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Agnès Ducharne « Le désespoir nous pousse à sortir du silence »

Agnès Ducharne « Le désespoir nous pousse à sortir du silence »

Directrice de recherche au CNRS, Agnès Ducharne étudie depuis vingt ans l'impact du réchauffement planétaire sur le cycle de l'eau. La sécheresse inédite de cet hiver en est d'ailleurs un exemple frappant. Au sein du collectif « Scientifiques en rébellion », créé en 2020, la chercheuse appelle à la désobéissance civile pour que les pouvoirs publics sortent de l'inaction climatique.

Plantes & Santé : Depuis trois ans, vous avez initié et soutenu plusieurs tribunes médiatiques appelant à la « rébellion face à la crise écologique ». Qu'est-ce qui motive cet engagement nouveau pour des scientifiques, des chercheurs ?

Agnès Ducharne. L'engagement des scientifiques pour la cause écologique n'est pas nouveau. Mais aujourd'hui, nous assistons à un grand mouvement de fond qui mobilise le milieu scientifique, notamment dans les sciences de l'environnement et du climat. Le déclic s'est produit à l'été 2019. Nous, scientifiques du climat, avons très mal vécu la double canicule, la forte sécheresse et les incendies partout dans le monde. Là, nous avons décidé que nous ne pouvions plus rester dans l'inaction ! Voici des années que nos rapports scientifiques alertent sur la catastrophe en cours et l'état désastreux de la planète, mais nos constats sont totalement ignorés. Les décideurs politiques n'en font rien ! Les émissions de gaz à effets de serre sont même reparties à la hausse, après la baisse liée au confinement du Covid. C'est notre désespoir qui nous pousse aujourd'hui à sortir des labos pour communiquer sur l'urgence de réduire nos émissions de carbone au plus vite.

P&S Vous trouvez que les scientifiques ne sont pas assez consultés sur les questions climatiques ? Pourtant, le GIEC effectue un gros travail de communication des données…

A. D. Oui, le dernier rapport du GIEC pointait l'année dernière qu'à moins d'une baisse drastique et extrêmement rapide des émissions de gaz à effet de serre, il serait impossible de limiter le réchauffement global terrestre à + 1,5 degré par rapport aux valeurs préindustrielles. Mais un an après, on ne voit toujours rien venir en termes de décisions politiques. Certes, ces rapports paraissent peut-être un peu complexes aux citoyens, pourtant les conséquences dramatiques du changement climatique qui sont décrites sur le papier se passent maintenant sous nos yeux ! Et nous, scientifiques, nous savons que ce n'est que le début des problèmes… Les gens n'ont pas idée de la gravité de la situation. La planète, les écosystèmes et la biodiversité se trouvent dans un état désastreux. L'inaction politique est une faute majeure et en tant que scientifique, j'ai décidé de ne pas abandonner l'affaire et de mettre mon expertise de chercheuse au service de cette mobilisation.

P&S Votre engagement est visible sur votre site professionnel. Comment réagit votre employeur, le CNRS ? Avez-vous une vraie liberté d'action ?

A. D. Je n'ai pas été inquiétée jusque-là car je m'exprime en tant que chercheuse, mais pas au nom de mon employeur. Et je ne pense pas que le CNRS y trouve à redire dans la mesure où l'une de ses missions est de vulgariser l'information scientifique auprès de tous les acteurs de la société française. Aux États-Unis en revanche, la climatologue Rose Abramoff a été licenciée de son laboratoire américain après avoir déployé une banderole sur scène lors d'un colloque de la Société américaine de géophysique. Elle appelait ses confrères à sortir des labos pour descendre dans la rue et se mobiliser pour le climat.

Parcours

1997 Doctorat en climatologie sur le cycle de l'eau

2002 Recherches sur l'impact du changement climatique sur les ressources en eau dans le bassin de la Seine

2014 Nomination à l'Académie d'agriculture de France

2019 Double canicule en Europe (juin et juillet)

2020 Signature d'une tribune dans Le Monde : « Face à la crise écologique, la rébellion est nécessaire » avec 1 000 scientifiques

2021 Grand prix scientifique franco-taïwanais

2022 Conférence introductive du colloque « Biotechnologies végétales et changement climatique » à Paris

Février 2023 Conférence « Sécheresses : allons-nous trinquer ? » à l'ENS de Rennes

1990 Entrée à l'École normale supérieure de Paris

P&S Quelle forme de rébellion prônez-vous ? Certains membres de votre collectif ont participé à des actes de désobéissance civile. Est-ce nécessaire d'en arriver là pour sensibiliser à l'urgence climatique ?

A. D. Il le faut bien, puisque nos rapports et nos formes classiques d'implication ont échoué comme leviers d'action. Nous utilisons notre caution scientifique pour appeler à une rébellion douce sous la forme d'actes de désobéissance civile non violente, afin de réveiller les consciences. Certains membres de notre collectif ont dénoncé la pollution automobile en se collant les mains à des voitures ou ont participé au blocage des pistes de l'aéroport du Bourget contre les jets privés. Pour ma part, j'ai témoigné lors du procès d'un activiste écologique, décrocheur du portrait du président Macron, où j'ai légitimé les raisons scientifiques pour lesquelles il a agi. Il est essentiel de soutenir l'activisme climatique, qui se voit de plus en plus pénalisé dans les tribunaux. Je sors de mon labo aussi pour témoigner de cette urgence climatique auprès d'étudiants, de cercles médiatiques, de festivals sur le thème de l'eau… Des rencontres humaines pour transmettre le message au plus près des gens.

P&S Experte depuis vingt ans du cycle de l'eau, et plus précisément des problématiques de sécheresse et d'irrigation agricole, qu'espérez-vous changer ?

A. D. Jusque très récemment, on pensait de manière un peu caricaturale que nous avions de l'eau en abondance en France et que le manque d'eau était une affaire à régler entre agriculteurs. Or, nous avons vu l'été dernier une centaine de communes en panne d'eau potable, obligées de se faire livrer par camions. L'eau se raréfie de plus en plus. Les hydrologues et climatologues le prédisaient depuis vingt ans et cette tendance va s'intensifier avec les sécheresses à venir, plus fréquentes et plus longues. Il faut que tous les acteurs réfléchissent enfin au partage de l'eau entre les principaux usages, c'est-à-dire l'agriculture, la production électrique, l'eau potable. Il faut savoir que l'an dernier, EDF a baissé sa production hydroélectrique de moitié à cause de la sécheresse. À terme, nous aurons un grave problème si nous manquons d'eau pour refroidir les centrales nucléaires ou thermiques. Sans compter l'impact du déficit hydrique sur nos écosystèmes aquatiques et terrestres.

P&S Vous pensez que le monde agricole, qui consomme près de la moitié de la ressource en eau, peut entendre vos alertes ?

A. D. J'aimerais faire comprendre aux agriculteurs qu'ils vont se mettre en danger s'ils augmentent encore les surfaces de cultures à irriguer et le stockage de l'eau via les barrages, les retenues ou les mégabassines qui pompent dans les nappes phréatiques. Car les ressources en eau décroissent de plus en plus, ce qui compromet la possibilité même de la stocker, comme le montre la sécheresse de cet hiver. Au lieu d'investir dans les capacités de stockage, le ministère de l'Agriculture serait plus avisé d'essayer de réduire la consommation d'eau. Certaines pistes sont très intéressantes, comme la diminution de l'évaporation de l'eau par paillage ou les pratiques agroécologiques qui préservent la matière organique des sols et stockent naturellement l'eau. Il faut aussi diminuer l'élevage et la culture du maïs, trop gourmands en eau. La meilleure des protections, c'est de moins consommer d'eau. Mon travail de recherche est justement d'estimer et de modéliser quelle quantité d'eau sera réellement disponible dans le futur, pour voir si les besoins en irrigation pourront être réalisés ou non avec la multiplication des sécheresses.

Une sécheresse hivernale visible à l'œil nu

Nos paysages ont pris cet hiver des physionomies inédites du fait du manque d'eau. Alors que c'est la période où normalement les fleuves, lacs et cours d'eau se remplissent à plein pour jouer un rôle de réserve, force est de constater que ce n'est plus le cas. Le lac artificiel de Montbel en Ariège affichait en février à peine 20 % de remplissage au lieu de 70 % d'habitude. Il alimente la Garonne, qui s'est aussi retrouvée quasi à sec. Tout comme le canal de Perpignan, le fleuve Var et le lac du Broc (Alpes-Maritimes), qui ont enregistré des niveaux d'eau historiquement bas pour la saison. Du coup, des restrictions d'eau ont déjà été décrétées dans les régions les plus fragiles.

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Plantes & Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé.
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