Aider les arbres à résister au réchauffement climatique
Après trois années consécutives de canicule, nos arbres sont en grande souffrance : au moins 220 000 hectares de forêts publiques sont déjà affectés par le changement climatique. Or, faute de mesures importantes, le réchauffement de la planète s'accélère. Chercheurs et experts expérimentent en urgence des solutions pour tenter de sauver l'essentiel de nos forêts.
En Auvergne, dans son laboratoire de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae), Hervé Cochard enquête sur les réponses des arbres au changement climatique : « Dans notre imaginaire, nous avons l'image d'arbres centenaires qui en ont vu d'autres. Mais c'est faux ! Jamais, en plusieurs milliers d'années, ils n'ont eu si chaud et aussi soif. Les arbres atteignent en ce moment leurs limites physiologiques. » De fait, le dépérissement des forêts est manifeste partout en France avec un taux de mortalité inédit selon l'Office national des forêts. Brigitte Musch, généticienne à l'ONF, constate d'année en année un feuillage plus dégarni et davantage de branches mortes visibles sur les cimes : « Le cocktail chaleur et sécheresse assoiffent les arbres, les affaiblissent tout en favorisant la reproduction massive d'insectes ravageurs ». Ainsi à Montmorency, au nord de Paris, la maladie de l'encre du châtaignier a infecté plus de 10 000 hectares de ces arbres qui devront être abattus. Même déroulé dans le Nord-Est, où l'insecte scolyte assaille les plantations d'épicéas : « Ce phénomène s'accélère dans le Morvan. Ces attaques touchent toute l'Europe avec cette année environ 200 millions de mètres cubes de bois “ scolytés ”, c'est énorme ! », s'alarme Sylvain Mathieu, président du parc naturel régional du Morvan. Selon lui, les épicéas auront disparu du parc d'ici dix ans, une catastrophe pour la production de bois, mais aussi pour la biodiversité, déjà mise à mal par la stratégie de la coupe rase encore largement utilisée par les exploitants forestiers. Plus au sud, le chêne pédonculé, lui aussi, est en plein déclin près d'Hourtin. Cette espèce présente jusqu'en Scandinavie souffre beaucoup de la chaleur et des sécheresses estivales analyse Sylvain Delzon, chercheur en physiologie des plantes à l'Inrae de Bordeaux : « Le chêne pédonculé atteint ici la limite sud de son aire de répartition. Il est menacé d'extinction localement, car il n'arrive plus à se régénérer. De plus, il est colonisé par une autre espèce, le chêne vert qui prend sa place. »
Au secours de la filière bois et des forêts du massif du Morvan
La forêt couvre 48 % du massif du Morvan, dont un tiers de monocultures d'épicéas et de douglas plantés en France dans les années 1950. Ces résineux nourrissent une grosse industrie de production transformation du bois. Les professionnels de la filière sont donc très inquiets devant les milliers de mètres cubes d'épicéas dévastés depuis trois ans par les scolytes, qui pullulent avec le réchauffement. Ici, la problématique est double : « Il faut pérenniser une filière bois vitale pour l'économie tout en préservant un écosystème fragilisé par une exploitation intensive et des coupes à blanc », résume Sylvain Mathieu, président du parc naturel régional du Morvan. Or, c'est maintenant qu'il faut reboiser en tenant compte aussi d'un climat à venir bien plus chaud. Appelés au secours des forêts, l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) et l'Office national des forêts (ONF) lancent cet automne le projet Esperense consistant à tester une trentaine d'espèces françaises et exotiques entre les Deux‑Sèvres et Toulouse pour étudier leur acclimatation et choisir celles qui seront plantées le plus vite possible dans le Morvan.
Migrer, s'adapter ou disparaître
L'exemple du chêne vert illustre l'une des trois réponses possibles des arbres face au changement climatique : migrer plus au nord, adapter leur physiologie sur place ou disparaître localement. En France, le chêne vert, lui, est un champion de la migration naturelle, décrypte Sylvain Delzon : « Assez résistant à la chaleur et à la sécheresse, il profite du réchauffement pour coloniser de nouveaux territoires au détriment d'autres espèces. Grâce au geai, qui transporte ses glands, le chêne vert est capable de remonter de 50 mètres par an vers le nord. » Le problème c'est que la remontée du climat va dix fois plus vite que lui… S'ils ne peuvent se déplacer assez vite, les arbres peuvent‑ils alors s'adapter sur place ? Oui en partie répond Sylvain Delzon, car ils sont capables de caler la date de formation de leurs feuilles (débourrement) sur la température ambiante pour optimiser leur saison de croissance : « Il y a, par exemple, dans les Pyrénées, un mois d'écart entre le débourrement des chênes situés à 1 600 mètres et ceux du Piémont en plaine. Si on les transplante 100 mètres plus haut, ils synchronisent immédiatement leur date de débourrement sur ce changement de température. » Si les chênes et certains conifères semblent s'accommoder de la chaleur, le problème majeur reste l'adaptation à la sécheresse. Or, exceptés le pin maritime, les chênes vert et liège, la plupart des arbres souffrent fréquemment de cavitation selon Hervé Cochard : « Lorsqu'un arbre assoiffé veut puiser de l'eau dans le sol et qu'il n'y en a plus, des bulles d'air vont obturer ses vaisseaux et la circulation de la sève. C'est l'embolie gazeuse des arbres. »
Face à ces constats, les experts sont amenés à avoir une démarche volontariste. Ils réfléchissent à des solutions assez radicales car, selon eux, on ne peut pas se contenter aujourd'hui de laisser la nature faire. Ce qui est conforme d'ailleurs à la tradition de gestion des forêts publiques françaises qui ont toujours été entretenues et modelées par l'homme. C'est dans cette optique que les chercheurs accélèrent leurs expérimentations afin de sauvegarder ce qui peut encore l'être. Tout dépendra de la résilience des arbres face aux élévations de température. Pour prédire l'avenir climatique des forêts, Hervé Cochard établit des modèles informatiques : « Si nous gardons notre trajectoire actuelle avec autant d'émissions de CO2, on atteindra + 6 °C à la fin du siècle. En 2100, on trouvera le climat de Montpellier dans l'Allier. Même les chênes ne pourront plus s'adapter. Mais si on respecte l'objectif de la COP21 avec deux degrés seulement de plus, alors les arbres auront assez de ressources pour survivre. » Pour stimuler ces ressources, Brigitte Musch préconise d'aider la régénération naturelle des arbres « en choisissant au moment de la reproduction les individus avec le plus de diversité génétique pour rendre l'espèce plus résiliente. On peut aussi éclaircir les parcelles, espacer les arbres pour leur donner davantage de lumière et d'eau, ils pourront ainsi fleurir et fructifier plus rapidement. »
Des îlots d'avenir
Autre solution : pratiquer la migration assistée des arbres. En plus de sauvegarder des espèces menacées localement, ce brassage d'arbres venus de différents biotopes favoriserait leur hybridation et donc leur résistance. La généticienne développe aussi des « îlots d'avenir », des parcelles où sont testées de nouvelles essences. Comme dans la forêt de Haye (Meurthe-et-Moselle) où des plants de chêne pubescent, de sapin de Turquie et de Calocèdre ont été introduits en 2017 pour remplacer le hêtre et le chêne pédonculé, trop sensibles à la chaleur. Le projet Esperense qui débute mise aussi sur des associations d'espèces exotiques et autochtones pour choisir quels arbres résisteront dans le Morvan à la fin du siècle. Planter en prévision de 2070, certes, mais encore faut‑il que ces espèces résistantes à la chaleur ne gèlent pas de froid en 2020… Brigitte Musch confie : « Il n'y a pas de solution magique. Il faut ensemble tester des projets en même temps car nous n'avons plus le temps. » Les arbres sont en danger, mais nous pouvons encore agir. À condition aussi que chacun réduise ses émissions de carbone et que les politiques environnementales soient beaucoup plus ambitieuses. Alors les forêts auront une vraie chance de survie.
La migration assistée des arbres vers le nord
Avec les sécheresses répétées, les chênes sessiles et les hêtres sont voués à disparaître dans les zones françaises les plus sèches. L'Office national des forêts (ONF) a donc lancé, en 2011, son projet Giono pour préparer l'exode climatique de ces arbres vers le nord. Des graines ont été sélectionnées dans le Var, les Deux‑Sèvres et les Alpes-de-Hautes‑Provence pour sauvegarder des ressources adaptées à des conditions sèches. Les plants obtenus ont été introduits en 2013 en forêt à Verdun et en Bretagne, des terres plus clémentes en termes de climat : « Ces plants qui apportent de la diversité génétique montrent un bon taux de reprise de 75 à 95 % sauf pour les derniers hêtres plantés en 2018 qui n'ont pas survécu », analyse Brigitte Musch généticienne à l'ONF. L'objectif est de faire perdurer ces espèces à l'horizon 2070.