L'arroche, un trésor de protéines

Il arrive que l'on découvre une plante par sa similitude avec une autre plus connue. C'est ainsi que j'ai identifié l'arroche étalée, à qui je trouvais des allures bizarres de chénopode blanc. Cette cousine est tout aussi comestible et riche en nutriments. Voici comment s'en assurer.

Lorsque, dans ma jeunesse lointaine, j’avais entrepris de cultiver un modeste potager dans le jardin de mes parents, j’avais observé la venue, bien naturelle, de diverses « mauvaises herbes ». Loin de me déranger, elles apportaient à mes menus une diversité d’autant plus bienvenue qu’elles ne me coûtaient pas le moindre effort ! Parmi elles, le chénopode blanc tenait une place de choix par ses qualités gustatives, son abondance et la facilité que j’éprouvais à le reconnaître : ses feuilles palmées et son toucher sablonneux le trahissaient à coup sûr. Mais j’observais parfois un curieux « chénopode » dont les tiges s’étalaient sur le sol au lieu de se dresser bien droites – quoique la tige centrale, elle, pointât fièrement vers le ciel au centre de la touffe. En outre, les feuilles étaient plus allongées et disposées de façon lâche sur les tiges, plus minces et plus dures. Mais ce n’est qu’en observant les fruits qui suivirent les petites fleurs verdâtres – il faut être un peu botaniste pour savoir que c’en sont… – que je parvins, aisément alors, à identifier la plante : les petites graines noires des arroches sont entourées de deux valves plates bien visibles, absentes chez les chénopodes.

Arroche étalée (Atriplex patula) Ma belle inconnue était donc une arroche, l’arroche étalée, que l’œuvre majeure de Désiré Bois (Les plantes alimentaires chez tous les peuples et à travers les âges) citait comme un excellent légume feuille. J’en récoltai les jeunes pousses qui me fournirent de très bonnes salades, puis les feuilles plus âgées qui remplacèrent avantageusement les épinards que j’avais depuis longtemps cessé de cultiver. Leur texture et leur saveur sont d’ailleurs très proches de celles de ces derniers, comme c’est également...

le cas du chénopode blanc. En fait, à part son port particulier et ses fruits caractéristiques, l’arroche étalée est plus proche dudit chénopode que de ses consœurs dans le vaste genre Atriplex.

Ses divers usages culinaires auraient de quoi faire mentir l’étymologie de la plante, dont le nom provient du grec ancien a privatif et trophein, nourrir, et qui mettrait donc l’accent sur son absence de vertus alimentaires. En effet, bien que l’on n’ait pas analysé ses principes nutritionnels, il est très probable qu’ils s’approchent de celles du chénopode blanc, assez bien étudié. Ce dernier contient environ cinq fois plus de vitamine C que les oranges et presque autant de provitamine A que les carottes, davantage de fer que les épinards et autant de calcium que le camembert. Ses feuilles renferment des protéines complètes, équilibrées en acides aminés essentiels, donc de même valeur nutritionnelle que celles des produits animaux (contrairement aux céréales et aux légumineuses). En revanche, tout comme la bette, l’oseille, la rhubarbe et les épinards, les chénopodes et les arroches sont riches en oxalates qui, si on les absorbe en quantité, peuvent interférer avec l’absorption du calcium et provoquer des troubles rénaux ou arthritiques. Ils s’éliminent facilement par ébullition dans l’eau ou se bloquent par cuisson avec des aliments riches en calcium, telle la berce, l’ortie ou les fanes de radis.

Les petites graines noires de l’arroche étalée peuvent se manger comme celles du quinoa. Mais il faut s’armer de patience pour les récolter, puis les cuire dans deux eaux successives pour en éliminer les saponines… Bon courage !

Herbier

L’arroche étalée (Atriplex patula) est une plante herbacée annuelle de 20 centimètres à 1 mètre de hauteur, d’aspect un peu dégingandé à cause de ses longues tiges peu feuillées. Sa tige principale est dressée, les autres couchées à la base puis redressées, rigides, vertes. Les feuilles, alternes ou opposées, sont très brièvement pétiolées, allongées, un peu charnues, vert foncé en dessus. Les minuscules fleurs, verdâtres, sont groupées à l’extrémité des rameaux en épis interrompus. Elles apparaissent de juillet à octobre. Les fruits sont entourés par deux sépales en forme de losange, aigus au sommet, contenant une graine noire. La plante est commune dans les jardins, les champs et les endroits incultes de toute l’Europe.

Recette sauvage : Pan bagnat à l’arroche

Ingrédients :

1 petit bol de feuilles d’arroche
1 pain rond de 20 cm • 2 cuillerées à soupe d’huile d’olive
1 tomate savoureuse (Cœur de bœuf, Noire de Crimée…)
4 filets d’anchois
1 cébette (ou un demi-oignon rouge)
1 cuillerée à café de vinaigre, 6 olives dénoyautées

Passez les trois quarts de l’arroche à la vapeur et réservez.
Coupez le pain en deux dans l’épaisseur et retirez-en une partie de la mie.
Versez la moitié de l’huile d’olive et disposez la tomate coupée en rondelles, les filets d’anchois, les cébettes émincées, l’arroche cuite, le vinaigre, le reste de l’huile d’olive et les olives.
Décorez de quelques feuilles d’arroche fraîches, recouvrez de la moitié supérieure du pain et laissez le sandwich s’imprégner des sucs avant de le déguster.

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