. Autant d’approches qui ouvrent d’ores et déjà des perspectives de traitement étonnantes.
Gare à l’excès d’hygiène !
Nos bactéries cutanées et vaginales n’aiment pas les produits antiseptiques, qui les décapent et altèrent le pH de la peau ou du vagin… Ce dernier doit rester relativement acide pour empêcher la prolifération des mauvais germes. On évite donc les savons au pH à 8, beaucoup trop agressifs, et on privilégie les produits surgras, doux pour la toilette du visage et de la zone intime.
Restons zen !
En favorisant une inflammation intestinale et générale de l’organisme, le stress chronique déséquilibre notre microbiote. Pratiquer la méditation de façon régulière pourrait être une réponse, comme en témoigne une étude publiée en janvier 2023 dans le British Medical Journal. Celle-ci a en effet établi que le microbiote de moines bouddhistes était significativement plus riche en Megamonas et Faecalibacterium – deux genres bactériens bénéfiques – que celui du groupe contrôle, des laïcs non méditants. Vous pouvez aussi opter pour d’autres techniques antistress qui ont fait leurs preuves : respirations profondes du yoga, bains de forêt, exercices d’autohypnose, chant dans une chorale, rire… À chacun sa méthode favorite !