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L'iboga, au cœur d'un trafic juteux

Iboga

Plusieurs tonnes d'iboga disparaissent chaque année du Gabon. Le pillage organisé de cette plante aux effets psychotropes, et dotée de propriétés médicinales, répond à une forte demande internationale, aussi bien américaine qu'européenne. Pour préserver ce trésor botanique, le Gabon a suspendu, en février dernier, son exportation. Un signal fort, mais qui attise aussi les convoitises.

Depuis des millénaires, les Pygmées vénèrent et consomment ­Tabernanthe iboga, un arbuste endémique de la famille des apocynacées. Leur connaissance pharmacologique et spirituelle de l'iboga a pénétré la culture gabonaise de génération en génération. Aujourd'hui encore, ce « bois sacré », ou plus précisément cette racine, est au cœur des cérémonies initiatiques comme dans le bwiti, un rite animiste. Si elle est surtout prisée dans les traditions initiatiques – elle recèle un alcaloïde puissant, l'ibogaïne, aux effets psychoactifs – il n'est pas rare de croiser des Gabonais, un bout de racine en bouche, pour aiguiser leurs sens et couper la fatigue et la faim. Incontournable de la pharmacopée locale, elle sert aussi à faible dose pour soigner des problèmes de santé courante.

Mais il n'y a pas qu'au Gabon que l'iboga est recherchée. Au XIXe siècle, Tabernanthe iboga commence à intéresser l'Occident et notamment la France. C'est surtout à partir des années 1960 que l'iboga aux effets psychotropes ­fascine le milieu psychédélique américain accroc aux trips. Un jeune toxicomane, Howard Lotsof, découvre par hasard ses vertus de sevrage aux opiacés. Dès lors, nombre de scientifiques vont étudier l'ibogaïne et l'impact étonnant de cette molécule sur le cerveau : des propriétés anti-addictives démontrées et très récemment son action potentielle sur les maladies neurodégénératives. Des recherches jamais « validées » selon les standards scientifiques internationaux, refroidis sans doute par l'usage mystico-spirituel de Tabernanthe iboga et par la pression d'une industrie pharmaceutique peu encline à partager le marché du sevrage aux opiacés. Et pourtant sa popularité et sa demande ne cessent de croître dans le monde entier. « Ces besoins alimentent un trafic illégal exponentiel, s'alarme le Français Yann Guignon, fondateur de l'ONG Blessings of the Forest, située à ­Libreville, et cela menace la plante sauvage ».

La France, pionnière de la recherche sur l'iboga

C'est en 1864, que le chirurgien de marine Griffon du Bellay rapporta un échantillon d'iboga du Gabon, alors colonie française. Le botaniste Henri Ballon l'étudie à son tour en 1889 décrivant ses propriétés stimulantes et aphrodisiaques. En 1901, les chercheurs Dybowsky et Landrin isolent de l'écorce de la racine son principal alcaloïde qu'ils nomment ibogaïne. C'est le début d'une exploration pharmacologique assez poussée. En 1939, un médicament à base de racine d'iboga est même commercialisé : le Lambarène. Contenant 0,2 g d'extrait de racine par comprimé, c'est un stimulant neuromusculaire, antifatigue, utilisé comme dopant par les sportifs. Le Lambarène est retiré du marché en 1966, à cause d'arrêts respiratoires liés à sa consommation à fortes doses. L'iboga est sur la liste des produits dopants depuis 1989 et interdit en France depuis 2007. Mais jusqu'à cette date, Tabernanthe iboga se trouvait en pharmacie sous forme de teinture mère…

Contrebande sur le web

Yann Guignon, consultant en développement durable, alerte depuis 2006 les autorités gabonaises. Il surveille de près le trafic sur internet et sur les réseaux cachés du dark web : « Les contrebandiers sont en majorité camerounais. Ils viennent piller la forêt gabonaise et arrachent par tonnes la racine d'iboga, qui contient le précieux alcaloïde ibogaïne. Ils la vendent à des fournisseurs occidentaux qui pullulent par centaines sur internet. Elle est ensuite achetée dans le monde entier, pour beaucoup au Mexique où la consommation d'iboga est légale contrairement aux États-Unis. Il suffit de passer la frontière pour ouvrir une “ clinique ” ou un centre de retraite mystico-spirituel. » Ces structures poussent comme des champignons au Mexique et de plus en plus au Portugal, en Nouvelle-Zélande, en Irak, en Slovénie où la législation est favorable. L'iboga circule aussi là où elle est interdite, en France, par exemple, dans le cadre de thérapies underground, constate Yann ­Guignon. Selon ses comptes, il existe plus de 200 centres légaux ou non dans le monde entier, très gros consommateurs d'ibogaïne dans le cadre de sevrage aux opiacés, stress post-traumatiques, dépression et thérapies néochamaniques.

Pour freiner ce trafic qui risque de faire disparaître le « bois sacré » du domaine public gabonais, et après un travail de lobbying, ­Blessings of the Forest a obtenu en février ­dernier un arrêté de suspension provisoire de l'exportation de Tabernanthe iboga du Gabon. « L'idée c'est que les autorités gabonaises accélèrent la mise en place d'un cadre juridique autour de l'iboga pour poursuivre en justice les contrebandiers », résume Yann Guignon. Car pour le moment aucun texte n'encadre la conservation, l'exploitation et la commercialisation de l'iboga. La publication de cet arrêté a-t-elle freiné le ­trafic ? « Non, au contraire ! La suspension de l'exportation crée de la spéculation et une montée des prix au niveau international et de nouveaux contrebandiers se mettent sur le marché. Il faut élaborer une réglementation au plus vite », constate Hervé Omva, coordonnateur d'IDRC Africa, ONG gabonaise axée sur le développement local. Il faudra du temps pour endiguer le pillage, Yann Guignon le sait mais l'essentiel aujourd'hui est d'adresser un message fort aux acheteurs : « Les centres qui se fournissent en iboga se veulent éthiques, écologiques. Savoir que l'exportation est illégale les rend plus vigilants. Ils savent qu'on les surveille. »

Itinéraire du trafic de l'iboga

Point de départ Forêt équatoriale gabonaise.

Quel volume ? Douze tonnes de racine d'iboga sortent du Gabon chaque année selon Blessings of the Forest.

Quelle filière ? Elle est composée à 95 % de contrebandiers ­camerounais qui arrachent l'iboga au Gabon, puis passent la frontière.

Qui revend ? Des ­centaines de fournisseurs sur le web. Le plus gros se trouve en Hollande.

Qui achète ? En majorité, des cliniques situées au Mexique, qui proposent des soins orientés sevrage des opiacés, ­dépression et ­thérapeutique spirituelle. Mais, les acheteurs se trouvent dans le monde entier : France, Portugal, Nouvelle-Zélande, Brésil, Irak, Slovénie…

À quel prix ?L'écorce de racine d'iboga se négocie sur internet à près de 3 euros le gramme de poudre en vrac ou en gélules. Plus l'écorce est mature avec un taux d'ibogaïne plus élevé et plus le prix grimpe… ­jusqu'à 20 euros le gramme. En ­comparaison, 1 kilo d'ivoire se vend 1 000 euros sur le marché de la contrebande avec un risque encouru de dix années de prison.

 

En l'absence de cadre juridique, l'ONG IDRC Africa a démarré des plantations d'ibogas au Gabon pour en rationaliser l'exploitation : « Avec le soutien de l'État, nous voulons vulgariser la culture de Tabernanthe iboga. Nous avons ­développé une banque semencière que nous mettons à la disposition des planteurs pour les encourager », précise Hervé Omva. La plus grande plantation d'Hervé compte 19 000 pieds qui ont trois ans d'âge. Dans deux ans, ils seront assez matures pour prélever l'écorce de la racine avec un « bon taux d'ibogaïne » selon lui. Son objectif : produire 8 tonnes d'ibogas par an. Est-ce la bonne solution pour préserver la plante ? Oui à condition de ne pas privatiser entièrement les cultures et de dresser un « inventaire ­scientifique » nuance l'ONG Blessings of the Forest. Car aucune étude valable n'a encore été faite sur les variétés de Tabernanthe iboga, leurs composants et leurs taux d'alcaloïdes respectifs : « Mélanger les variétés dans une même culture, c'est prendre le risque de les hybrider, s'inquiète Yann ­Guignon. Et même au niveau économique, planter efficacement c'est savoir quelle variété a le meilleur taux d'ibogaïne pour rentabiliser la surface des cultures et ne pas déforester plus. » Conserver le patrimoine génétique de l'iboga pour continuer aussi à en explorer le potentiel thérapeutique.

 

Le rite initiatique du bois sacré gabonnais

Pas d'initiation au rite bwiti au Gabon sans iboga, la « plante qui guérit » en langue vernaculaire. C'est la plante maîtresse de cette cérémonie animiste qui se pratique depuis des millénaires. Les maîtres initiateurs ont un droit coutumier de prélever de l'iboga dans la forêt en quantité limitée. La plante est consommée sous forme de poudre d'écorce tirée de la racine, riche en alcaloïdes. Ses effets psychotropes et ses vertus thérapeutiques permettent aux guérisseurs d'initier les profanes, en se connectant aux ancêtres, au monde invisible. La vocation du rite bwiti est la connaissance de soi et des règles régissant l'univers.

Des effets prometteurs sur le diabète

Le professeur gabonais Henri-Paul Bourobou-Bourobou, directeur général de l'Institut de pharmacopée et médecine traditionnelle, s'est spécialisé dans l'étude du diabète. Depuis trois ans, il observe l'effet de Tabernanthe iboga sur cette maladie : « J'ai fait des essais sur des rats diabétiques. Nous en sommes seulement au début, mais c'est très prometteur. J'ai aussi administré des gélules à base d'iboga à des patients atteints de cette pathologie et j'ai observé que l'iboga pourrait jouer un rôle déterminant dans la prise en charge des personnes diabétiques. C'est une piste qui peut intéresser le monde entier mais nous avons besoin de davantage de moyens pour avancer. » Des avancées qu'il compte bien communiquer au premier forum international sur l'iboga qu'IDRC-Africa prépare pour le mois de juillet 2020 à Libreville. Une opportunité en or de mettre autour d'une même table les défenseurs de l'écologie, les planteurs, les autorités gabonaises, mais aussi les chercheurs et les consommateurs. L'espoir de trouver le moyen de préserver durablement Tabernanthe iboga sans priver le monde de ses bienfaits.

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Plantes & Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé.
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