Dossier
Végétaux psychotropes, leur vrai pouvoir sur notre cerveau (5/5)
Cannabis, ayahuasca, champignons hallucinogènes… Les plantes psychoactives sont utilisées depuis la nuit des temps pour soigner ou atteindre des états de conscience modifiés. Elles font l'objet d'un regain d'intérêt dans un cadre thérapeutique, alors que dépression et maladies neurodégénératives progressent dans nos sociétés. Quel est leur réel potentiel pour soigner notre cerveau ?
Contrer les maladies neurodégénératives
Agissant sur le cerveau via nos neurotransmetteurs, les plantes psychoactives intéressent fortement les chercheurs pour leurs applications thérapeutiques aux maladies neurodégénératives comme la maladie d’Alzheimer, Parkinson et même la sclérose en plaques. Plusieurs médicaments disponibles utilisent des molécules, naturelles ou de synthèse, extraites de ce type de plantes. Le champignon parasite Claviceps purpurea, ou ergot de seigle, produit une molécule présente dans des médicaments antiparkinsoniens. La galanthamine, un alcaloïde extrait des bulbes du perce-neige ou du narcisse jaune, est prescrite pour retarder la perte de fonctions cognitives dans les formes légères à moyenne de la maladie d’Alzheimer. Depuis les années 2000, de nouvelles études ont mis en avant les molécules issues de plantes psychédéliques comme les champignons à psilocybine ou l’ayahuasca, de par leur capacité à endiguer la perte de masse cérébrale (par exemple, l’aire dédiée à la mémoire). Des preuves suggèrent également qu’elles pourraient aider à traiter certains symptômes comportementaux et psychologiques de ces maladies neurodégénératives, comme l’agitation ou la dépression. Chez l’humain, au cours de plusieurs études, les troubles moteurs de patients parkinsoniens ont été améliorés grâce à des infusions d’ayahuasca. Chez le rat, des études montrent également un impact positif de cette plante sur la formation de nouveaux neurones et pour augmenter les capacités de mémorisation.
La caféine pour traiter les troubles de l’attention
La molécule psychoactive du café, la caféine, a des effets stimulants qui augmentent notre attention et permettent de lutter contre la fatigue. Des chercheurs espagnols en neurosciences* se sont donc demandé si cette substance pouvait nous aider à traiter les symptômes du trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH) – en remplacement de médicaments comme la Ritaline, qui ne seraient pas aussi efficaces qu’annoncé, voire dangereux. Après avoir synthétisé les résultats de treize études menées sur des animaux, les auteurs concluent que la consommation régulière de caféine pourrait être une thérapie indiquée pour le traitement du TDAH chez l’adulte et l’adolescent, car elle permet d’augmenter les capacités de concentration, la durée d’attention et d’apprentissage, le tout sans effets indésirables majeurs.
Produisant des molécules qui fonctionnent sur le même principe que la galanthamine du perce-neige ou du narcisse jaune, la sauge officinale (Salvia officinalis) est évoquée comme « candidate particulièrement prometteuse » pour traiter les déficits cognitifs, notamment ceux liés à l’âge.
Le cannabis fait aussi actuellement l’objet d’études pour accompagner des troubles neurologiques comme la maladie de Parkinson, d’Alzheimer, les lésions cérébrales traumatiques ou l’épilepsie. Mais les résultats restent pour l’heure contradictoires, avec des succès cliniques « limités ». En France, à Marseille, le professeur de pharmacologie Olivier Blin, qui dirige le programme international Dhune (portant sur des traitements autour des maladies neurodégénératives) cherche à lancer un essai clinique afin d’évaluer l’impact du cannabis (dans une combinaison de THC et de CBD) sur des malades de Parkison. Mais il se heurte pour le moment à la demande de l’ANSM, qui exige que les produits utilisés correspondent à des normes, qu’actuellement « aucun fournisseur ne peut garantir ». Il est clair qu’il reste bien du chemin à parcourir avant que les plantes psychoactives soient pleinement reconnues et considérées comme des alliées thérapeutiques à part entière.
Sorcière et solanacées : couple diabolique ou fantasmé ?
Dans Histoires et usages des plantes psychotropes, le biologiste Blaise Mulhauser et l’anthropologue et ethnobotaniste Elodie Gaille expliquent comment des plantes psychotropes de la famille des Solanaceae sont devenues, très certainement à tort, des plantes iconiques de la sorcellerie. Divers ouvrages, dont le célèbre La sorcière publié en 1862 par Jules Michelet, ont contribué à populariser dans les esprits l’image de sorcières usant de plantes psychotropes de la famille des Solanaceae comme la jusquiame, la belladone, la morelle et la datura pour préparer des potions aphrodisiaques ou anesthésiantes. Mais cette idée ne semble pas forcément pertinente. Cette vision serait ensuite sortie du domaine de la littérature pour contaminer l’imaginaire collectif, jusque dans les travaux d’anthropologues et pharmacologues qui ont, par la suite, « largement accepté cette perception » et relayé, parfois sans vérifier leurs sources, « l’imagerie » véhiculée par leurs prédécesseurs. Dans les faits, il semble pourtant « peu pertinent » de penser que ces plantes aient été d’un usage majeur chez les sorcières. En relisant les actes des procès en sorcellerie qui se sont tenus entre les XVe et XVIIe siècle dans la région de Neuchâtel en Suisse, nos deux chercheurs ont remarqué que ces plantes ne sont citées que de façon très sommaire et que la plupart d’entre elles ne peuvent même pas être considérées comme psychotropes. Cette anecdote illustre à quel point ces plantes charrient un imaginaire puissant et subversif à quiconque y est associé.
"Effects of Caffeine Consumption on Attention Deficit Hyperactivity Disorder (ADHD) Treatment: A Systematic Review of Animal Studies", Nutrients, février 2022.
"Parasitic fungus Claviceps as a source for biotechnological production of ergot alkaloids", Biotechnology Advances, 2012.
"Galanthamine, a Natural Product for the Treatment of Alzheimers Disease", Recent Patents on CNS Drug Discovery, 2006.
"Psychedelic-inspired approaches for treating neurodegenerative disorders", Psychedelics & Neurochemistry, novembre 2021.
"Composition, standardization and chemical profiling of Banisteriopsis caapi, a plant for the treatment of neurodegenerative disorders relevant to Parkinson's disease", Journal of Ethnopharmacology, avril 2010.
“N,N-dimethyltryptamine compound found in the hallucinogenic tea ayahuasca, regulates adult neurogenesis in vitro and in vivo”, Transl Psychiatry, 2020.