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Vincent Libis « La terre est une mine d'or de médicaments »

Vincent Libis, découvreur de médicaments issus de la terre
Vincent Libis, découvreur de médicaments issus de la terre

C'est étonnant, mais de nombreux médicaments sont issus de micro-organismes trouvés dans la terre. Beaucoup d'entre eux, notamment les antibiotiques, s'avèrent hélas de moins en moins efficaces. Une équipe de chercheurs, rassemblée par le pharmacien et chercheur Vincent Libis, nous invite à fouiller avec eux les sols de l'Hexagone afin de multiplier les chances de découvrir de nouveaux traitements.

Plantes & Santé : Vous avez lancé cet été le projet « Science à la pelle » qui propose aux Français de prélever des échantillons de terre dans tout le pays afin de faire avancer la recherche. Quel est son but exactement ?

Vincent Libis : Il s'agit de fouiller la terre de la France métropolitaine et de la Corse pour y chercher des bactéries qui pourraient être utiles à la production de futurs médicaments comme des antibiotiques, anticancéreux ou immunosuppresseurs. Conçu il y a un an, ce projet de science participative rassemble aujourd'hui une douzaine de membres, dont des chercheurs de l'Inserm. L'idée est d'impliquer les citoyens, de les inviter à voir ce qui se passe dans le laboratoire et de partager avec eux nos résultats. Nous proposons à tous ceux qui le souhaitent de récolter des échantillons de terre dans de simples sachets plastiques à nous envoyer ensuite par la poste. Le protocole, simple mais précis, est indiqué sur notre site www.science-a-la-pelle.fr. Nous appelons également les professionnels ou citoyens qui ont une activité en lien avec les sols (botanistes, agriculteurs, etc.) à participer pour nous faire bénéficier de leur expertise très précieuse. Par exemple, les gardes forestiers du bois de Vincennes sont venus nous proposer leur aide et un particulier nous a parlé d'une forêt primaire qui se trouve dans les Vosges et dont la terre pourrait s'avérer très intéressante.

P & S : On entend pourtant souvent dire que les bactéries du sol sont nocives plutôt que bénéfiques. Est-ce un préjugé ?

V. L.: Effectivement, on a tendance à penser que la terre est « sale ». Pourtant, c'est un environnement très différent du corps humain et s'il faut évidemment se méfier de certaines terres, la grande majorité d'entre elles ont très peu de chances de représenter un danger pour le corps humain. Peu de gens sont au courant du fait que le sol a donné nombre de nos médicaments actuels, et ce même parmi les médecins et scientifiques qui les utilisent chaque jour.

P & S : Quels médicaments actuellement utilisés sont tirés de bactéries trouvées dans le sol ?

V. L. : Principalement des antibiotiques, mais aussi de nombreux anticancéreux et immunosuppresseurs. Du côté des antibiotiques, citons l'érythromycine, employée contre les angines bactériennes, la vancomycine utilisée dans les hôpitaux pour enrayer des infections sévères, ou les tétracyclines pour traiter les infections de la peau, la maladie de Lyme ou les ulcères gastriques. Actuellement, environ cinq cents molécules issues de bactéries sont approuvées comme médicaments, dont la grande majorité sont issues du sol. Et pour cause, ceux-ci sont très riches. Dans un gramme de sol, vous avez jusqu'à mille espèces de micro-organismes différents qui synthétisent des molécules pour se défendre les uns des autres.

Le problème, c'est que la grande majorité d'entre eux ont été découverts dans les années 1940 à 1970. Or les pathogènes humains actuels (les micro-organismes pouvant engendrer des maladies) ont évolué et se sont habitués à ces médicaments qui ne font plus effet. Cette antibiorésistance est déjà l'une des principales causes de décès dans le monde (devant le paludisme ou le sida) et pourrait devenir, d'ici 2050, la première cause de mortalité, devant le cancer, selon l'Organisation mondiale de la santé. L'industrie s'est désintéressée de ce secteur peu rentable et nous appelons donc les citoyens français à nous aider à trouver de nouvelles molécules.

Humus, la terre qui guérit

Les humains pratiquent la géophagie, le fait de manger de la terre, depuis toujours. L'humus, la terre qui se trouve dans la couche supérieure du sol, contient en effet des bactéries communes avec celles de notre flore intestinale et pourrait constituer une sorte de « super probiotique » grâce à sa teneur en acides fulviques aux propriétés antibiotiques. En 2020, une étude pointue a montré par ailleurs que les silicates présents dans la terre, une fois purifiés, pouvaient influer sur la coagulation du sang et enrayer des saignements hémorragiques ou aider à développer des pansements de nouvelle génération.

P & S : Comment passe-t-on de la bactérie trouvée dans le sol au médicament que l'on peut administrer à un patient ?

V. L.: En effet, il ne s'agit pas d'isoler des bactéries du sol pour les injecter directement dans l'homme. Nous « volons » simplement des molécules de défense que « sécrètent » les bactéries du sol pour se défendre les unes des autres. Nous nous approprions leurs défenses et les retournons contre d'autres bactéries qui sont nocives pour la santé humaine, un peu comme les molécules de défense sécrétées par les plantes sont utilisées pour certains médicaments. Nous isolons la bactérie pour procéder à un séquençage ADN. Si nous tombons sur une séquence ADN jamais vue, nous irons la « copier-coller » dans une bactérie modèle qui produira la molécule qui nous intéresse. Environ une décennie sera ensuite nécessaire avant que le médicament puisse être mis sur le marché.

P & S : Y a-t-il des végétaux ou des plantes qui permettent, par leur symbiose avec le sol, d'obtenir une terre plus riche de ce genre de bactéries ?

V. L. : Le plus intéressant pour nous, ce sont les échantillons les moins connus. C'est-à-dire par exemple un endroit où pousse une plante rare. Nous avons reçu beaucoup d'échantillons de jardins et je pense que l'on en aura assez. Il y a plus de chances que nous trouvions une nouvelle bactérie dans un endroit spécial, car qui dit endroit spécial dit bactéries spéciales. Nous vous invitons donc à être créatifs en allant chercher des échantillons dans des endroits peu courants comme les sols marins, en haut d'une montagne, d'un volcan ou dans une grotte. Une photo du lieu de prélèvement permettra d'améliorer la connaissance des types de sols intéressants en observant les végétaux qui se trouvent à la surface.

Site du projet Science à la pelle

P & S : La pollution des sols par les pesticides ou métaux lourds impacte-t-elle la qualité de ces bactéries dans la terre ?

V. L. : Cela joue sans doute un rôle de modification de la composition bactérienne du sol, mais nous ne savons pas encore s'il s'agit d'influences positives ou négatives. Puisque les bactéries se développent dans un milieu compétitif, cela pourrait être positif du point de vue de nos recherches. Par exemple, les sols actuels sont pollués par les antibiotiques surutilisés dans les élevages, ce qui peut avoir entraîné le développement de nouvelles bactéries qui pourraient s'avérer intéressantes.

Nous en savons encore très peu à ce sujet, même les experts se contredisent. Quand nous avons récolté les premiers échantillons à Paris, certains étaient sceptiques, pourtant nous avons découvert près de Denfert Rochereau la même bactérie qui a servi à développer la rapamycine (un immunosuppresseur pour éviter les rejets de greffes) initialement trouvée sur l'île de Pâques. Tout est donc possible.

P & S :Si vous découvrez une bactérie utile à la production d'un médicament, que se passera-t-il ensuite ?

V. L. : Nous informerons le citoyen à l'origine du prélèvement et mettrons ces données à jour sur la carte du site pour montrer ce que l'on a découvert et où. Il faudra ensuite environ un an pour obtenir la molécule. Les citoyens qui participent, réfléchiront avec nous au nom que nous lui donnerons. Une molécule découverte à Paris pourrait ainsi devenir la « Paris-imycine ». À terme, comme nous ne sommes pas équipés pour emmener une telle molécule jusqu'au chevet du patient, elle sera sans doute développée au travers d'un partenariat avec des industriels. En cas de succès, le projet constituera un bel exemple d'implication des citoyens pour trouver une solution au fléau de l'antibio­résistance et, espérons-le, contribuera à éviter qu'il ne devienne la première cause de décès dans le monde d'ici 2050.

Parcours de Vincent Libis

 

2013 | Diplôme de pharmacien à l'université de Strasbourg.

2016 | Doctorat en biologie moléculaire à l'université de Paris.

2017 | Prix de la Fondation Bettencourt-Schueller pour un projet visant à découvrir des molécules microbiennes actives.

2017-2021 | Chercheur à l'université Rockefeller, à New York, et découverte de nouvelles molécules microbiennes.

2022 | Retour en France au sein de l'Inserm et obtention d'un financement dans le but de chercher des bactéries potentiellement utiles pour la santé issues du sol.

Juin 2022 | Lancement de la campagne participative « Science à la pelle ».

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Plantes & Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé.
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