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Aux antilles, le génie végétal au chevet des sols

Aux antilles, le génie végétal au chevet des sols

Depuis cinquante ans, les sols de la Martinique et de la Guadeloupe sont pollués par le chlordécone, un insecticide toxique utilisé pendant vingt ans avant d'être interdit. Faute de pouvoir les traiter chimiquement, la science se tourne vers la phytoremédiation. Le premier projet de recherche démarre enfin en ce début d'année.

A l'origine de l'affaire, un petit coléoptère noir venu d'Asie. Le charançon prolifère dès les années 1970 aux Antilles et y ravage les bananiers. Las, les cultivateurs répliquent, répandant dans les champs un insecticide organochloré tout juste commercialisé : le chlordécone. S'il est retiré du marché en 1990 dans l'Hexagone, du fait de sa toxicité, il restera autorisé jusqu'en 1993 en Guadeloupe et en Martinique.

Vingt ans et 300 tonnes d'épandage ont suffi pour que le « poison », comme disent les Antillais, contamine chaque pan de leur environnement. L'eau, les légumes – les fruits, comme la banane, sont majoritairement épargnés, l'insecticide ne « montant » pas jusqu'à eux –, les zones de pêche et les corps. L'exposition au chlordécone a notamment été identifiée comme un facteur de risque du cancer de la prostate et les ouvriers agricoles qui en souffrent seront bientôt indemnisés. Une première – et unique – victoire en quinze ans d'une procédure judiciaire qui piétine.

Les chiffres : Dans l'organisme aussi !

  • Le chlordécone se retrouve également dans la quasi-totalité des corps des Antillais (95 % des Guadeloupéens et 92 % des Martiniquais), selon Santé publique France.
  • Les Antilles détiennent un triste record du monde, celui des cancers de la prostate, avec 227 nouveaux cas pour 100 000 hommes chaque année.

D'après les modélisations, six cents ans seront nécessaires pour que tous les sols contaminés se dépolluent naturellement. En cause, la structure chimique de la molécule de chlordécone, peu mobile ou soluble. Aussi, depuis une dizaine d'années seulement, la recherche expérimente des stratégies de dépollution : « Avant, c'était essentiellement du diagnostic », justifie Antoine Richard, ingénieur dans l'unité de recherche AgroSystèmes Tropicaux (Astro) de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Des techniques ont permis de dégrader la molécule de chlordécone, soit chimiquement, par l'utilisation de particules de fer, soit biologiquement, grâce à des micro-organismes. Mais ces solutions sont coûteuses et impossibles à mettre en œuvre sur des étendues aussi vastes. En Guadeloupe, 14 000 hectares environ sont contaminés, soit un cinquième des surfaces agricoles : « Cela imposerait de rendre les terres temporairement inutilisables. La pollution étant très diffuse, on contraindrait énormément de surfaces agricoles, alors même que les besoins alimentaires continueraient d'exister », analyse Antoine Richard.

Une alternative nourrit désormais l'espoir : la phytoremédiation, ou « phyto-management », vise à utiliser les plantes, dont on sait que certaines absorbent la molécule de chlordécone, pour décontaminer les sols. Le projet de recherche, financé par l'Agence nationale de recherche, a été lancé le 1er janvier 2022 pour quatre ans. Il implique trois unités de l'Inrae, Astro en Guadeloupe, Toxalim à Toulouse, Agroécologie à Dijon, ainsi que le laboratoire départemental de la Drôme, spécialiste des analyses environnementales.

Des plantes pour « faire diversion »

Le bassin-versant Pérou, dans l'arc bananier de Basse-Terre en Guadeloupe, serti d'un couvert forestier en amont et de bananeraies ensuite, servira de terrain d'expérimentation car il représente une bonne moyenne des paysages qui se trouvent sur l'île. Une prospection botanique y sera réalisée afin d'identifier les plantes dignes d'intérêt déjà présentes dans la flore locale. Elles seront alors directement testées in situ, sur la parcelle d'un agriculteur. Les espèces sélectionnées serviront comme « plantes de service » en inter-rang dans les champs. « Certaines espèces cultivées, les racines par exemple, captent le chlordécone. On pourrait les utiliser pour faire diversion », explique Antoine Richard. Tout l'enjeu sera de déterminer quand, par la suite, récolter les « plantes de service ».

Quelque 8 000 kilomètres plus loin, François Laurent, chercheur au sein de l'unité Toxalim de l'Inrae, mènera des expériences contrôlées depuis son laboratoire de Toulouse. « Il me faudra déterminer les caractéristiques spécifiques à trouver dans la nature, afin d'accélérer la recherche de plantes sur le terrain », détaille le chercheur. Le profil de l'espèce idéale est une plante gourmande en eau, qui transpire beaucoup et produit peu de biomasse. Un « procédé classique de phytoextraction », explique François Laurent : « Elle drainerait le sol contaminé et serait, in fine, concentrée en chlordécone. » Et ensuite ? Le plus simple, mais pas le plus écologique, consisterait à brûler les végétaux. « D'ici là, les chimistes et biologistes auront trouvé une manière efficace de traiter la plante contaminée, réduite en compost », espère François Laurent. Pour l'heure, les équipes n'ont que quelques idées, très vagues, de plantes candidates. Le madère (Colocasia esculenta), par exemple, semble « bien absorber » même s'il tend à transférer le chlordécone dans ses feuilles. La quête du Graal aura surtout lieu sur le terrain.

Les légumes racines, candidats potentiels

Plusieurs plantes sont pressenties pour absorber le chlordécone du sol.

  • Le madère, Colocasia esculenta : ce tubercule très consommé dans les Antilles-Guyane rappelle le céleri-rave par sa forme et sa taille. Brun à l'extérieur, il a une chair blanche ou grise. Le madère aime les sols humides et ombragés, est souvent cultivé en bordure de forêts marécageuses. Sa propagation se fait naturellement, à partir des pédoncules latéraux.
  • L'igname, Dioscorea : ce tubercule est généralement enterré mais quelques espèces produisent un tubercule aérien. Sa peau est marron foncé et sa chair dense et blanche. Très apprécié aux Antilles-Guyane pour sa saveur douce semblable à celle de la pomme de terre, il s'acclimate facilement.

Métaux lourds et explosifs

La phytoremédiation a déjà fait ses preuves sur des sols pollués aux métaux lourds et aux explosifs. « Les Américains ont fait des essais avec des conifères pour le TNT », illustre François Laurent, quand les peupliers ont été utilisés pour décontaminer des nappes phréatiques peu profondes. Mais les contraintes d'une telle méthode sont conséquentes : aucune espèce exotique – potentiellement invasive – ne pourra être introduite, à moins qu'il s'agisse d'une espèce cultivée contrôlable, comme le blé. Les plantes choisies devront également se plaire dans des conditions et sur des sols très variés, et le processus, surtout, s'annonce long. « Des années », d'après les chercheurs, qui préfèrent d'ailleurs parler d'une « accélération de la dépollution ».

Fort heureusement, les cultivateurs antillais n'ont pas attendu pour « apprendre à vivre » avec la pollution. Le programme Jardins familiaux de Guadeloupe prodigue depuis 2016 des conseils de culture aux particuliers, afin de limiter les risques de contamination. Quant aux professionnels, ils se sont engagés dans des pratiques plus vertueuses. Qui consistent surtout, pour la filière de la banane, à diminuer l'utilisation des intrants chimiques, deux fois moins en dix ans.

Le programme Jafa, pour jardiner et consommer local en se protégeant du chlordécone

Depuis un bureau trop sombre – « C'est insensé, pour un agriculteur, de travailler ici ! » –, Frédéric Bourseau reçoit un coup de téléphone. « Je m'inquiète du taux de chlordécone dans mon potager, j'aimerais faire tester mon terrain », requiert une femme. Depuis 2016, le programme Jardins familiaux (Jafa) de Guadeloupe, chapeauté par l'Instance régionale d'éducation et de promotion de la santé (Ireps) et financé par l'Agence régionale de santé (ARS), permet aux citoyens qui cultivent leur terrain de faire diagnostiquer gratuitement leurs sols. Les conditions : avoir un jardin d'une surface inférieure à 5 000 m2, être un particulier – les professionnels étant dans l'obligation de faire tester leurs sols – et n'avoir pas déjà bénéficié d'une analyse.

Selon les résultats, Jafa prodigue des conseils de culture, en face-à-face et de vive voix. L'objectif ? « Réduire l'exposition au chlordécone des populations ayant des habitudes d'approvisionnement et d'autoconsommation de denrées animales et végétales issues de jardins familiaux. » Ainsi, sur un sol moyennement à très contaminé, les poules à même le sol, les cives, la laitue, la canne à sucre, les légumes racines et les cucurbitacées sont à proscrire. Or il s'agit d'espèces très populaires dans les Antilles, c'est là toute la difficulté du programme : continuer de valoriser le jardin créole et respecter les habitudes culturelles tout en minimisant les risques. « On les pousse à faire de la culture en bac, en lasagne (principe de permaculture, ndlr), à élever leurs poules hors sol, mais ça leur paraît parfois aller contre-nature », explique Guillaume Pompougnac, directeur du programme. à terme, il souhaiterait rapprocher la population et le monde de la recherche, en expérimentant des « techniques culturales très pratico-pratiques » directement chez les particuliers.

Les experts de Jafa incitent également les populations à diversifier leurs cultures, à miser sur d'autres féculents, aériens ceux-là, comme la châtaigne, la banane plantain, l'igname ailée… Et sur les arbres fruitiers également, qui apparaissent exempts de toute contamination. Face aux plus réticents, le programme s'adapte, leur conseillant de ne consommer que deux légumes racines par semaine, à éplucher grassement. « Et à ne surtout pas donner aux enfants », ajoute Frédéric Bourseau. Le but n'est pas d'effrayer, bien au contraire : « Notre slogan, c'est de dire que le jardin créole n'est pas mort, malgré le chlordécone, qu'on peut diversifier les cultures pour minimiser les risques. » Si bien que, parmi les quelque 4 000 foyers ayant recouru au programme, Frédéric Bourseau note un taux de satisfaction de 90 %. « Les gens repartent optimistes, finalement », se réjouit-il.

Marion Lecas à Basse-Terre

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