La clématite, de liane en liane
Tout le monde peut voir la clématite s'étaler le long des routes ou des voies ferrées et grimper au sommet des arbres. Si certains connaissent les aspects irritants et âcres en bouche de la plante adulte, bien peu savent que ses tendres pousses se mangent comme des asperges. Par François Couplan
Lorsque j'étais gamin, j'étais fasciné par la forêt vierge, comme tous les enfants je suppose. Derrière notre jardin s'étendait le parc d'un château déserté, totalement laissé à l'abandon. La végétation sauvage s'en donnait à cœur joie, les ifs étalaient leurs branches sombres, le lierre couvrait les façades délabrées et de longues clématites pendaient aux branches des plus hauts arbres. C'était pour moi la jungle profonde, le lieu de toutes mes aventures. Les noisetiers me fournissaient des arcs et des flèches et je me balançais sur leurs branches souples. J'ai essayé une fois de jouer à Tarzan en me suspendant à une liane de clématite, mais, mal accrochée, elle céda sous mon poids et je me suis retrouvé à terre.
Quelques années plus tard, avec ma patrouille de scouts, je découvris un autre aspect de la clématite. Nous étions plutôt turbulents et prenions un malin plaisir à faire ce que la bonne société, et nos parents, nous interdisaient. Fumer, par exemple. L'un d'entre nous avait entendu dire que l'on pouvait allumer les tiges de clématite et en tirer des bouffées – l'un de ses noms populaires est d'ailleurs « bois-fumant ». Nous essayâmes donc… et réussîmes à avaler une fumée âcre qui nous brûla la gorge et sans doute les poumons, nous faisant tousser pendant plusieurs minutes. Mais là, nous étions des grands !
Herbier
Commune en France, la clématite vigne-blanche (Clematis vitalba) est une liane grimpant sur les arbres jusqu'à de grandes hauteurs. Elle forme parfois des tapis recouvrant la végétation environnante. Ses tiges ligneuses de plusieurs...
mètres de longueur sont couvertes d'une écorce grise se détachant en lames allongées. Les feuilles sont opposées, pétiolées et composées de 3 à 9 folioles, ovales lancéolées, aiguës, en cœur à la base et plus ou moins dentées. La base des pétioles durcit et soutient la plante. Les fleurs blanc crème sont composées de 4 sépales poilus et de nombreuses étamines. Elles n'ont pas de pétales. Groupées en panicules serrées dont les pédoncules partent de l'aisselle des feuilles, elles s'épanouissent de juin à août. Les fruits sont formés de carpelles dont le style s'allonge en une arête plumeuse, donnant en automne l'aspect de flocons duveteux.
Quand j'eus 15 ou 16 ans, je me mis à apprendre sérieusement les plantes. Et je lus tous les livres sur lesquels je pus mettre la main qui traitaient de leurs vertus. Plusieurs d'entre eux parlaient de la clématite, la surnommant « herbe-aux-gueux », en allusion à la pratique jadis courante, paraît-il, qu'avaient les mendiants de s'en frotter les membres pour provoquer des ulcérations et s'attirer la pitié des passants. Bien qu'il me soit arrivé quelques années plus tard de faire moi-même la manche, je n'ai jamais pensé à mettre cette technique à profit. Il faut tout de même s'avérer un peu tordu, ou être désespéré…
J'ai toujours bien aimé la clématite, car je trouve beau son ample feuillage, mignonnes ses petites fleurs blanches et amusants ses fruits en pompons formés par les nombreux styles plumeux. J'appris aussi à tresser en cordes solides l'écorce qui s'exfolie de ses tiges souples. Et en lisant d'anciens ouvrages sur les plantes de cueillettes traditionnelles en Europe, j'appris que les pousses de clématite se consommaient dans le Piémont à la façon des asperges. Ah, c'est curieux : alors cette plante toxique serait également comestible ? Dans sa prime jeunesse, oui : je l'expérimentai avec succès. Il faut d'abord les faire cuire à l'eau, afin d'éliminer au préalable la protoanémonine irritante. Malheureusement, il ne reste plus ensuite énormément de saveur. Mais une sauce appropriée – ne serait-ce qu'une mayonnaise relevée d'ail et d'échalote – les rend franchement très agréable. La coutume italienne, elle, consiste à en préparer la frittata, la célèbre omelette garnie de tous les ingrédients possibles et traditionnellement cuite au four.
J'use abondamment, en saison, de ces « asperges du pauvre », et je sais en étendre la période de récolte. Sur ma maison de Haute Provence, une grande clématite couvre la façade en pierre. J'en récolte les pousses dès le début du printemps et je coupe à ras de terre la plante qui jette ses jeunes tiges à l'assaut du premier support venu et me fournira plusieurs fois au cours de l'été des bottes de « jets » fort acceptables. C'est pratique et nourrissant. Mais attention, chez les personnes sensibles, leur cueillette peut causer des irritations de la peau.
Recette sauvage : Pousses de clématite à la diable
Ingrédients :
- 300 g de pousses de clématite
- 2 l d'eau
- 1 cuillerée à soupe de gros sel
- 1 œuf dur
- 3 cornichons
- 1 échalote
- 1 cuillerée à café de vinaigre de vin
- 1 cuillerée à soupe d'huile d'olive
- Sel fin.
Préparation :
- Faites cuire les pousses de clématite à l'eau salée, puis égouttez-les.
- Disposez-les dans le plat de service et versez dessus une sauce préparée avec l'œuf écrasé, les cornichons et l'échalote hachés, le vinaigre, l'huile d'olive et le sel.