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Patrick Shan « L'homme a tendance à se fragiliser en se protégeant à l'excès »

Patrick Shan
Patrick Shan

Praticien de médecine chinoise et formateur, Patrick Shan est aussi chercheur en ethnomédecine du monde. Cette expérience lui fait porter un regard singulier sur l'épidémie du Covid-19. Une maladie qui en dit long sur nos qualités de résistance, affaiblies par notre éloignement de la nature.

Plantes & Santé Selon votre avis ­d’ethnomédecin, diriez-vous que nous sommes devenus trop fragiles ?

Patrick Shan Oui, sachant qu’en tant qu’humains, nous sommes déjà fragiles à l’origine par rapport à bien d’autres espèces. Nous le savons, et c’est la raison pour laquelle nous avons développé du génie pour compenser, en nous protégeant par des vêtements, des maisons… L’hyper-médicalisation est une autre forme de fragilisation insidieuse. Les ethnomédecines, qui sont des médecines traditionnelles millénaires toujours vivantes, ont en commun de considérer l’homme comme un produit de la nature, dont il est indispensable de comprendre et respecter les lois pour rester en bonne santé. Finalement, je dirais que l’humain est une espèce fragile qui a tendance à se fragiliser encore davantage en cherchant à se protéger à l’excès, et en s’éloignant trop d’une nature qui est sa propre nature.

P & S Avons-nous manqué de bon sens face à ­l’épidémie de la maladie Covid-19 ?

P. S. On dit en médecine chinoise que la nocivité s’apprécie en fonction de la résistance. Quand on voit un virus capable de tuer une minorité de personnes – les plus fragiles, les plus âgées, les personnes malades, dépendantes de certains traitements – mais d’en « vacciner » une immense majorité, la laissant asymptomatique, il faut se demander si une logique médicale qui ne s’intéresse qu’au virus est la meilleure. D’autant qu’il est difficile de se préparer à une épidémie quand on ne connaît pas comment ledit virus va évoluer. Dans toute épidémie, il est indispensable de mettre les malades en quarantaine pour limiter la viralité. Pour le reste de la population, c’est plus discutable. Ce sont des choix plus politiques que médicaux, qui dépendent à la fois des moyens de protection disponibles (masques, tests de ­dépistage…) et de la capacité d’autodiscipline de chacun. En France, nous n’avions l’un ni l’autre… Après ce genre d’épreuve, il est important de se « déconfiner » physiquement et mentalement, car continuer à se protéger et à s’aseptiser à l’excès irait à l’encontre de la mithridatisation nécessaire pour éviter une nouvelle vague.

P & S Qu’entendez-vous par mithridatisation ?

P. S. Le terme « mithridatisation » vient du roi grec Mithridate, qui, par peur d’être empoisonné, prenait des petites doses de poison pour augmenter ses chances de survie. Cette technique a inspiré le principe vaccinal, que les Chinois ont d’ailleurs inventé vers le XIe siècle dans le traitement de la variole. Au quotidien, la meilleure prévention est la mithridatisation, à savoir une forme d’immunisation naturelle qui entretient notre capacité d’adaptation à un monde qui grouille de micro-organismes. Un enfant se mithridatise, par exemple, en suçotant un doudou qui agit comme une sorte de vaccin portatif. La mithridatisation fonctionne bien avec les pathogènes habituels, mais en présence de nouveaux virus, on n’a guère d’autre choix que la vaccination. Afin d’éviter les risques inhérents à cette méthode thérapeutique, l’idéal serait de pouvoir adapter le dosage, voire la composition d’un vaccin d’un individu à l’autre… Mais ce n’est pas vraiment réaliste dans un système de soins qui a pris l’habitude d’adapter les patients aux traitements plutôt que l’inverse.

P & S Comment la médecine chinoise fait-elle la « guerre » à une épidémie ?

P. S. Le Huangdi Nei Jing, un ouvrage ancien de médecine chinoise, dit qu’ « attendre d’être malade pour se soigner, c’est comme attendre que la guerre soit déclarée pour forger des armes (il aurait pu ajouter : et fabriquer des masques). N’est-ce pas bien tard ? » Vous l’aurez compris, le meilleur traitement des épidémies reste la prévention. à ce titre, nous avons parlé de mithridatisation et de vaccins, mais on doit chercher aussi à comprendre les causes étiologiques des épidémies. De la myxomatose des lapins au Covid-19 des humains en passant par les vaches folles, ce sont le plus souvent des actions humaines contre-nature qui sont à l’origine des nouvelles maladies, ainsi que de l’effondrement des écosystèmes. À notre petit niveau, nous devons tous agir de façon globale en faisant attention à la manière dont nous consommons et traitons la nature.

P & S Qu’est-ce que la médecine traditionnelle chinoise peut apporter à la médecine occidentale sur le plan curatif ?

P. S. La logique préventive de la médecine chinoise nous incite à mettre l’accent sur le traitement du terrain, et à traiter les signes de la maladie dès son apparition afin de désamorcer son évolution. Si la médecine chinoise avait sa place aux côtés de la médecine occidentale, elle contribuerait grandement à réduire le nombre de complications et désencombrer les services hospitaliers. La pharmacopée chinoise dispose de dizaines de formules traditionnelles pouvant être adaptées aux multiples variantes des phases initiales du Covid-19, là où la médecine occidentale ne dispose que des traitements très limités, comme le paracétamol, ou faisant payer leur efficacité par de graves effets secondaires possibles, comme l’hydroxychloroquine.

P & S À votre avis, vivons-nous dans un monde trop aseptisé ?

P. S. Ce que l’on peut observer, c’est que ce ne sont pas dans les milieux les plus aseptisés que l’on a le moins de maladies. C’est dans nos hôpitaux, qui fleurent bon l’eau de Javel, que naissent les bactéries les plus résistantes et dangereuses comme le staphylocoque doré. Les maladies nosocomiales, responsables de quelque 6 % de décès dans les hôpitaux, sont la conséquence d’une confusion tenace entre santé et pureté, propreté et asepsie. Même problème avec la nourriture : on pasteurise les produits laitiers, on farcit la viande d’antibiotiques, on chlore la salade, on irradie les fruits… C’est moins notre rapport à l’hygiène que celui à la nature, et notre dépendance à ceux qui la dénaturent, qu’il faut à mon avis questionner. Le monde moderne va trop vite pour la nature, qui n’a pas le temps de s’adapter, et nous le fait savoir. Même la médecine, de l’Occident à la Chine, fait partie de cette course folle. Rares sont ceux qui ont conservé le savoir et la sagesse des Anciens, et qui savent les actualiser pour faire face aux défis du monde moderne. Certaines variétés d’armoise soignent le paludisme depuis des siècles et pourraient sauver l’Afrique, mais l’industrie pharmaceutique en a breveté le principe actif, et cherche à faire interdire son usage naturel. L’époque actuelle nous rappelle que les soins naturels sont l’avenir de la médecine, tout comme les vieilles semences, biologiques et reproductibles, sont l’avenir de l’agriculture.

Parcours

  • De 1977 à 1989 Étude de la médecine traditionnelle chinoise avec le Dr Leung Kok Yuen.
  • 1980 Diplômé d’acupuncture (North American College).
  • 1984 Diplômé de l’université européenne de médecine chinoise.
  • 1991 Création du CEDRE, collectif d’étude, de développement et de recherche en ethnomédecine et école de formation en médecine chinoise. www.cedre.org
  • 2004 Création de l’ONG humanitrad, missions de soins et de formation en ethnomédecine auprès des minorités ethniques et de populations défavorisées. www.humanitrad.org
  • 2013-2014 Représente le Dr Leung Kok Yuen au congrès d’anthropologie de Kunming et au forum de l’université de Nanjing.
  • 2017 élu membre du conseil d’administration du Centre de recherche sur les apports occidentaux à la médecine chinoise (Craomc, Paris).
  • 2020 Prépare Humanidays, colloque sur les médecines du monde, prévu en mai 2021.
En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Plantes & Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé.
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