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Alice Waters « L'alimentation est quelque chose de précieux »

Alice Waters « L'alimentation est quelque chose de précieux »

L'Américaine Alice Waters, pionnière d'une restauration locale, fait partie des cheffes cuisinières les plus influentes. À 78 ans, celle qui a conseillé Michelle Obama pour le potager de la Maison-Blanche continue d'être une grande source d'inspiration, même en France, alors que sa référence n'est autre que la cuisine française. Elle était à Paris pour présenter le tome II de son manifeste gourmand.

Plantes & Santé Votre restaurant en Californie mise sur le local, le bio, le fait maison et la convivialité. Comment est né ce projet de cuisine saine et engagée qui perdure depuis plus de 50 ans ?

Alice Waters En 1965, à 19 ans, je suis venue en France pour suivre un cours de civilisation à la Sorbonne. Lors de ce voyage, j’ai vécu un véritable éveil gastronomique : tous les aliments provenaient des marchés et rien n’était importé. Je crois qu’il n’y avait même pas d’huile d’olive dans le nord de la France ! J’ai fait l’expérience d’un goût inoubliable : des fraises des bois cueillies en montagne… Quand je suis rentrée aux états-Unis, je me suis résolue à vivre à la française, non seulement pour ce goût, mais pour la façon de dresser la table, de prendre une heure pour déjeuner, etc. La France était une nation véritablement slow food ! Pour retrouver ce mode de vie, j’ai ouvert mon propre restaurant que j’ai nommé Chez Panisse, en hommage à Marcel Pagnol.

P & S Vous êtes considérée comme une pionnière du locavorisme. Comment s’est mise en place la démarche « farm to table » de votre restaurant ?

A. W. Au tout début de l’histoire de mon restaurant, je recherchais les saveurs de la France. Je voulais notamment préparer des salades de type mesclun que j’avais découvertes à Nice. J’ai donc rapporté des graines de France que j’ai plantées dans mon jardin. Puis je me suis rapprochée des agriculteurs bio locaux afin de leur faire cultiver les variétés que je voulais cuisiner. Je les leur achetais directement afin qu’ils soient payés au prix le plus juste, sans intermédiaire. Ce réseau d’approvisionnement est devenu un écosystème d’environ cent producteurs : à la différence de la majorité des agriculteurs américains, ils cultivent pour le goût et pas pour la quantité. Chez Panisse, nous avons aussi gardé cette idée de petites portions, qui va à contre-courant de la tendance américaine. La petite portion est une très grande contribution française à la santé et c’est antigaspillage, ce qui a beaucoup de valeur dans notre monde.

Parcours

1944 Naissance aux états-Unis, dans le New Jersey.

1971 Ouverture de Chez Panisse, un restaurant « de la ferme à la table » à Berkeley, en Californie.

1996 Création de l’Edible Schoolyard dans une école à Berkeley.

2002 Vice-présidente de Slow Food International.

2009 Création du potager de Michelle Obama à la Maison-Blanche dans le cadre de la campagne anti-obésité infantile « Let’s Move ! ».

2018 Parution de L’Art de la cuisine simple en France, 11 ans après sa parution aux états-Unis.

2019 Marraine de l’association L’école comestible en France.

2022 Parution en France de L’Art de la cuisine simple II (coédition Actes Sud/Keribus éditions).

P & S Votre restaurant, où se retrouvaient vos amis dans les années 1970 pour parler politique, est le berceau de ce que vous appelez la « révolution délicieuse ». Cette expression a même été reprise par le chef français Olivier Roellinger comme titre de son dernier livre. Quelle est la révolution dont vous êtes le plus fière dans votre parcours militant ?

A. W. En 1996, le directeur d’un collège public de Berkeley, en Californie, m’a contactée afin de créer un potager, et c’est ainsi qu’est né l’Edible Schoolyard (la « cour d’école comestible »). Le principe est de disposer d’un jardin et d’une cuisine, pas seulement pour apprendre le jardinage et la nutrition, mais aussi pour enseigner les matières académiques : faire des mathématiques en calculant les proportions d’une recette, apprendre l’histoire du Moyen Orient en préparant un pain pitta et du houmous, etc. Le professeur et les élèves apprennent en faisant, en utilisant leurs cinq sens, ce que préconisait Maria Montessori pour que les enfants mémorisent mieux les connaissances. Cet Edible Schoolyard a inspiré plus de 5 000 initiatives similaires, aux états-Unis et dans bien d’autres pays (dont la France, voir encadré).

P & S N’êtes-vous jamais tentée de baisser les bras, lorsque vous voyez la place qu’occupe la fast food aux états-Unis ?

A. W. Tout est affaire d’éducation, c’est pourquoi il est si important que les enfants connaissent les vraies saveurs. S’ils apprennent à bien se nourrir, ils seront moins attirés par la fast food. Aujourd’hui, j’ai pour projet d’utiliser le réseau des écoles publiques pour favoriser l’agriculture locale, avec des producteurs qui fourniraient directement les cantines. Quand on mange en respectant les saisons et en achetant aux agriculteurs qui prennent soin de la terre, cela apporte du sens à notre vie. L’alimentation est quelque chose de précieux et je considère qu’il faut inciter les jeunes à s’engager dans l’agriculture bio. C’est une manière de répondre aux défis environnementaux qui se présentent à nous.

P & S Vous avez fait le choix de ne pas ouvrir d’autre restaurant malgré le succès de Chez Panisse. Mais on peut découvrir votre cuisine au travers de vos livres. Dans L’Art de la cuisine simple II, qui vient de paraître, vous parlez aussi de jardinage. Pourquoi ?

A. W. En cultivant mon jardin, j’ai développé une grande empathie envers les agriculteurs, et un immense respect pour ce qu’ils font : fabriquer notre nourriture et prendre soin de la terre. En jardinant, on réalise à quel point les aliments sont précieux et combien nous dépendons de la terre pour notre survie. Je veux aussi que les lecteurs comprennent qu’ils peuvent cultiver leur propre nourriture et la cuisiner. Quand j’étais petite, nous avions un « jardin de la victoire » derrière notre maison. Eleanor Roosevelt avait donné l’exemple en cultivant un potager sur la pelouse de la Maison-Blanche, et plus de 20 millions de « jardins de la victoire » ont été ainsi plantés durant la Seconde Guerre mondiale, produisant plus de 9 millions de tonnes de légumes. C’est un exemple incroyablement inspirant aujourd’hui, alors que nous sommes de plus en plus nombreux à souhaiter faire pousser des plantes comestibles plutôt que des pelouses stériles.

À lire

L’Art de la cuisine simple II, d’Alice Waters (Actes Sud/Keribus éditions).

 

P & S Votre livre est dédié au monde végétal. Votre cuisine n’est pourtant pas végétarienne. Pourquoi avoir choisi un tel angle ?

A. W. Les herbes aromatiques définissent ma cuisine : elles confèrent aux plats fraîcheur et vitalité. Quant aux salades, je pense ne jamais me lasser de la diversité de leurs goûts et de leurs couleurs. En hiver, ce sont les salades chicorées qui égayent les journées froides et sombres. Je voue une véritable passion à la diversité végétale, tiges, racines, fleurs, graines, etc. tandis que je ne mange pas beaucoup de viande. Cependant, je pense qu’il est important d’avoir des animaux à la campagne pour le climat. Les animaux ont toujours fait partie du régime humain, mais ils étaient réservés aux grandes occasions.

P & S Quelle est la première chose à faire pour reprendre son alimentation en main ? Acheter local ? Cultiver des herbes aromatiques ? Prendre le temps de cuisiner ? Mettre plus de végétal dans son assiette ?

A. W. Je conseille de cuisiner des légumes secs, afin d’en avoir à disposition toute la semaine. Ils sont présents dans toutes les civilisations. Ils sont de différentes couleurs, tailles et goûts. Ils sont très nutritifs et délicieux. Je recommande aussi de rechercher le goût et de se tourner pour cela vers les recettes très traditionnelles. En été, essayez de préparer votre propre pesto avec du basilic frais, c’est incomparable ! Inutile d’aller vers les recettes très difficiles. Au contraire, recherchez cette satisfaction d’avoir réalisé quelque chose de simple et de bon pour vos proches, comme une pâte à tarte ou un pesto. Le fait maison est un engagement.

En France aussi

Il y a trois ans, Camille Labro, traductrice des livres d’Alice Waters en français, créait l’association L’école comestible (Ecolecomestible.org), inspirée de l’Edible Schoolyard. Elle intervient dans les écoles primaires en proposant des ateliers sur le cycle de la graine au légume, les aromatiques, les goûts primaires… où les enfants peuvent manipuler, sentir et faire par eux-mêmes, chaque atelier se terminant par une dégustation. Dans certaines écoles, un potager permet de faire pousser les légumes à cuisiner ensuite. à ce jour, 4 500 enfants ont été sensibilisés. « Il est important que l’éducation alimentaire, de la terre à l’assiette, entre à l’école, car l’alimentation est au carrefour de nombreuses disciplines, notamment la santé et l’environnement », souligne Camille Labro.

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Plantes & Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé.
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