Ancien monastère de Sainte-Croix : À l'ombre du savoir des moines
© Lise May
Dans la Drôme, sur un éperon rocheux aux portes du Vercors, se trouve l'ancien monastère de Sainte-Croix-en-Diois. Vitrine de la biodiversité locale et de l'histoire médiévale, son parcours botanique est à arpenter dans la quiétude d'un village entouré de collines.
C’est un tilleul aux jeunes rameaux rougis qui nous accueille à notre arrivée dans l’ancien monastère de Sainte-Croix, village posé sur la roche entre Saillans et Die. Surplombant la vallée de Quint, porte d’entrée du massif du Vercors, la bâtisse de pierres a été érigée pour l’essentiel au XIe siècle par les comtes de Valentinois pour servir de prieuré, d’abord aux moines bénédictins, puis aux hospitaliers de l’ordre des Antonins. Aujourd’hui géré par la SCIC Nouveau Monastère, le site fait office de centre d’accueil de groupes dans le cadre de séminaires, ateliers culturels, botaniques ou bien-être, réunions de famille et chantiers divers.
Aménagé en 2002 au sein d’un parc de 2 hectares, le jardin ethnobotanique compte, sur 500 mètres carrés, 300 variétés de plantes médicinales, potagères, condimentaires, tinctoriales et textiles, sur des parcelles marquées par des buis ou des branches de saules. Les plantes y sont classées par familles, genres et usages traditionnels et locaux. Aux lamiacées, apiacées, rosacées, thyms, lavandes ou sauges s’ajoutent les vulnéraires, calmantes, gynécologiques… La majorité sont représentatives du Diois. Sont mises à l’honneur celles que l’on employait classiquement au Moyen Âge – notamment les hospitaliers de Saint Antoine, qui ont officié dans ce monastère et ailleurs en Europe, du XIIe au XVIIe siècle.
Parmi les plantes phares des Antonins, on trouve les plantains grand et lancéolé, la scrofulaire aquatique, l’ortie blanche, le chiendent rampant, le trèfle blanc, le souchet, le coquelicot… « On dirait une liste de mauvaises herbes, mais non, assure Lise-May Viment, coordinatrice du jardin, productrice indépendante de plantes et animatrice d’ateliers. Elles étaient cultivées pour leurs propriétés analgésiques et dépuratives ». Surtout, les Antonins les utilisaient pour fabriquer un breuvage à la formule tenue secrète, censé soulager les malades touchés par une pathologie qui faisait des ravages à l’époque : l’ergotisme.
Feux ardents
Aussi appelé mal des ardents, feu sacré ou de saint Antoine, l’ergotisme est dû à un champignon qui se développe sur certaines céréales dont le seigle, les années humides et chaudes. Manger du pain contaminé suffisait à s’empoisonner. Les descriptions font état de sensations terribles de brûlures internes, suivies de convulsions et d’hallucinations. Les membres se nécrosent, pourrissent et finissent par tomber.
Renommés pour leur approche de la maladie, les Antonins y voient un fléau contre lequel saint Antoine, qui avait si bien résisté aux « feux de la tentation » dans sa vie d’ascèse, pouvait offrir son aide. Méthodiques, ils nourrissent les malades de viande et légumes, sans seigle, puis leur administrent rituellement le saint vinage – mélange de plantes macérées avec des os du saint –, ainsi qu’un onguent sur les plaies. S’ils soulageaient plus qu’ils ne guérissaient, ces soins pouvaient aboutir à l’amputation à la scie, en laquelle les Antonins étaient également versés.
Le mûrier platane
Originaire, d’asie, ce mûrier, Morus bombycis, comme le mûrier blanc, Morus alba, est l’arbre nourricier des vers à soie. Les chenilles du papillon Bombyx mori se nourrissent exclusivement de leurs feuilles. Plus de 4 millions de mûriers, surtout des mûriers blancs, ont été implantés dans le sud de la France pour la sériculture, qui connut sa période faste au milieu du XIXe siècle. Aujourd’hui, on apprécie la densité de leur feuillage qui se déploie en couronne et leur résistance à la sécheresse.
Mille ans d’histoire
La visite du jardin nous fait aborder les usages méconnus de certaines plantes en ces temps médiévaux. Ainsi du gattilier ou poivre des moines (Vitex agnus-castus), anaphrodisiaque emblématique des monastères du sud de l’Europe : les moines saupoudraient leur soupe avec les graines et plaçaient les rameaux sous leur oreiller. Côté alimentaire, on apprend l’existence du chervis (Sium sisarum), dont on mangeait les racines cuites à la façon des salsifis. « Les plantes d’autrefois étaient plus amères et coriaces, mais demandaient moins d’énergie que nos annuelles », souligne la guide. Côté féminin, nous voici face à la rue des jardins (Ruta graveolens), autrefois utilisée comme plante abortive, qui fut interdite à la culture au début du XXe siècle.
Plus bas, dans le verger, d’épais mûriers platanes (Morus bombycis) rappellent que le lieu a servi d’atelier d’ouvraison de la soie au XIXe siècle – les ouvrières étaient des orphelines et jeunes filles pauvres de la région, et la soie destinée aux usines de soyeux de Lyon.
On descend en zigzag au milieu des arbres jusqu’au mur d’enceinte. Des bosquets de ronces marquent les lisières tandis que pouillots véloces et mésanges se font entendre (le parc est labellisé refuge LPO). Le tronc pâle d’un genévrier thurifère (Juniperus thurifera) détonne au milieu des tons brun-vert tendre. Érable champêtre, chênes vert et pédonculé, if, pin de Salzmann… La variété arborée est singulière pour la région.
On remonte ensuite en longeant une voûte ombragée de cognassiers. On pourra jeter un regard à l’exposition sur les Antonins, avant de quitter ce lieu témoin de l’histoire de la Drôme depuis mille ans.
Infos pratiques
Comment y aller ?
- En voiture depuis Valence, compter une heure : suivre la direction de Gap et tourner à gauche 3 km après Pontaix.
- En transports en commun : TER Valence-Die puis bus 28, arrêt Sainte-Croix.
Adresse :
- SCIC Nouveau Monastère, 54, place de l’Église-Temple, 26150 Sainte-Croix, Le-monastere.org
Ouverture :
- Visites non guidées du parc (contribution libre) de février à décembre.
- Visites guidées du parc et ateliers de mai à septembre avec Lise-May Viment, Lesfleursdemay@gmail.com
Hébergement sur place :
- De février à décembre, pour les groupes, chambres simples ou doubles sur 2 nuits minimum.
- Demi-pension : 62,50 e par personne et par nuit ; pension complète : 72,50 e par personne et par nuit.