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La médecine se penche sur les remèdes médiévaux

Johannes Mayer, pionnier allemand de la recherche sur les remèdes médiévaux
Johannes Mayer, pionnier allemand de la recherche sur les remèdes médiévaux

À l'heure où l'antibiorésistance s'accroît, qui eût cru qu'une partie de la solution pourrait se trouver dans d'antiques manuscrits grecs ou médiévaux ? Entre recettes à base d'ail ou d'ortie, oxymel ancestral et autres cures étranges : bienvenue dans le monde des « antiques-biotiques » !

Généralement, le terme « grimoire » est associé à la magie ou à l'ésotérisme plutôt qu'à la médecine moderne et aux sciences dures. Et pourtant. Plusieurs communautés de scientifiques replongent dans ces manuscrits anciens. Depuis 1999, le groupe allemand de recherche en médecine monastique Klostermedizin, un groupe d'études en littérature rattaché à l'université de Würzburg, identifie les plantes médicinales utilisées au Moyen Âge (notamment dans la médecine monastique, à l'origine des grands livres d'herboristerie) et leurs applications afin d'ouvrir des possibilités pour la recherche moderne. Ils traduisent et rendent accessibles de vieux manuscrits à des chercheurs afin qu'ils étudient les propriétés pharmacologiques des « plantes prometteuses ». Son coordinateur actuel, Tobias Niedenthal, nous explique que ces textes sont parfois très obscurs puisque les termes employés pour désigner une même plante peuvent varier d'un ouvrage à l'autre (lire l'encadré conséaré à Hildegarde de Bingen ci-dessous). Son équipe a donc identifié les différentes appellations des plantes alors couramment utilisées – comme la valériane, le houblon, la mélisse, le calendula ou l'arnica – afin de faciliter le travail des chercheurs. Lors d'événements publics, son équipe recrée également des recettes de la médecine monastique comme les pastilles contre la toux contenant du marrubium, de l'hysope (remplacée par du thym ou de la sauge), du gingembre et du miel.

Science et monde des arts main dans la main

Au Royaume-Uni, le projet Ancient Biotics (« anti(ques) biotiques », ndlr) s'est également donné pour mission de « déverrouiller l'armoire à pharmacie médiévale ». Créé en 2015, le projet a démarré par une discussion autour d'un café. Avec ses collègues, Christina Lee (professeure d'anglais spécialiste de l'histoire de la santé à l'université de Nottingham) et l'un des membres fondateurs de l'équipe, se demandait si « explorer les remèdes miraculeux du passé » pouvait combattre des maux modernes comme l'antibiorésistance. Avec leur équipe interdisciplinaire d'historiens, de médiévistes ou encore de biologistes, ils passent à la loupe les manuscrits médiévaux puis les combinent à des analyses scientifiques en laboratoire. Ils ont notamment redécouvert l'efficacité antibactérienne de l'antique oxymel à base de vinaigre et de miel associés à de l'extrait d'ortie (lire l'encadré en fin d'article) ainsi qu'une recette médiévale à base d'ail, d'oignon, de bile de vache et de vin blanc, le « collyre de Bald » (lire ci-dessous), aux vertus antibiotiques très intéressantes, notamment en cas d'ulcère du pied diabétique.

Le Lylye of Medicynes, texte clé du XVe siècle, a également permis de ressusciter deux recettes prometteuses : une pommade pour les yeux qui larmoient à base d'aloe vera, de résine d'oliban et de sumac et un gargarisme contre les aphtes et abcès dentaires contenant de l'écorce de grenade et de la résine de lentisque. In vitro, certains de ces mélanges tuent aussi efficacement les bactéries que certains antibiotiques modernes et feront l'objet de tests futurs pour dévoiler tout leur potentiel. Ainsi, il n'est pas question de bobologie ou de pommades à réaliser chez soi, mais bien de remèdes scientifiquement évalués qui pourraient conduire au développement de médicaments modernes.

Le mystérieux collyre médiéval de Bald

Une représentation médievale de cueuillette d'ail

Un peu d'ail, d'oignon et de poireau, un soupçon de vin et quelques gouttes de bile d'estomac de vache… Il ne s'agit pas d'une recette de potion magique, mais de celle du désormais célèbre collyre de Bald, tirée d'un manuel médical du Ve siècle, le Bald's Leechbook. Ce collyre, initialement destiné à soigner les orgelets oculaires infectés, a récemment prouvé qu'il tuait 90 % des bactéries de staphylocoques dorés résistant au traitement habituel à la méticilline.

L'équipe d'Ancient Biotics, qui a travaillé sur cette préparation, pense que ce n'est pas un ingrédient unique qui la rend si puissante, mais la combinaison des ingrédients entre eux ainsi que le respect scrupuleux de la recette : une incubation à 4 °C pendant 9 jours. L'allicine, issue de l'ail présent dans la formulation, a été identifiée comme le principal agent antibactérien de cette formule ; pour autant, il semblerait que les autres ingrédients jouent également un rôle, et qu'il soit nécessaire que tous soient combinés pour que la préparation atteigne sa pleine activité.

Comme le souligne Christina Lee, du groupe de recherche Ancient Biotics, « ce qui est assez nouveau, c'est cette collaboration entre scientifiques et gens du monde des arts ». De prime abord très critique vis-à-vis du projet, cette spécialiste de l'ère viking a finalement été étonnée des résultats et s'est alors demandé pourquoi de tels remèdes apparemment si efficaces avaient été abandonnés. S'il est possible que ceux-ci soient restés trop confidentiels ou tout simplement tombés dans l'oubli, l'équipe d'Ancient Biotics a fait des émules et reçu par la suite des financements, comme ceux de ­l'association Diabetes UK pour tester certaines formules sur des cellules humaines. Un travail difficile, en particulier parce que les fruits, légumes et végétaux médiévaux diffèrent de ceux d'aujourd'hui, notamment par leur teneur en vitamines et minéraux ou leur absence de composés chimiques toxiques.

Toutefois, d'autres scientifiques rejoignent l'aventure avec enthousiasme. En août 2022, les bibliothèques de l'université de Cambridge ont lancé un projet intitulé « Curious Cures » visant à numériser 8 000 recettes médicales médiévales, qui devrait permettre un meilleur accès aux recettes de nos ancêtres. Qui sait, l'un de nos futurs antibiotiques figurera peut-être dans les lignes de ces obscurs et poussiéreux manuscrits ?

Des synergies d'une redoutable efficacité

Ce type de recherches permet également de repérer ce qui marche, ou marche moins parmi les remèdes appréciés de nos anciens. Les orties, par exemple, n'ont pas forcément les propriétés que l'on croit. Les chercheurs du projet Ancient Biotics expliquent qu'il n'existe aucune preuve solide indiquant que les orties, traditionnellement utilisées dans les préparations topiques sur les plaies, contiennent des molécules ayant une activité antimicrobienne cliniquement utile. Selon eux, il est donc très probable qu'elles aient été utilisées « simplement comme support absorbant “sans danger” afin de conserver les ingrédients antibactériens (vinaigre) ou émollients (huiles) sur la zone de soin. »

Préparez votre oxymel contre la toux

Recete oxymel maison

Pour préparer votre oxymel maison selon l'antique recette d'Hippocrate, il vous suffit de remplir à moitié un bocal de vinaigre et de miel et de laisser infuser trois semaines avant d'en boire à votre guise, en prévention ou en cas de toux. Ajoutez à votre préparation des herbes médicinales comme le thym, la mélisse, la sauge ou le romarin selon les propriétés recherchées. Cette préparation se conserve de 6 mois à 1 an.

L'oxymel est un mélange de vinaigre et de miel utilisé depuis des siècles pour traiter les symptômes de l'asthme et d'autres troubles respiratoires comme la toux. Les docteures Freya Harrison et Erin Connelly de l'université de Warwick, au Royaume-Uni, ont étudié les effets de cette préparation et déterminé quels sont les meilleurs vinaigres et miels à utiliser pour préparer l'oxymel le plus efficace contre les bactéries et champignons pathogènes pour l'homme. Le vinaigre de grenade (Punica granatum) est intéressant car il est riche en acide acétique, un composé qui lui confère ses propriétés antibactériennes. Une action qui semble être boostée par le miel de manuka pour de nombreux types de vinaigres.

Tous les ingrédients comptent

D'ailleurs, qui dit remède ancien ne dit pas remède élaboré sans rigueur. C'est en effet toute la précision issue des longues observations sur le terrain de nos aïeux qui fait l'intérêt de ces manuscrits ancestraux. Des travaux comme ceux menés par l'équipe d'Ancient Biotics ont en effet montré que l'efficacité de ces remèdes anciens reposerait sur le fait qu'ils contiennent plusieurs principes actifs bruts et non purifiés qui, isolés, montrent peu d'effets mais qui, en synergie, s'avèrent d'une redoutable efficacité. D'où l'importance de maîtriser l'art de les préparer. Le célèbre collyre de Bald, par exemple, est indiqué dans les manuscrits comme devant macérer pendant exactement neuf jours avant application. Or des tests réalisés récemment ont montré que c'était effectivement le moment où le mélange tuait le plus de bactéries ; et ce aussi efficacement que certains antibiotiques modernes (lire l'encadré ci-dessus). Une précision qui rend Christina Lee admirative : « Alors que dans la recherche moderne nous mettons souvent en avant un ingrédient phare, nous avons découvert que dans les préparations de nos ancêtres, tous les ingrédients comptent. L'efficacité dépend de la combinaison de plantes entre elles. »

Hildegarde et ses « approximations »

Le Dioscoride (Vienne)

Parmi les difficultés que rencontrent les chercheurs lorsqu'ils décryptent des textes anciens, se trouvent certaines approximations de nos ancêtres, y compris parmi les plus illustres d'entre eux. Tobias Niedenthal du projet allemand Klostermedizin explique, par exemple, que la célèbre Hildegarde de Bingen ne leur facilite pas toujours la tâche. Cette bénédictine rhénane du XIIe siècle dont le savoir ne se fondait pas sur les manuscrits, avait une manière bien à elle de désigner les plantes et maladies. N'utilisant pas d'indications sur la quantité, mais plutôt des approximations du type « prenez de la sauge et moins de thym et encore moins de romarin et mélangez-les avec suffisamment de miel et de vin », elle fait malheureusement partie de ces auteurs dont les écrits permettent difficilement aux chercheurs contemporains d'établir des quantités précises.

Dans d'autres cas, ce sont les espèces de plantes elles-mêmes qui ont changé et évolué, comme les sauges (Salvia spp.) ou les potentilles (Potentilla spp.). Heureusement, dans de nombreux autres cas c'est beaucoup plus facile, explique le chercheur, car la plante a été utilisée pendant plus de 1 500 ans de manière presque identique, comme on peut le voir lorsqu'on feuillette les « Dioscoride » du Ier siècle (les premiers ouvrages européens sur les plantes médicinales, rédigés par le médecin grec du même nom) que l'on compare aux ouvrages du XVIe siècle.

Parmi le panel des remèdes vieux comme le monde se trouvent également certaines petites bestioles qui sont devenues de véritables alliées de la médecine moderne : les asticots… et les sangsues ! À la faveur d'un retour en grâce ces trente dernières années, les pansements d'asticots participent à combattre les infections en ingérant les tissus morts, le tout sans nécessiter le recours à des antibiotiques, un véritable atout en ces temps d'antibiorésistance accrue.

Une telle pratique, surnommée en France « asticothérapie » ou « larvothérapie », était déjà utilisée au XIXe siècle pour guérir les soldats des guerres napoléoniennes. Autorisés depuis 2004 en France et au Royaume-Uni, les pansements aux asticots permettent de réduire rapidement la surface d'une plaie, parfois plus rapidement que les pansements conventionnels, autorisant le patient à rester chez lui tranquillement et le dispensant de certaines chirurgies invasives.

Des sangsues bienfaitrices

Toutefois, si la larvothérapie connaît aujourd'hui un regain d'intérêt dans le monde entier, avec, par exemple, une hausse de 47 % des patients traités sur la dernière décennie au Royaume-Uni, en France le nombre de patients plafonne à quelques centaines par an.

Utilisées depuis l'Égypte antique, les sangsues, elles, peuvent aller jusqu'à éviter à certains malades une amputation, en permettant d'éviter les nécroses des tissus, par exemple en cas de pied diabétique ou après une chirurgie reconstructive. Très présente dans les textes de médecine ayurvédique jusqu'au début du XXe siècle, cette thérapie a ensuite connu un recul majeur en raison de l'apparition des antibiotiques et de la disparition des saignées.

Elle est à ­nouveau utilisée aujourd'hui en cas d'arthrose inflammatoire du genou ou pour dissoudre les caillots dans le cadre de phlébites, et peut également s'avérer utile en cas de varices ou d'insuffisance veineuse. Il existe aussi des crèmes composées d'extraits de sangsues lyophilisées qui, grâce à l'hirudine qu'elles contiennent (le composant anticoagulant sécrété par l'animal) sont indiquées pour les jambes lourdes ou les troubles hémorroïdaires. Des thérapies certes peu ragoûtantes pour beaucoup, mais qui ont le mérite d'exister et s'avèrent parfois tout aussi efficaces que des médicaments.

Concernant les préparations à base de plantes, les équipes qui travaillent dessus rappellent tout de même que ces projets de recherche prennent énormément de temps et sont très coûteux. Ils craignent que ces recettes, qui constituent en quelque sorte un « patrimoine de l'humanité » et relèvent par conséquent du domaine public, ne trouvent pas d'investisseurs car elles ne pourront être brevetées.

À savoir :

Vous pouvez trouver un hirudothérapeute près de chez vous en vous rendant à l'adresse suivante : Annuaire-therapeutes.com/therapies/125-hirudotherapie

« Anti-biofilm efficacy of a medieval treatment for bacterial infection requires the combination of multiple ingredients », Scientific Reports, juillet 2020.

« Data Mining a Medieval Medical Text Reveals Patterns in Ingredient Choice That Reflect Biological Activity against Infectious Agents », Therapeutics and Prevention, janvier 2020.

« Five ways in which the medieval is relevant today », British Academy Review, 2016.

« Five ways in which the medieval is relevant today », British Academy Review, 2016.

« An assessment of the evidence for antibacterial activity of stinging nettle (Urtica dioica) extracts », Access Microbology, 24 mars 2022.

« Unani treatment and leech therapy saved the diabetic foot of a patient from amputation », Int Wound J. 2016.

« Sweet and sour synergy: exploring the antibacterial and antibiofilm activity of acetic acid and vinegar combined with medical-grade honeys », Microbiology (Reading),  juillet 2023.

 

Encadré collyre de Bald :

« Characterization of the antibacterial activity of Bald's eyesalve against drug resistant Staphylococcus aureus and Pseudomonas aeruginosa », PLoS One, 2018.

« Anti-biofilm efficacy of a medieval treatment for bacterial infection requires the combination of multiple ingredients », Scientific Reports, juillet 2020.

« Data Mining a Medieval Medical Text Reveals Patterns in Ingredient Choice That Reflect Biological Activity against Infectious Agents », Therapeutics and Prevention, janvier 2020.

« Five ways in which the medieval is relevant today », British Academy Review, 2016.

 

Encadré sangsues :

« Medical leech therapy in Ayurveda and biomedicine – A review », J Ayurveda Integr Med. 2020.

« Succès et déclin d’un agent thérapeutique : la sangsue », Histoire, médecine et santé, 23 | 2023, 132-144.

« Utilisation des parasites en thérapeutique », thèse de diplôme d’état de docteur en pharmacie, Charlotte Danjou, mai 2017.

« The efficacy and safety of medical leech therapy for osteoarthritis of the knee: A meta-analysis of randomized controlled trials », Int J Surg., 2018.

 

En aucun cas les informations et conseils proposés sur le site Plantes & Santé ne sont susceptibles de se substituer à une consultation ou un diagnostic formulé par un médecin ou un professionnel de santé, seuls en mesure d’évaluer adéquatement votre état de santé.
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