La glaciale, une salade prête à l'emploi !
Pour qui la découvre, la glaciale est une plante étonnante, surprenant par son aspect autant que par sa texture et sa saveur. Rare à l'état sauvage, elle se cultive avec facilité et forme un légume de tout premier choix. Par François Couplan
La première fois que je vis mentionner la glaciale, ce fut dans l'encyclopédie de Désiré Bois, Les Plantes alimentaires chez tous les peuples et à travers les âges. Il la nommait « ficoïde glaciale » et la décrivait comme une excellente salade, alors pratiquement tombée dans l'oubli. Ses graines étaient pourtant encore vendues dans le catalogue de semences de Vilmorin en 1945, mais à titre de curiosité.
Il me fallut attendre plusieurs années avant de rencontrer la plante « en vrai », chez un jardinier contacté dans le cadre de l'écriture de mon ouvrage Retrouvez les légumes oubliés, (Flammarion, 1986). C'était un étrange végétal avec ses tiges rampantes couvertes, comme ses larges feuilles, de curieuses vésicules translucides remplies d'une eau salée, qui luisaient au soleil comme autant de petits cristaux de glace : l'effet était étonnant ! Lorsque je cueillis une feuille pour la goûter, elle se déchira entre mes dents tellement elle était tendre. Sa texture épaisse et charnue, légèrement croquante, avait une saveur acidulée et quelque peu salée – une véritable salade prête à l'emploi, naturellement assaisonnée. Je fus immédiatement conquis par la glaciale, qui reste pour moi l'une des meilleures plantes à manger crues.
Depuis, cet agréable végétal entra fréquemment dans la composition de mes repas, aussi souvent du moins que je pouvais le rencontrer, alors que la glaciale était – et reste – rare sur les étals. J'eus pourtant l'occasion de m'en procurer des saladiers entiers. C'était aux Canaries, pays de l'éternel printemps, où j'emmenai parfois mes enfants passer des vacances, plus botaniques que balnéaires… Sur l'île de Fuerteventura, la deuxième plus grande de l'archipel, il m'arriva de rencontrer de véritables champs de glaciale sauvage. Sur le sol volcanique formé de pierres rouges et brunes s'étalaient en tous sens les tiges cristallines et les feuilles...
ondulées, brillant de tous les feux de leurs vésicules caractéristiques. Bon nombre d'entre elles se retrouvèrent le soir dans nos assiettes, avec un simple filet de citron, une rasade d'huile d'olive et un souffle de gofio, cette poudre typiquement canarienne faite de graines d'orge grillées et moulues.
Bien plus tard, et de façon tout à fait inattendue, la glaciale réapparut dans ma vie au fin fond de la campagne japonaise, dans les collines du thé d'Uji, près de Kyoto. Dans une ferme au bord de la route, un vieux monsieur cultivait dans de grands pots des pieds d'aïssoplanto (la prononciation japonaise de l'anglais ice plant) qu'il vendait avec un succès certain au marché paysan de la vallée, largement fréquenté par les touristes nippons. Fidèle à la tradition de gentillesse vis-à-vis des étrangers, il nous en donna d'ailleurs deux pots que nous gardâmes jusqu'aux premiers froids.
Dans son Manuel du jardinier (Paris, 1829), Louis Noisette indique que la glaciale aurait été introduite en culture sur le continent européen en 1727. Elle n'était jusqu'alors récoltée qu'à l'état sauvage dans les régions où elle pousse spontanément. Sa culture fut très appréciée pendant tout le XIXe siècle, âge d'or des « curieux de plantes » et des associations de jardiniers amateurs. La glaciale ne se cantonnait pas alors à son rôle de plante à salade : on l'appréciait également comme légume cuit, dans les diverses préparations où entrent habituellement les épinards, par exemple au beurre, au jus ou à la crème, en soufflé, etc.
On accordait alors à la glaciale des vertus rafraîchissantes, adoucissantes, diurétiques, expectorantes et résolutives. À quoi il faut ajouter les qualités ornementales de ses fleurs, qui permettent d'allier le plaisir des yeux à ceux du palais et de l'estomac. Et la glaciale était parfois cultivée comme plante d'ornement.
Plusieurs espèces voisines autrefois classées dans le même genre, Mesembryanthemum, sont actuellement séparées dans le genre Carpobrotus. Originaires d'Afrique du Sud, elles sont fréquemment plantées comme ornementales à proximité du littoral sous le nom de « ficoïdes » ou « figues des Hottentots » et se trouvent vilipendées en tant que « plantes invasives ». Leurs feuilles de section triangulaire, épaisses, juteuses, sont généralement comestibles crues ou cuites mais souvent trop astringentes pour être agréables. On peut aussi consommer leurs capsules, charnues mais insipides.
Herbier // Glaciale
La glaciale (Mesembryanthemum crystallinum) est une plante vivace à racine principale développée dont les tiges et feuilles sont couvertes de petites poches transparentes remplies d'un liquide salé. Les feuilles sont opposées ou alternes, ovales et ondulées. Les inférieures mesurent de 6 à 12 cm de longueur. Les fleurs, blanches ou rosées, sont solitaires à l'aisselle des feuilles ou à l'extrémité des rameaux et atteignent 2 cm de diamètre lorsqu'elles sont épanouies. Elles possèdent de nombreux pétales très étroits qui s'étalent en rayonnant sur tout le pourtour de la fleur. La floraison a lieu de juin à juillet. Le fruit presque ligneux possède cinq angles et s'ouvre en étoile au sommet. La glaciale croît dans les sables, rochers et falaises du littoral méditerranéen. Rare en France, elle ne semble native qu'aux alentours de Sète et Narbonne.
Cueillette
Feuilles : Jusqu'aux premières gelées ; tout l'hiver dans le Midi.
Recette sauvage
Salade glaciale
Ingrédients 500 g de gIaciale • 1 avocat mûr à point • ½ citron • 2 cuillerées à soupe d'huile d'olive • Sel • Paprika • Persil.
1. Retirer la pulpe de l'avocat, bien l'écraser à la fourchette.
2. Mélanger l'avocat avec l'huile et le jus de citron pour obtenir une pâte lisse. Diluer avec un peu d'eau si nécessaire. Ajouter le sel, le paprika, et le persil très finement haché.
3. Placer dans un saladier les feuilles de glaciale entières ou grossièrement découpées, et les napper avec la sauce. Ne mélanger qu'au moment de déguster.
Plus d'informations sur le site de l'auteur : https://couplan.com/