On en parle
Les plantes médicinales paysannes bientôt en pharmacie ?
Contrairement à ce que l'on a longtemps cru, aucune raison réglementaire n'empêche les officines de vendre des plantes médicinales et aromatiques achetées localement auprès des paysans-herboristes. C'est ce qu'a permis de montrer le rapport Circoupam, qui incite donc à valoriser le circuit court. Mais il y a encore des obstacles à lever.
Tout est parti de l'intuition de la jeune pharmacienne Célia Despax : « Et si les officines achetaient des plantes médicinales et aromatiques en circuit court au lieu de les importer à 80 % de l'étranger ? ». Cette experte dans les domaines de la réglementation et du contrôle qualité en fait même le sujet de son mémoire de diplôme universitaire de phytoaromathérapie. Une question pertinente que personne n'avait pensé à poser, tant l'idée était ancrée que ce n'était pas possible : « On pensait vraiment que c'était illégal, soupire France Charvin, paysanne-herboriste investie au Syndicat Simples. D'ailleurs, je me souviens de ce pharmacien du centre de la France qui vendait des tisanes locales, et à qui l'Ordre des pharmaciens avait dit que c'était interdit. » Pragmatique, Célia Despax comprend qu'il faut éplucher les textes de loi pour avoir une « certaine compréhension de ce qui est possible ou non », au lieu de rester sur « des a priori hérités de l'époque où le maréchal Pétain a opposé la profession d'herboriste à celle de pharmacien ».
Des pharmaciens sensibles aux circuits courts
Missionnée par le Syndicat Simples et financée par FranceAgrimer, Célia Despax lance alors une étude de faisabilité pour identifier les leviers et obstacles dans ce projet baptisé Circoupam. Elle coordonne un comité de pilotage où des paysans-herboristes bio, dont France Charvin, des enseignants-chercheurs en pharmacognosie et une experte parlementaire, l'aident à mener une vaste enquête. Outre l'étude du volet légal, ils sondent par questionnaire les paysans-herboristes et les pharmaciens sur leur adhésion ou leur opposition à l'idée de vendre des plantes médicinales et aromatiques (PAM) en circuit court dans les pharmacies. L'Union syndicale des professionnels d'officine (Uspo) est contactée pour diffuser le sondage auprès de ses trois mille adhérents : « Nous avons tout de suite accepté car nous étions rassurés par le profil de pharmacienne de Célia Despax. Nous étions sûrs que le projet serait au bénéfice du patient », explique Laura Cerminara, responsable de l'exercice professionnel au syndicat.
Et là, surprise : 97 % des 250 pharmaciens qui ont répondu au sondage se disent intéressés par ce projet de circuit court visant à soutenir le développement des territoires, améliorer la traçabilité des plantes et réduire leur empreinte carbone. « On n'imaginait pas une telle appétence pour ce sujet, même si les officines se préoccupent de plus en plus d'écologie et souhaitent répondre à la demande pressante des patients pour un arsenal thérapeutique plus naturel », souligne Laura Cerminara.
Même élan du côté des paysans-herboristes bio interrogés, favorables à 95 % à l'idée de proposer leurs plantes en pharmacie : « Ce serait formidable d'avoir ces débouchés pour notre filière qui est en pleine expansion », s'enthousiasme France Charvin. Restait à vérifier la faisabilité au niveau réglementaire. Après consultation de divers experts juridiques, Célia Despax est formelle : « Aucune loi n'interdit la vente en pharmacie de plantes médicinales pour un usage autre que thérapeutique. » Autrement dit, les infusions, les compléments alimentaires (dont les huiles essentielles) et les cosmétiques produits par les paysans-herboristes peuvent être commercialisés en officine s'ils sont enregistrés comme produits alimentaires ou de bien-être. Il faut notamment qu'« aucune mention ne laisse penser que ces produits sont des médicaments », décrypte Célia. Par exemple, sur une tisane thym-bruyère-sarriette, on peut mentionner l'allégation « contribue au bien-être urinaire » mais pas « soigne la cystite », qui est une indication thérapeutique.
Un commerce florissant et porteur
Près de 200 tonnes de plantes médicinales (dont les trois quarts en bio) sont vendues dans les officines françaises chaque année pour un chiffre d'affaires de 25 millions d'euros. Mais c'est en grande majorité sous forme d'infusettes que les plantes médicinales sont proposées en rayons, marquant la prédominance des acteurs industriels.
Des produits importés à plus de 75 %, d'où un problème de traçabilité. En s'appuyant sur ces données de FranceAgrimer, le projet Circoupam estime que les valeurs bio, artisanales et locales des paysans-herboristes représentent des atouts pour les officines. Il a listé les 28 plantes médicinales les plus achetées en pharmacie : thym, camomille romaine, verveine, fenouil, tilleul aubier… tout en notant un attrait croissant pour des tisanes drainantes ou stimulantes de l'immunité. Des pistes intéressantes pour convaincre les pharmacies.
Instaurer le dialogue entre deux mondes qui ne se parlent pas
Une fois réglée la question cruciale de la légalité de ce circuit court, un autre frein majeur est apparu : comment instaurer le dialogue entre pharmaciens et paysans-herboristes, deux mondes qui ne se parlent pas ? Pour France Charvin, « les paysans-herboristes doivent se saisir de ces nouvelles connaissances réglementaires et faire de la pédagogie dans les pharmacies voisines pour leur expliquer l'intérêt et la sécurité pour eux de vendre des plantes médicinales locales et labellisées bio ». Mais les choses n'avanceront, à ses yeux, que si les officines investissent elles aussi le sujet. Au syndicat Uspo, Laura Cerminara reconnaît qu'il faudra un peu de temps pour que les pharmaciens sautent le pas : « Ils s'inquiètent des difficultés logistiques pour trouver des réseaux locaux et réorganiser leur officine, même si en lisant le rapport Circoupam, on s'aperçoit que ce n'est pas si compliqué. » Le syndicat va d'ailleurs créer des fiches pratiques sur la vente des PAM en circuit court à destination de ses adhérents.
Pour rendre le projet Circoupam plus accessible, le Syndicat Simples a publié sur son site des mémos qui répondent autant aux interrogations des producteurs que des officines. Via des formations pratiques, les paysans-herboristes apprennent aussi à argumenter avec les pharmaciens, en les rassurant sur la qualité et la traçabilité de leurs produits. Grâce à ces outils, France Charvin a convaincu la pharmacienne de son village de la Drôme de vendre au comptoir ses tisanes bio de verveine, tilleul, menthe ou mélange digestif : « Elle voit bien le soin apporté à la récolte et au séchage de mes plantes, plus jolies et parfumées que celles broyées dans les infusions industrielles. » De son côté, Célia Despax propose maintenant dans son officine de région parisienne une gamme de produits naturels issus de petits producteurs. Même si elle délivre surtout des médicaments sur ordonnance, « proposer ces plantes locales et bio à mes patients donne du sens à mon métier et je peux même leur raconter d'où elles viennent et qui les produit ».