Dossier
Force et symbolique des végétaux sacrés (7/8)
Symboles sur terre de dieux puissants et inaccessibles, investies de pouvoirs mystérieux, les plantes sont depuis la nuit des temps les messagères des humains vers le monde immatériel, et vice versa. De l'achillée bénie chez les Celtes aux tagètes vénérées au Mexique en passant par l'iboga, le bois sacré du Gabon, partons à la découverte de ces végétaux qui nous relient à l'invisible.
Le tabac, un souffle sacré
En Amérique centrale, le tabac est, avec le haricot, le maïs et la courge, l’une des quatre plantes données aux hommes par les dieux. Son caractère sacré ne fait aucun doute. Ce sont d’ailleurs les Mayas, grands voyageurs, qui répandirent son usage dans toute l’Amérique, à partir du Ve siècle. Le tabac intègre ainsi les cérémonies spirituelles et les mythes des origines.
Son caractère sacré en restreint l’usage aux seuls chefs spirituels, nous disons aujourd’hui « chamanes », qui doivent suivre une longue initiation : en Amazonie, le tabaquero doit, avant de pouvoir le fumer, l’ingérer sous forme solide et liquide et à très fortes doses durant trois ans. Plante chamanique par excellence, il procure des visions (grâce à la nicotine, un alcaloïde) et donne au chamane un accès privilégié à l’au-delà, et aux pouvoirs spirituels du jaguar, que les Indiens associent à la plante. Le tabac est toujours considéré comme une « plante maîtresse » de la forêt amazonienne, capable d’initier ceux qui l’utilisent. Au Pérou, dans les rituels de guérison, le tabaquero souffle la fumée au creux de ses mains afin de s’allier les auxiliaires spirituels qui vont le guider. Mais il ne l’inhale pas : il l’ingère avant de la souffler, dans une éructation. La fumée de tabac permet aussi de recevoir présages et enseignements de la part des esprits invisibles qui peuplent les forêts ou les montagnes. Dans d’autres traditions amérindiennes, on utilise les feuilles séchées. Ces usages rituels du tabac, qui n’exposent à aucune addiction – contrairement à l’usage profane, mondialisé par l’industrie du tabac – perdurent tant dans les traditions amérindiennes que chez les chamanes contemporains de toutes traditions.
Et aujourdhui...
Rituels avec ou sans fumée
Dans de nombreuses traditions amérindiennes, les feuilles séchées et finement hachées de tabac sont toujours déposées sur le sol en guise d’offrande, ou utilisées comme encens, pour purifier les maisons, remercier ou implorer les esprits. La fumée de tabac, en s’élevant, emporte aussi dans ses volutes les mots des incantations humaines. De nombreux rituels y recourent encore aujourd’hui : saupoudrée tout autour d’un véhicule, la poudre de tabac garantit un voyage sans accident ; tout autour du lit d’un malade, elle accélère la guérison. Et les Anichinabés du Canada en ont toujours un peu sur eux, afin de pouvoir en offrir si besoin.
La tagète honore les morts
On l’apprécie aujourd’hui dans les assiettes des grands chefs ou au jardin, pour éloigner les indésirables. La tagète aux pétales jaunes, rouges ou orangés, fleur originaire du Mexique, des Andes et de la Bolivie, entre dans les traditions indigènes, notamment chez les Huichols au Mexique, qui fumaient un mélange de tagète et de tabac pour induire des états de transe. Chez les prêtres mayas, la plante était offerte aux dieux afin d’obtenir leur protection. Mais ce sont les traditions des Aztèques et Toltèques qui restent davantage ancrées dans les rituels actuels au Mexique. Lors du Día de los muertos (fête des morts), les 1er et 2 novembre, les autels et tombes des défunts sont ornés de tagètes, qui les accompagnent dans leur voyage vers l’au-delà.