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Sur la trace des plantes « doliprane » et « efferalgan »

Sur la trace des plantes « doliprane » et « efferalgan »

Derrière le nom de ces médicaments très connus aux effets antalgiques, se cachent des plantes appartenant au genre des Plectranthus. Mais quels sont leurs bienfaits ? Arrivées assez récemment en Guadeloupe, en Martinique et à La Réunion, elles se sont vite fait une réputation… Pourtant, ces plantes font l'objet de nombreuses confusions et leur emploi n'est pas encore bien cerné.

Les étals du marché de Pointe-à-Pitre, en Guadeloupe, sont joyeusement colorés et les vendeuses de « féyaj », ainsi dit‑on feuillages en créole, très sollicitées. Aux unes, puis aux autres, une question revient fréquemment : vous avez la plante doliprane ? Trois marchandes répondent en acquiesçant, farfouillent derrière leurs tréteaux et en sortent de petits pots : si le témoin de la scène est un peu observateur, il constatera que chacune a présenté une plante différente. « J’en cherche aussi, intervient Hélène, une Guadeloupéenne qui a assisté à la scène en souriant. J’aimerais en mettre dans mon jardin, mais je ne parviens pas à démêler le vrai du faux », ajoute la jeune femme.

Il suffit ainsi d’un tour au marché pour comprendre que les plantes surnommées « doliprane » et « efferalgan » sont, dans les Antilles, au cœur d’un imbroglio. « Leur identification est en effet très compliquée, confirme Rémi Asensio, dirigeant de L’Herboristerie créole, une exploitation qui cultive et commercialise des plantes médicinales et aromatiques martiniquaises. Elle génère de vastes débats, à la fois entre la Martinique et la Guadeloupe, et au sein même de ces deux territoires. » Sur Internet, pas un site n’affiche un nom scientifique identique, quand certains livres d’ethnopharmaciens reconnus se trompent dans les photographies. Un consensus, toutefois, semble aujourd’hui avoir été trouvé : on appellerait « efferalgan » le Plectranthus grandis, une labiée aux grandes feuilles dentées, et « doliprane » le Plectranthus neochilus, aux feuilles plus petites.

Des noms vernaculaires « fourre-tout »

Un consensus toutefois relatif, puisqu’à La Réunion, où Plectranthus grandis n’existe pas, on appelle « plante efferalgan » Plectranthus neochilus, mais aussi Plectranthus amboinicus, révèle la docteure en pharmacie Jessica Nakab, auteur d’une thèse sur ce sujet. Plectranthus amboinicus, appelé « gros thym », « gros baume » ou « ti baume », est plus connu, car la plante est inscrite à la pharmacopée française pour son « usage en médecine traditionnelle européenne et d’outre-mer », par voie interne.

Première source de tant de confusion, l’existence de « noms vernaculaires fourre-tout », explique Jessica Nakab. En plus de différer d’une commune à une autre, l’appellation d’une plante, aux Antilles, est généralement conditionnée par l’expérience que la plante en question a générée. « On peut se référer à son odeur, à son aspect ou, ce qui est le plus fréquent, au mal que la plante a soigné », précise Marie Gustave, présidente de l’Association pour les plantes médicinales et aromatiques de Guadeloupe (Aplamedarom). Ainsi, par raccourci, « on s’est mis à appeler doliprane et efferalgan toutes les plantes soulageant les céphalées », ajoute l’herboriste Rémi Asensio. Car c’est bien là le principal bienfait attribué aux Plectranthus grandis et neochilus : leur effet sur les maux de tête, grâce à des propriétés antalgiques avérées. « Attention, toutefois, à ne pas se laisser piéger par leur appellation vernaculaire. Ces plantes ne contiennent pas la molécule chimique de synthèse contenue dans les médicaments homonymes », prévient Marie Gustave, sans pour autant renier la richesse de ces plantes : l’aspirine, après tout, est d’origine végétale, provenant du saule blanc, Salix alba, et de la reine-des-prés, Filipendula ulmaria.

Une pharmacienne mène l’enquête

À La Réunion, les plantes doliprane ou efferalgan ont été mises en lumière dans le sillage de l’épidémie de Covid-19. Intriguée, Jessica Nakab vient d’y consacrer une enquête ethnobotanique dans le cadre de sa thèse de pharmacie. Retour sur des usages qui, bien qu’intéressants, restent très empiriques.

Pour son enquête, Jessica Nakab a interrogé les spécialistes en plantes médicinales, appelés « tisaneurs » à La Réunion. Pour eux, deux plantes, Plectranthus amboinicus (ou Coleus amboinicus) et Plectranthus neochilus correspondent à ce que l’on appelle sur les marchés « doliprane » ou « efferalgan ». Ces deux espèces sont très présentes dans les zones tropicales du globe et chaque pays leur attribue des propriétés différentes. P. neochilus est utilisé en cas d’insuffisance hépatique et de dyspepsie au Brésil ; les feuilles de P. amboinicus servent à traiter les infections urinaires en Amazonie et en Inde. Elles auraient été introduites à La Réunion durant l’épidémie de chikungunya (2005-2007) et se sont ensuite propagées.

Selon le tisaneur Franswa Tibère, les plantes doliprane luttent contre la migraine et favorisent le sommeil.

Exhalant une forte odeur de thym ou romarin, et présentant une grande similarité génétique et chimique avec ces aromatiques, elles leur sont souvent assimilées. Plectranthus amboinicus est d’ailleurs appelé « gros thym ». L’enquête de Jessica Nakab a permis de lister leurs usages en médecine populaire. L’infusion sert à laver les plaies, soulage les douleurs, maux de tête et troubles digestifs. En cas d’état grippal, on la boira avec du miel. De plus, elles sont utilisées en cataplasmes avec du camphre ou du gingembre pour lutter contre les douleurs rhumatismales. Toutefois, Jean-René Techer, un tisaneur réunionnais, estime qu’il ne faut pas abuser des « plantes doliprane » du genre Plectranthus du fait de leur richesse en terpènes, qui causent des effets secondaires neurologiques. Il conseille de limiter la prise à trois feuilles en infusion pendant trois jours maximum, à boire le soir au coucher. Franswa Tibère, un autre tisaneur, a constaté que prises en infusion, elles favorisent le sommeil et luttent contre la migraine. Il reste cependant prudent, ayant pu constater l’intensité de leurs effets.

La population qui les emploie en automédication souligne son intérêt contre les maux de tête, la fièvre, les états grippaux et pour soulager les douleurs. L’un en mange directement une feuille fraîche pour apaiser ses douleurs dentaires, tandis qu’une autre la prépare en cataplasme en cas de tendinite. L’efficacité contre les douleurs menstruelles et la fièvre est aussi citée. La plupart l’utilisent en infusion de feuilles fraîches. Enfin, voici une utilisation originale : sous forme de couronne fraîche sur la tête, elle apaiserait les maux de tête.

Certaines pépinières, comme ici à Pointe-Noire, proposent des plants de plantes doliprane, que les gens font ensuite pousser dans leur jardin.

La pharmacopée est le résultat de multiples voyages

La diplômée de phytothérapie met également en garde contre de possibles effets secondaires, dans le cas d’une « mauvaise consommation ou d’une surconsommation » de ces plantes, du fait de leur teneur en terpènes. D’ailleurs, elle privilégie le cataplasme aux autres usages ou, en cas de doute, conseille de se rabattre sur des plantes plus traditionnelles, à l’instar du gingembre, du curcuma ou encore de « l’herbe mal-tête », Kalanchoe pinnata, qui abonde dans les Caraïbes et y serait bien mieux connue.

De fait, les plantes nommées doliprane et efferalgan ne sont apparues aux Antilles qu’au début des années 2000. Elles proviendraient d’Amérique de l’Ouest : la manière dont elles ont été introduites reste, à ce jour, inconnue. « Ainsi est faite la richesse de notre pharmacopée, sourit Rémi Asensio. Elle est le résultat de multiples voyages. On trouve chez nous des plantes africaines, européennes, asiatiques et cela grâce aux allées et venues de multiples populations qui apportaient, cachées dans leurs bagages, de petites graines », poursuit l’herboriste.

Les Plectranthus grandis et neochilus, contrairement à Plectranthus amboinicus, présent et populaire depuis des siècles aux Antilles, ne sont pas encore considérés comme des plantes traditionnelles. Ni la Martinique ni la Guadeloupe ne les ont d’ailleurs présentées pour les intégrer à la pharmacopée française en 2013. « Elles pourraient pourtant faire partie des plantes prometteuses, regrette Rémi Asensio. Mais sans cette intégration, les contraintes réglementaires sont telles qu’on ne peut les commercialiser et, de facto, les diffuser davantage. »

Prisées à La Réunion, les plantes doliprane et efferalgan restent ainsi assez peu utilisées dans les Antilles françaises. « On a pu noter un petit engouement lorsqu’elles ont été introduites, atteste Philippe Ten, qui vend des plantes traditionnelles chaque semaine sur les marchés de Basse-Terre. Mais la mode est à d’autres plantes aujourd’hui », nuance-t-il.

Effets de mode

Il faut dire qu’à chaque épidémie, qu’il s’agisse de la dengue, du coronavirus ou de la grippe, les réseaux sociaux exhument une « plante miracle ». Au plus fort du Covid-19, les Guadeloupéens et Martiniquais se sont ainsi rués sur l’herbe à pic, Neurolaena lobata, après que le pharmacien Henry Joseph, dirigeant du laboratoire Phytobôkaz, très reconnu localement, a assuré qu’elle agissait sur l’immunité innée face aux virus émergents à ARN.

Désormais, c’est l’atoumo, Alpinia zerumbet, qui semble plébiscité. « Il s’agit de notre plante phare, la plus vendue. C’est le « rimed razié » (« remède maison », ndlr), emblématique de la Martinique », confirme quant à lui Rémi Asensio. Déjà très appréciée avant le Covid-19, l’atoumo a connu un nouvel élan de popularité lorsque certains ont suggéré qu’elle pouvait contenir des dérivés de chloroquine. L’occasion pour Marie Gustave de rappeler : « Comme avec le Doliprane et l’Efferalgan, la chloroquine est une substance chimique de synthèse que les plantes ne peuvent contenir ».

Mais la présidente de l’Association pour les plantes médicinales et aromatiques de Guadeloupe ne peut toutefois que se réjouir du regain d’intérêt pour la flore locale, « à condition qu’on l’utilise à sa juste valeur, et en restant mesuré dans ses attentes », sourit-elle.

La pharmacopée s’ouvre à l’outre-mer

En 2013, après douze années de bataille juridique, la pharmacopée française a intégré 46 plantes ultramarines. Quinze en provenance de Guadeloupe, quinze de La Réunion et seize de la Martinique. Chaque territoire avait soumis une liste de plantes candidates, qui ont été validées ou invalidées par L’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Les heureuses élues peuvent ainsi être vendues en vrac, dans l’Hexagone et en Europe, grâce à une autorisation de mise sur le marché. Les fameuses plantes dites « efferalgan » et « doliprane » n’étant pas reconnues, elles ne sont diffusées que localement et de manière « informelle », en général sur les marchés.

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Plantes & Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé.
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